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Histoire de l’individualisme

posté le 15/05/17 par Alain Laurent Mots-clés  répression / contrôle social  antimilitarisme  histoire / archive  réflexion / analyse  antifa 

L’individualisme repose avant tout sur la conviction que l’humanité est composée non pas d’abord d’ensembles sociaux (nations, classes...) mais d’individus : d’êtres vivants indivisibles et irréductibles les uns aux autres, seuls à ressentir, agir et penser réellement. Cette figure de l’individu renvoie à un état de séparation originelle qui, en rendant chaque être humain différent et unique, constitue chacun d’eux en une unité singulière (ipséité) relativement autosuffisante. L’homme n’est donc pas la simple cellule d’un organisme social qui en serait la finalité et le prédéterminerait, ou la partie d’un tout qui la précéderait et le transcenderait - comme le veut la vision opposée du holisme (du grec holos : un tout) pour qui existent en premier des entités supra-individuelles globales (le groupe, la société...) agissant comme des superindividus (d’un point de vue individualiste, ces « êtres sociaux » sont de pures fictions). (...)

Max Stirner publie L’unique et sa propriété (1844) - véritable « Bible » de l’individualisme de rupture. Dans une perspective cette fois-ci résolument athée, il dénonce avec véhémence ces ennemis tout-puissants de l’individu que sont les êtres collectifs : « Humanité », « Peuple », « Nation », « Société » ou « Etat », qui sont certes autant de fantômes et d’entités abstraites mais que les esprits socialement conditionnés en sont venus à prendre pour de respectables réalités et auxquelles ils laissent sacrifier leur individualité. L’unique réalité, c’est le « moi » de chacun - tout le reste n’étant que creuse rhétorique destinée à empêcher ou dissuader l’individu de devenir le seul maître et propriétaire de soi, et à en jouir souverainement.

Nul plus que Stirner n’a osé conjuguer l’individualisme et l’égoïsme, entendu comme poursuite par l’individu de son intérêt propre - et ceci d’une manière positive. Ainsi il revient à chacun de se créer et se suffire à lui-même : « L’individualité, c’est-à-dire ma propriété, c’est moi-même. Je suis libre vis-à-vis de ce que je n’ai pas ; je suis propriétaire de ce qui est en mon pouvoir, ou de ce dont je suis capable. Je suis en tous temps et en toutes circonstances à moi du moment que j’entends être à moi et que je ne me prostitue pas à autrui. »

Dans la logique anarchiste qui est la sienne, le libéralisme participe autant que le socialisme à l’imposture et la tyrannie générales car s’il libère quelque peu le citoyen, il oublie l’individu vivant et réhabilite l’Etat en le baptisant « de droit ». Pour Stirner, seule une intransigeante insoumission aux pseudo-autorités sociales, politiques et religieuses peut permettre à la souveraineté individuelle de s’accomplir dans l’amour « égoïste » de soi. Cela ne condamne pas l’individu à une stérile autarcie mais constitue la condition de possibilité d’une association volontaire et sélective avec d’autres « égoïstes ». Si la conception stirnerienne de l’individu propriétaire de soi a été à l’origine d’un courant anarcho-individualiste historiquement marginal, on ne saurait compter Nietzsche parmi ses adeptes tant l’exceptionnelle envergure de son voyage au bout de l’individualité singulière et indépendante le met à part et bien au-delà de tout ce qui l’a précédé (ou suivi). (...)

L’anti-individualisme théorique du rousseauisme a très vite engendré une pratique des plus révélatrices lors de la seconde phase de l’épisode révolutionnaire français : la Terreur. C’est au nom de la « volonté générale » inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’on entreprend alors d’expulser l’individu inscrit dans les institutions démocratiques de la première période par les libéraux (Girondins) - et surtout la répression violente et l’extermination de ceux-ci. Dans La guillotine et la Terreur (1987), D. Arasse explique : « En 1793, l’individualisme est anti-révolutionnaire car dans un Etat en révolution, il ne peut exister qu’une entité dans laquelle se fondent tous les individus : l’Etat ( ... ) La guillotine indique que l’ennemi à abattre n’est autre que l’individu qui a choisi sa propre volonté particulière au détriment de la volonté générale. » (...)

http://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2011/01/Histoire-de-lindividualisme.pdf


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