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ÉLECTIONS, PIÈGE À… ANTI-ÉLECTORALISTES !? Adresse aux révolutionnaires... et aux « autres » !

posté le 29/03/17 par ecso Mots-clés  luttes sociales  alternatives  réflexion / analyse 
    • Le travail de la critique révolutionnaire n’est assurément pas d’amener les gens à croire que la révolution deviendrait impossible !
  • Guy Debord

La période électorale est souvent l’occasion pour les révolutionnaires, donc des (plus ou moins !) anti-autoritaires anarchistes, libertaires, communistes..., de critiquer le vote avec virulence, voire même d’attaquer des permanences de partis politique [1]. Avec tel appel à « contrecarrer cette mascarade électorale », certain·e·s invitent à « causer et nous organiser » ; avec tel autre, d’autres s’imaginant ingouvernables proposent de « rouvrir la question révolutionnaire en période électorale » ; etc. Ainsi, je me demande non sans naïveté, et en connaissant un peu leurs « discours », quelle possibilité ont-ils·elles de rencontrer, déjà, puis de dialoguer/débattre avec des personnes ne croyant plus au vote mais votant blanc pour signifier leur mécontentement, voire avec des personnes se résignant encore à voter. Car à qui s’adressent-ces révolutionnaires anti-électoralistes avec leurs idées radicales et leurs appels ? Tout d’abord, il me semble que le fait de vouloir parler/débattre de la question des élections, du fait de voter ou non, durant ce moment électoral, est plutôt à double tranchant.

DES CERVEAUX EMBROUILLÉS ?

On pourrait, en effet, se dire qu’au vu de l’enjeu (s’il en est) que représente ces élections – un·e nouv·eau·elle guignol·e à la tête du pays, avec les changements que cela devrait engendrer dans l’organisation de celui-ci pendant la période du mandat, voire plus –, les citoyens et citoyennes sont accaparé·e·s par ce grand spectacle de publicité politicarde qui leur est servit comme autant de repas indigestes mais à la sauce de promesses spécieuses : que ce soit à la télé bien sûr, à l’occasion de meetings, ou par les campagnes des divers partis politiques. Dans ce cas, quelle place reste-t-il dans les cerveaux de ces citoyens et citoyennes qui sont enfin appelé·e·s – ça faisait tout de même depuis les précédentes élections ! – à servir à quelque chose dans la vie politique de leur pays (ce qu’un certain auteur a appelé la « démocratie à date fixe » !). Ce rendez-vous politico-citoyen convoque donc aussi les révolutionnaires « anti-électoralistes » (pour les nommer facilement) cité·e·s en début de texte. Il est donc surprenant que des individu·e·s, parfois aussi des groupes, s’alignent sur l’agenda des politicard·e·s et participent eux et elles aussi, bien qu’à leur manière, à ce grossier jeu « démocratique », en portant leur voix, évidemment pas pour tel ou telle candidat·e, mais en exposant en mots leur idées aux personnes qui... iront voter blanc, ou plutôt à celles qui hésitent, ou alors à celles qui voteront pour tel ou telle candidat·e ? À qui en fait ? Aux révolutionnaires eux et elles-mêmes ? À quiconque tombera sur leurs appels ? L’enjeu pour ces anti-électoralistes est-il de convaincre de ne pas voter ? Cela me fait aborder le second tranchant.

DES CERVEAUX À L’ÉCOUTE ?

Mise à part le saccage de l’attraction électorale et ses partis promouvant leur candidat·e, la volonté de certain·e·s anti-électoralistes serait-elle de débattre en partant de leurs discours – et donc de convaincre, au final ? Cela voudrait dire qu’ils pensent que c’est un moment favorable pour parler des élections et du vote – évidemment, me dira-t-on, car c’est ce qui se trame dans tout le pays. Mais que ces révolutionnaires attendent la période électorale pour appeler à perturber de la sorte la machinerie parlementariste et gouvernementale, cela en dit assez sur leurs capacités à devenir une véritable menace contre l’État et son gouvernement. Et que ces certain·e·s d’entre eux et elles soient lucides sur cet état de fait, ne veut pas dire que cela soit quelque chose qu’il est bon de dire, comme en atteste la citation du Pape situationniste en exergue de ce texte – et à laquelle j’ajouterai : mais ce « travail » de la critique révolutionnaire est-il d’amener les gens à croire que la révolution deviendrait possible ? Que leur restent-ils à dire, alors, à l’heure où le moment électoral va bientôt battre son plein ? Le slogan « Grève des électeurs [et des électrices] », en plus d’être le titre d’un pamphlet exaltant d’Octave Mirbeau, est une formule que certain·e·s révolutionnaires anti-électoralistes portent aujourd’hui (et qui est utilisé à nouveau comme titre d’un texte [2]). Ainsi, si l’on peut parler de grève c’est que l’on est passé, ou que l’on va passer d’une situation/activité, ou en l’occurrence d’un geste citoyen pratiqué : le vote ; à l’arrêt de cette situation/activité, et donc ici au fait de ne plus voter. Mais alors ce n’est pas une affirmation des anti-électoralistes les concernant eux et elles-mêmes, car évidemment ces personnes ne votent déjà pas/plus ! De leur part, ce slogan à destination des votards et votardes n’est ni prôné ni revendiqué – ce qui se comprendrait aisément car la posture qui est celle dans la demande/la réclamation, par exemple à coup de (cyber)pétitions, de lobbying, etc., ou de votes, est quelque chose qui est rejeté, à raison, par les révolutionnaires. Ce slogan me paraît alors être simplement un souhait affiché, et même une exhortation. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas exempt de tout attente, voire d’une sorte de subordination – car avec qui faire la révolution !? _

NE PAS VOTER OU NE PLUS VOULOIR ÊTRE REPRÉSENTÉ·E·S...
TELLE EST LA QUESTION !

Si l’on accepte ainsi cette exhortation à la grève, ce qui me paraît tout à fait souhaitable, il ne faudrait pas se méprendre, me semble-t-il, sur l’enjeu d’une agitation pendant cette période électorale ; et ce même si à l’heure où j’écris ces lignes : « 40% des électeurs [et électrices] ne savent encore pas pour qui ils [et elles] vont voter. » France « Intox », le 28/03/2017). Car, bien plus que de convaincre de ne pas voter – ce qui ne manquerait pas d’engendrer l’éternelle question : « Qu’est-ce que vous proposez à la place ? » –, il me paraîtrait plus pertinent de débattre (si l’on n’est pas encore désillusionné !) avec les personnes qui doutent le plus à l’endroit de la démocratie représentative, du fait d’être réprésenté·e·s, de confier l’organisation de la vie, de sa propre vie, entre les mains de gouvernant·e·s et représentant·e·s de l’État. Et c’est d’ailleurs bien ce qui est porté dans le texte des compagnon·ne·s de Caen : « À la suite de la tradition anarchiste et anti-autoritaire, c’est bien le pouvoir, la représentation et les formes de luttes indirectes que nous souhaitons anéantir ». Ce à quoi encore quelques abstentionnistes, certain·e·s citoyens et citoyennes votant blanc, et d’autres, rétorqueront : « Comment faire pour s’organiser sans tenir compte des représentant·e·s gouvernement·aux·ales et étatistes, et surtout comment faire pour anéantir toute cette merde ? » C’est là que ça se complique et qu’à mon avis la question suivante se pose grandement : quelles pratiques (je n’ai pas dit « solutions » !) et quels moyens ces révolutionnaires possèdent-ils·elles, qu’ils·elles pourraient transmettre aux personnes se trouvant démunies en cas d’abandon du manège et de la supercherie que constituent l’électoralisme et la politique ? Accepteraient-ils que ces personnes s’organisent avec eux et elles ? Cela serait-il possible et même souhaitable pour les révolutionnaires, et dans ce cas sur quelles bases ? Ou alors ces personnes devront-elles apprendre à s’organiser comme elles peuvent, en gageant qu’elles deviennent à leur tour des révolutionnaires ? _

L’INDIVIDU·E ET SON MONDE

Je ne souhaite aucunement répondre à ces questions, encore moins le faire à la place des révolutionnaires. Je dirai uniquement que s’il est vrai que « le meilleur des gouvernements est celui qui ne gouverne pas du tout », je ne pense pas que viendra (de sitôt) la révolution (un poil plus l’insurrection !), pas plus qu’il est possible que se construise une société anarchiste/ libertaire/communiste. Je ne souhaite, néanmoins, pas abandonner certaines formes de lutte qui me vont (peu importe lesquelles, ça m’appartient) – sans pour autant placer la lutte au-dessus de moi et oublier la recherche de moments de liberté vécue. Car ce n’est qu’en m’associant avec d’autres individualités dont je me sens proche et sans illusion de révolution à la clé, que je peux/pourrai au maximum avoir prise sur ma vie et m’extirper autant que faire se peut/se pourra des entraves de la société dans laquelle nous vivons (presque) toutes et tous – à notre manière. Malgré cela, il est une question de dimension qui me paraît centrale dans le rapport à soi et à la lutte ; le fait de m’organiser avec des individu·e·s dans ma ville, en France ou même internationalement (!), ne veut pour moi en aucun cas dire que l’organisation de la vie devrait se faire autrement qu’à l’échelle de mon monde, car je ne peux rien à l’égard de ce qui est hors de ma portée ; ne possédant ni les moyens de changer le monde ou de « détruire l’existant », ni l’envie de convaincre n’importe qui à œuvrer pour ma liberté, qui n’a rien à voir avec la Liberté – si telle chose existe ! Partant de là, je ne peux donc « changer la vie », mais je peux faire ce choix de m’associer le plus librement possible ; et il me semble que c’est à chaque individu·e selon ses envies, ses moyens, ses capacités... en somme selon son individualité et ses idées, avec les possibles s’offrant à lui·elle, de parvenir à son épanouissement en luttant – ou non ! – contre ce qui l’en empêche et l’en empêchera.

« Chacun marchons pour notre joie. Et s’il reste des gens sur les routes, s’il est des êtres que rien n’éveille, s’il reste des esclaves nés, des peuples indécrassablement avilis, tant pis pour eux ! […] Nous n’avons pas le temps de marquer le pas : la vie est brève. Individuellement nous courons aux assauts qui nous appellent. » [3].

ecso,
Grenoble, le 29 mars 2017


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