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Le Citoyennisme, prémisse d’un corporatisme citoyen

posté le 20/09/16 par anticitoyennisme / Cerca / 2001 Mots-clés  histoire / archive  réflexion / analyse 

« Heureux celui qui respecte la loi, mais plus heureux celui qui la détruit. »

F. Nietzsche

Cette contribution à une réflexion sur le citoyennisme ne prétend pas apporter toutes les réponses à ce qu’est exactement cette nouvelle forme contestataire, ni ne reprend ce qui a déjà été dit sur le sujet, mais tente de repréciser certains points qu’il nous semble utile d’approfondir afin de mieux l’appréhender. Le citoyennisme, selon les propres dires des citoyennistes eux-mêmes, ne vise pas à un changement radical des rapports sociaux mais à une adaptation de ceux existants ; nous nous devons donc de le saisir dans sa/ses totalité/s et d’explorer toutes les pistes qui permettraient de mieux le cerner, de mieux le combattre.

Redéfinition d’un concept

La vision du citoyennisme en tant qu’idéologie ne permet pas d’analyser cette forme de contestation " intégrée " dans ce qu’elle est vraiment, dans ce qu’elle suppose.

Si par idéologie, il faut entendre système de pensée cohérent et/ou dogmatique alors, le citoyennisme n’en est pas une car la façade unitaire cache une multitude de réalités pouvant être sans liens directs, voire contradictoires. Le militantisme d’AC ! n’a que peu d’influence sur l’instauration ou non de la taxe Tobin tout autant que les " dying " d’Act-Up restent sans effet sur les conditions de travail défendues par la CNT. Cela semble logique mais permet de repréciser qu’en cela, toutes ces organisations adoptent une démarche citoyenne et non pas une idéologie, le citoyennisme. La concertation n’est pas de mise, chacun a son territoire et sa lutte, et entend bien les défendre ; ainsi il est plus facile de discuter avec les autorités qu’avec les autres organisations ou associations, malgré cette apparente unité.

S’il faut comprendre idéologie dans le sens d’un nouveau système de pensée se différenciant de l’approche capitaliste, là encore, le citoyennisme ne peut être qualifié comme tel, n’étant que la simple émanation d’un environnement politique et social particulier. Il est une démarche et l’expression politique d’un état de fait : l’existence du citoyen en tant qu’homo politicus et de son corollaire démocratique, ses représentants. Il n’y a pas d’antagonisme entre cette expression citoyenne et le système capitaliste qui lui fournit ses fondements.

L’impasse citoyenniste· définissait le citoyennisme selon trois traits principaux que sont la croyance en la démocratie comme pouvant s’opposer au capitalisme, le projet d’un renforcement de l’État (des États) pour mettre en place cette politique et le citoyen comme base active de cette même politique.

Au regard de nos remarques, nous tendrions à plutôt considérer le citoyennisme comme forme intégrée de contestation qui espère pouvoir rééquilibrer les dysfonctionnements du système économique ou réajuster ses dérives par une meilleure participation des citoyens. La démocratie n’est pas vue comme moyen de s’opposer mais bien d’accompagner le capitalisme, pas de le rendre plus humain mais de le " démocratiser ". Un peu comme si l’absence de démocratie était seule responsable de l’exploitation et de ses conséquences ! Les citoyennistes ne s’opposent pas, ils demandent une meilleure gestion : La démocratie est vue en tant que partie indissociable du capitalisme dont elle serait la forme politique. Le capitalisme, comme système économique, ne peut fonctionner correctement que s’il est démocratique.

La démarche citoyenniste n’est pas à proprement parler adepte d’un renforcement de l’Etat mais, à l’image de la conception libérale, pour une minimisation de celui-ci dans des secteurs pouvant être rentabilisés " démocratiquement " et son renforcement dans les " secteurs citoyens vitaux ". Nous pouvons considérer qu’un redéploiement des compétences de l’Etat contenterait pleinement les citoyennistes : Minimalisation des activités économiques directement sous la coupe de l’État et renforcement de l’aspect oppressif et coercitif de celui-ci. Bien qu’interlocuteur principal, l’État n’est, dans la démarche citoyenniste, qu’un intermédiaire entre les instances interpellées et les organisations citoyennistes ; toutes deux le considérant comme garant de la concorde civile. L’appel constant à la médiation ou à l’intervention de l’État dans les luttes que mènent les différentes associations et organisations citoyennistes ne doit pas cacher le fait qu’elles ne font appel à lui qu’en le considérant uniquement de ce point de vue, ce que montre(nt) leur(s) pratique(s). L’État sans l’économie, l’État à son strict minimum. Ceci ne signifie ni renforcement, ni disparition mais réorganisation de l’appareil étatique, atrophies dans certaines branches et hypertrophies dans d’autres. La démarche citoyenniste propose donc, de fait, trois pôles fondamentaux de l’organisation politique : l’aspect économique considéré comme lien organique entre les individus où l’État n’aurait qu’un rôle de cohésion sociale. Nous ne reviendrons pas sur l’émergence de la conscience corporatiste ouvrière qui permit l’apparition de forts courants contestataires (que certains appellent révolutionnaires) dans un contexte où l’État était indispensable au développement du capitalisme industriel naissant, mais soulignerons que, pour nous, le redéploiement des fonctions étatiques est l’aspect principal de la disparition de cette conscience. A une époque où la dimension économique et politique de l’État était prépondérante, où le prolétariat était devenu indispensable au développement économique, il était normal que naisse une conscience corporatiste, consciente de son rôle et des perspectives qu’offrent cette place de " privilégiés " que sont les indispensables. La phase d’industrialisation étant terminée (nous sommes industrialisés) et l’accumulation du Capital le permettant, l’État voit son rôle redéfini et par conséquent en découle une adaptation de la forme contestataire. A la conscience corporatiste ouvrière répond la démarche citoyenniste, à l’éclatement et à la parcellarisation du travail répond la diversité de la contestation citoyenniste.

Et de la même manière que dans le mouvement ouvrier, les citoyennistes se pensent comme archétypes du sujet conscient, comme représentant " naturel " de l’ensemble des individus. Les prophéties quant à l’avènement d’un monde meilleur, dont les rênes seraient confiées à un prolétariat théorisé salvateur, sont sans doute du même ordre que la mission dont se sentent investies les organisations et associations citoyennistes. Autodésignées et reconnues ou ayant su se faire reconnaître comme interlocutrices par l’Etat, elles se considèrent chacune comme étant la seule véritable alternative pour un changement, voire pour une révolution. Sentiment renforcé par l’oreille que veut bien prêter l’État à leurs revendications. Mais qu’elles soient corporatistes ouvrières ou citoyennistes, leur réflexion et leur pratique ne sont jamais globales mais toujours parcellaires ou sectorielles et ne sont jamais représentatives de l’ensemble des individus. En aucun cas la démarche citoyenniste ne souhaite associer les citoyens mais plutôt se substituer à eux, - comme voulut le faire le prolétariat salvateur- et se présenter comme l’ultime recours : Ce n’est pas le citoyen, et encore moins l’individu, qui est la base active du citoyennisme, mais le citoyennisme lui-même.

Par ce qui précède, nous avons voulu définir ce que n’était pas le Citoyennisme ou plutôt ce que nous pensions devoir en être précisé. La démarche citoyenniste est fondamentalement une attitude de collaboration consciemment exprimée, dans la contestation certes, mais néanmoins dans le cadre du système capitaliste. Ce qui différencie un citoyen d’un citoyenniste ce n’est pas le degré d’implication politique ou associatif mais le sentiment, pour le second, d’être une nouvelle " avant-garde ", un groupe de pression suffisamment fort pour imposer ses adaptations. Nous pourrions dire que le citoyennisme est l’expression politique de l’émergence d’un corporatisme (classe) citoyen conscient, comme le fut à son époque la " classe " ouvrière, de son rôle et des perspectives qu’offrent une nouvelle fois cette place de " privilégiés ".

Contraintes et limites du " citoyennisme "

Posé en tant que démarche, le citoyennisme exprime de lui-même ses propres limites qui inévitablement sont posées par une utilisation contrôlée de la " violence " et de la discussion. Le but n’est aucunement de chercher la confrontation, que se soit sur le terrain des idées ou de l’action, mais de demander la parole. Se présentant porteur de la parole d’une invisible et symbolique opinion publique, les organisations et associations citoyennistes se sentent investies d’une mission : Porter les revendications des citoyens. Ni élues, ni désignées, elles n’ont une image d’elles-mêmes que par l’importance de leur médiatisation, la légitimité que leur offre l’État et leurs possibilités d’intégration.

Il ne s’agit pas de minimiser le nombre d’individus tentés par la démarche citoyenniste mais bien de mettre en avant l’existence purement médiatique de cette contestation. Malgré les milliers de personnes présentes lors des contre-sommets devenus grand-messes, aucun véritable débat de fond n’en a émergé. Chacun y vient avec ses propres aspirations, slogans et réclamations, chacun se sentant différemment concerné. Aucune vision commune, aucune cohérence à ces masses qui ne font alors que plébisciter les candidats à la discussion et ceux qui symbolisent dorénavant telle ou telle lutte, que ce soit des individus ou des organisations. Adoubées par les médias, plébiscitées de fait par les manifestants, ces " guest-stars " citoyennistes peuvent ainsi être reçues : Les apparences sont sauves !

Mais sans ce support médiatique dont bénéficient toutes ces stars du citoyennisme, la fragmentation extrême du citoyennisme et le peu de cohésion idéologique, atouts qui lui permettent ces rassemblements de masses, se transformeraient rapidement en grave handicap. Impossible de survivre au silence des médias si ce n’est de manière totalement atomisé. Les citoyennistes offrent une vision trompeuse tendant à les montrer comme un mouvement de masse unitaire, au même titre qu’il était trompeur de vouloir assimiler l’ensemble du prolétariat à sa frange la plus " consciente ". L’idéologisation du citoyennisme doit plus aux Amis du Monde Diplomatique qu’à tous les anonymes qui participent à cette démarche. Ce n’est pas de la pratique qu’est né ce mouvement contestataire mais de la nouvelle configuration économique qui a progressivement amené une part non négligeable de la population à intégrer la contestation dans le système. Qu’il soit sans papier ou étudiant, ouvrier ou artisan, citadin ou non, chômeur ou sans domicile, le citoyen se définit plus par son attitude que par son statut social et c’est sans doute pour cela qu’il peut se retrouver facilement dans les milieux intellectuels où certains se transforment en citoyens-spécialistes, écrivains " malgré eux " d’un Guide du bon Citoyen. Cette identification est la base réelle de la démarche citoyenniste mais aussi l’une de ses limites.

Le rapport qui lie la démarche citoyenniste à l’État est de plusieurs natures.

La nécessité de reconnaissance est indissociable de cette démarche, car sans elle, rien n’est possible. Nous pouvons affirmer, sans trop risquer de nous tromper, que le choix de tel ou tel par l’État pour jouer le rôle d’interlocuteur est déterminé essentiellement par des critères qu’il juge acceptables. La faiblesse du rapport de force dans " l’affrontement " entre les citoyennistes et les instances interpellées, par État interposé, ne permet pas d’imposer une tactique offensive, seulement de se voir restreint à une contestation récupérable et exploitable pour les différentes politiques étatiques. A titre d’exemple, nous pouvons citer cet anti-américanisme dont chaque version locale justifie les " difficultés " économiques nationales par la suprématie américaine, ou bien encore l’exception culturelle qui ne vise qu’à contrer l’anglophonie dans des domaines économiques jusqu’alors dominés par la francophonie, la lusophonie, etc. Nous pourrions multiplier les exemples : l’immigration comme besoin économique, l’Europe en rempart du capitalisme américain, l’écologie devenue paramètre économique, le commerce équitable et le développement durable…

Cette duplicité quasi systématique entre les revendications citoyennistes et les différentes politiques nationales fait de ceux-ci des alliés objectifs des capitalismes nationaux et de leurs structures politiques que sont les États. Cette proximité n’est sans doute pas à chercher dans une convergence de vues - il ne faut surtout pas nier le rapport de force qui s’est créé - mais plutôt dans une base commune de réflexion. Ce qui les délimite, ce sont plus des manière différentes de mener le " bateau capitaliste " que de véritables oppositions de fond : Point de remise en cause du système dans son essence ou dans sa pratique, mais des ajustements citoyens ponctuels.

Ainsi, la démarche citoyenniste ne cherche ni à combattre l’État, ni à détruire le capitalisme mais s’appuie sur le premier afin d’assurer la pérennité du second. Quelle que soit la forme de la structure étatique, la démarche citoyenniste a nécessairement besoin de l’Etat, car sans lui le rapport de force créé est insuffisant pour imposer le dialogue, et encore moins pour forcer quoi que ce soit ! Il suffit pour cela de voir l’utilisation symbolique ou très contrôlée de la " violence " que les organisations et associations citoyennistes soutiennent ou autorisent, et qui ne visent qu’à attirer l’attention sur elles. La " violence " utilisée n’a pas pour but de contraindre mais d’attirer l’attention, et c’est pour cela qu’elles ne veulent pas agir autrement. Tant que le niveau de violence reste faible et n’attaque que des domaines où seul l’État est responsable, la démarche citoyenniste demeure dans ses propres limites, et si par " malheur " cette violence devait faire encourir des pertes directes au Capitalisme, alors l’État - en garant politique des intérêts financiers - se verrait contraint d’intervenir par la force : Ce que les citoyennistes de désirent pas.

Les possibilités d’intégration sont sans doute un des déterminants de la démarche citoyenniste. Celle-ci, en tant que conscience corporatiste émergente, correspond à un stade de développement du Capitalisme et ne peux être tolérée qu’en fonction des ajustements possibles en vue de sa pleine intégration par lui comme le fut progressivement la " classe ouvrière ". Toutes deux factuelles, conséquences plus que causes de changements, ces formes de corporatismes contestataires ne peuvent réellement dépasser le système qui les fait " être " sans risquer de se voir pour ce qu’elles sont, des concepts flous n’ayant aucune réalité anhistorique. Reste donc à trouver les moyens de leur intégration, ce que firent les marxistes en proposant un réajustement économique et politique des structures de l’État au profit de la " classe ouvrière ", a qui était attribué un rôle de libérateur, et ce que font donc les citoyennistes en cherchant à réajuster le Capitalisme tout en n’espérant qu’une plus juste rétribution. Les " Libérateurs " sont devenus " Justiciers ", mais pris dans leurs propres logiques et leurs théorisations, ils ne demandent ni plus ni moins qu’une meilleure intégration au système capitaliste.

La démarche citoyenniste ne peut à terme que se transformer en " cogestion tronquée ", en une forme de participation. Comme le remarque lui-même Serge Halimi, " financées par l’argent public, mais au service quasiment exclusif des intérêts privés, les institutions économiques internationales, machines à fabriquer du marché, ont désormais compris que le maintien de leur influence passait par un effort supplémentaire de relations publiques. Elles ont les moyens de se l’offrir. Et elles sont assez avisées pour savoir que la contestation qu’elles affrontent est susceptible d’être résorbée comme la concurrence : par la séduction ou le partenariat. "·

La nature du citoyennisme fait que cette fois, contrairement à la contestation corporatiste ouvrière, cela se passera en douceur !

Perspectives d’affrontement(s)

Les quelques remarques ci-dessus ne prétendent pas expliquer la démarche citoyenniste dans son ensemble et sa complexité mais d’en repréciser les contours et les fondements.

Nous pouvons d’ores et déjà considérer qu’il existe quatre manières de se déterminer : par l’indifférence, la collaboration, l’accompagnement ou l’affrontement. La première est l’attitude la plus généralisée sur laquelle nous n’avons réellement que peu de prises et qui se nourrit d’un quotidien assumé ; c’est celle du citoyen, et plus généralement de celui qui vit dans un pays et s’en contente. La seconde, la collaboration, n’est autre que le citoyennisme. Les deux dernières sont des attitudes que peut prendre une critique radicale de la démarche citoyenniste. L’accompagnement vise à radicaliser la démarche citoyenniste en la débordant afin de la mettre face à ses propres contradictions, mais cette position risque de se transformer d’une opposition de fond en une simple opposition de forme, la forme primant sur le fond ; celle-ci s’exprimant alors essentiellement lors de manifestations ou rendez-vous citoyens. Une opposition radicale intègre autant le fond que la forme dans une critique qui aboutit à l’affrontement avec les tenants du citoyennisme et au-delà avec les maillons politique et économique du système capitaliste qu’ils légitiment, mais cette perspective d’affrontement peut aussi sombrer dans sa propre logique et se transformer en une lutte anti-citoyennisme/tes.

A chacun de nous d’y réfléchir et de se déterminer en fonction.

Ces quelques lignes de conclusion provisoire n’ont d’autre but que d’esquisser les différentes façons de se positionner face à la démarche citoyenniste et à leurs propres limites et/ou risques de " dérives ". Nous avons conscience que notre modeste contribution ne répond que partiellement à de nombreuses questions mais nous avons voulu participer de la sorte à un nécessaire débat sur le citoyennisme et plus largement sur les moyens de mettre fin à des rapports sociaux, économiques et politiques ne correspondant pas à l’image que nous avons de l’être humain, de nous-mêmes.


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