A Marseille, la Plaine se veut “nouvelle Zone à défendre”, là même où les Communards avaient tenté d’appeler la ville à se soulever pour “la République sociale”. En jeu, 147 ans après la Commune et cet héritage insurrectionnel souvent largement oublié : un chantier de réaménagement à marche forcée de la place Jean-Jaurès et une lutte amorcée il y a déjà plusieurs années pour la préservation de ce quartier populaire en cours de gentrification.
Cette lutte s’est intensifiée à Marseille, cette semaine, dans ce quartier iconique qui passe volontiers pour un exemple de brassage social dans la cité phocéenne - même si les dernières strates récemment installées sur les flancs de l’esplanade sont souvent mieux dotées que les habitants historiques, et pas toujours hostiles aux annonces de la municipalité lorsque celle-ci se flatte de transformer en “zone attractive” une place d’abord connue pour son marché peu cher, ses minots qui tapent le ballon et les terrasses de ses rades. Quand on épluche les interventions publiques de la mairie, le lexique municipal cingle. Depuis près de trois ans que le projet de “requalification” s’esquisse, il est question de “montée en gamme” contre des “usages déviants” d’une “minorité malfaisante”.
Dans son Histoire universelle de Marseille de presque 800 pages publiée en 2006 chez Agone, Alèssi Dell’Umbria (NDT : qui a écrit des choses fort déplaisantes sur les zadistes de NDDL) , qui vit à la Plaine, soulignait le poids de la gentrification et l’impact de l’engouement récent pour Marseille sur la politique municipale - très ciblée :
Albert Cohen, un enfant de la Plaine
Côté VIe arrondissement, ce quartier de la Plaine se trouve être le quartier où Albert Cohen a grandi. Le père de l’écrivain tenait une épicerie sur ces hauteurs qui surplombent Noailles, la Cannebière et le Vieux-Port, au 18 de la rue des Trois-Frères-Barthélemy. A l’époque on disait encore “rue des Minimes” : Cohen est né en 1895 et lorsque sa famille arrive de Corfou à Marseille, fuyant un pogrom, il a cinq ans. De cette enfance à l’amorce du siècle, Cohen se souviendra en 1969 d’une ville “exquise, savoureuse, gaie, haute en couleurs mais avec quelques laisser-allers qui ne manquent pas de charme”.
L’évocation est un chouia pittoresque. L’auteur de Belle du Seigneur et Mangeclous, qui quittera Marseille pour Genève, si diamétralement différente et pour laquelle il confessera un vrai “coup de foudre, ne dit pas un mot de l’ADN affranchi du quartier de son enfance. Or trois décennies avant que le petit Cohen ne débarque de Grèce, cette place, rebaptisée “place Jean-Jaurès” en 1920, avait été l’épicentre des Communards marseillais.
Entre le 22 mars et le 5 avril 1871, des militants marseillais d’obédiences variées se rassemblaient pour soutenir la Commune de Paris après le soulèvement du 18 mars dans la capitale. Ce n’était pas leur première tentative : l’année précédente, au creux du mois d’août, une première tentative d’insurrection populaire avait échoué et envoyé les protagonistes au cachot au fort Saint-Jean, encore loin d’être réhabilité pour servir d’aile au MUCEM. Parmi eux, un certain Gaston Crémieux, un Juif natif de Nîmes, militant radical issu d’une famille pauvre devenu avocat et journaliste - sans lien de parenté avec Adolphe, l’autre Crémieux resté célèbre, de Nîmes lui aussi, qui donnera la nationalité française aux Juifs d’Algérie à la même époque.
Libéré des geôles du Fort-Saint-Jean sur ordre de Gambetta en septembre 1870 après la proclamation de la IIIe République, Crémieux jouera un rôle de premier plan parmi les Communards Marseillais lorsque ceux-ci chercheront, depuis leur place forte de la Plaine, à se positionner en relais de l’insurrection parisienne. "Rentrez chez vous, prenez vos fusils, non pas pour attaquer, mais pour vous défendre”, haranguera Crémieux, appelant les Marseillais à prendre les armes contre “les Versaillais”.
Izzo et la mémoire oubliée des communard-e-s
Pourtant ce n’est pas l’histoire de Gaston Crémieux, fusillé dans les jardins du Pharo à 35 ans en novembre 1871 après avoir été embastillé au château d’If, que Jean-Claude Izzo racontera. Mais celle d’un autre Communard, Clovis Hugues, à qui l’écrivain marseillais consacrait une biographie en 1979. Fils d’un meunier du Vaucluse, lui aussi tâtera du journalisme même si les notices des encyclopédies le présentent plutôt en “poète et homme politique”. C’est avec lui que Crémieux proclamera “la République Sociale” à Marseille le 23 mars 1871, drapeau rouge à la main.
Le Clovis Hugues, un rouge du Midi de Izzo sera réédité en 2001, peu après la mort de l’auteur phocéen. Ce livre est pourtant loin d’être resté son plus célèbre, à côté de la populaire trilogie autour de Fabio Montale (Total Khéops, Chourmo et Solea, il y a vingt ans). Ou même de son dernier livre, Le Soleil des mourants, qu’il publiera en 1999, un an avant de mourir, et que France Culture adaptera en 2017 :
En septembre 1997, invité de l’émission “Le Bon plaisir”, Izzo reviendra rapidement sur l’épisode communard à Marseille. Une interview à l’ombre des arbres de la place Jean-Jaurès, en compagnie de son fils, Sébastien, qui découvrait ce jour-là l’histoire insurrectionnelle de son quartier fétiche - “Même les Marseillais ne le savent plus”, sifflait Izzo dans ce bref extrait…