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Lénine ou l’utopie au pouvoir

posté le 18/10/17 Mots-clés  histoire / archive 

« Se transformer en son contraire, aboutir finalement à un point diamétralement opposé au point de départ, c’est le sort fatal de tous les mouvements historiques qui ignorent leur genèse et leurs conditions d’existence et qui, pour cette raison même, s’orientent vers des buts purement illusoires. Ils sont corrigés inexorablement par l’ironie de l’histoire. » (Engels, 1890.)

L’UTOPIE est redevenue à la mode. « L’utopie, c’est le désir », nous dit-on en oubliant d’ajouter que si le désir n’était qu’utopique l’humanité se serait éteinte dès la première génération. « L’esprit de l’utopie, c’est le principe espérance », nous assure tel naufragé du millenium, en omettant de rappeler que, si l’espérance ne portait que sur des chimères, on en serait encore à l’âge des cavernes. « L’espérance, ajoute un autre, est un mirage qu’aucune caravane n’a jamais atteint, mais, sans elle, aucune caravane jamais ne partirait ». Rien de plus faux ! Toutes sortes de caravanes, guerrières ou pacifiques, civilisatrices ou dévastatrices, se sont mises en marche au long de l’histoire, mais dans l’immense majorité des cas, les bonnes ou mauvaises espérances qui les guidaient étaient tout ce qu’ont veut, sauf des mirages. Contrairement aux fabulations révolutionnaires, issues d’on ne sait de quel christianisme perverti, toute espérance n’est pas nécessairement bonne, et c’est précisément en tournant le dos aux mirages et en combattant meurs propres mauvaises espérances que les hommes ont pu remporter quelques insignes victoires sur l’ignorance et la servitude. Ce n’est pas par le voyage en Icarie (pour ne rien dire des festins fouriéristes...), c’est en explorant le « champ du possible » que la classe ouvrière, par exemple, a pu, peu à peu, conquérir des droits et des pouvoirs qui, hier inconcevables, paraissent aujourd’hui naturels, donc limités, insatisfaisants, extensibles, perfectibles, dépassés. Chaque fois, au contraire, que les individus, les masses ou les nations se sont pris au piège de l’utopie, le résultat fut toujours le même : l’échec, le mensonge et le meurtre.

« Il faut utopianiser l’univers », disait le pauvre Cabet. Mais ce qui n’était alors qu’une phrase creuse d’orateur de club, a été « scientifiquement » expérimenté par notre siècle de fanatiques et d’assassins travestis en agents d’exécutions du Jugement dernier : prophètes de la « lutte finale » et administrateurs de la « solution » également « finale ». Nous avons aujourd’hui que le seul moyen d’ « utopianiser » quoi que ce soit, c’est de l’anéantir. L’espoir de purger le monde des races impures et autres « sous-hommes » a bien failli se réaliser dans la nuit et le brouillard, tandis que l’utopie d’une humanité purgée des classes « historiquement condamnées » a donné le Goulag et sert toujours à légitimer la tyrannie.

Aussi, est-ce avec un véritable soulagement que nous retournerons aux temps bénis où le mot « utopie » avait un sens nettement péjoratif. Relisons Lénine : « L’utopie est un mot grec : “u” en grec signifie “non”, “topos” signifie “lieu”. L’utopie est un lieu inexistant, un fruit de l’imagination, un conte de fées. L’utopie en politique, c’est le genre de souhait qui ne peut être réalisé ni maintenant ni jamais » [1]. Même si à la place de « jamais » (mot qu’il ne faut jamais prononcer), on lit « dans un avenir humainement prévisible », il est manifeste que la définition léninienne ne vaut que pour les « bonnes » utopies : en effet, contrairement aux « mauvaises » utopies qui, elles, relèvent d’un art simple et tout d’exécution, la « bonne » utopie n’est qu’un projet purement et simplement irréalisable, et l’unique question qui se pose est comment faire pour que le conte de fées ne tourne pas au cauchemar.

Pareille question n’a jamais frôlé l’esprit de Lénine. C’est qu’il était absolument sûr que le temps de l’utopie était définitivement révolu et que l’humanité disposait enfin d’une clé « scientifique » pour ouvrir les portes de l’avenir. Cette clé était le marxisme ou « socialisme scientifique ». « Nous nous plaçons entièrement sur le terrain de la théorie de Marx : elle a été la première à faire du socialisme, d’utopie qu’il était, une science », affirmait-il dans un écrit de 1899 intitulé « Notre programme » (4, p. 216) ? [2] Vingt ans plus tard, lors de la mémorable discussion sur ce monument d’utopisme livresque que fut le premier programme du parti bolchévik en tant que Parti communiste au pouvoir, Lénine déclarera avec la même tranquille assurance : « Nous sommes tenus de partir de cette idée marxiste, reconnue de tous, qu’un programme doit être édifié sur une base scientifique » (29, p. 190). Emporté par l’enthousiasme « scientifique », il ira même jusqu’à dire : « Engels qui, avec Marx, a jeté les bases du marxisme scientifique » (29, p. 205)...

« Marxisme scientifique » ! Pourquoi pas « marxisme marxiste » ou « science scientifique » ? Quand on sait que dans l’esprit de Lénine « scientifique » signifie tout simplement : conforme aux citations disponibles de Marx et d’Engels (je souligne le mot disponibles parce qu’une grande partie de l’oeuvre de Marx était inconnue à l’époque de Lénine), on ne s’étonnera pas de cette apparente tautologie... Fin mars 1920, alors que la Russie et l’Ukraine étaient ravagées par le typhus et la famine, Lénine déclarait avec toujours la même tranquille assurance : « Notre révolution se distingue des précédentes en ce qu’elle est exempte d’utopisme » (30, p. 468). En fait, la révolution léniniste se distingue de toutes les précédentes en ce qu’elle fut la première qui ait voulu se fonder sur la « science » marxiste, c’est-à-dire sur des citations. Comme le dit Nadejda Mandelstam avec sa profondeur coutumière, « les hommes qui ont proclamé le moteur de l’histoire, c’est l’infrastructure, le facteur économique, ont démontré par toute leur pratique que l’histoire était le développement et l’incarnation d’une idée – l’idée qu’il existe une vérité scientifique absolue, connue des hommes, et que les hommes qui la possèdent peuvent prévoir l’avenir et modifier selon leur entendement le cours de l’histoire. De là provient l’autorité de ceux qui détiennent cette science : prioritas dignitis. Cette religion (que ses adeptes qualifient modestement de science) élève l’homme imparti d’autorité au niveau de Dieu » [3]. C’est ces hommes-dieux que nous verrons en action. Et nous verrons aussi comment l’inexorable « ironie de l’histoire » les a amenés à faire le contraire de ce qu’ils imaginaient faire.

LA CRISE RÉVOLUTIONNAIRE

Depuis la révolution de février, la Russie était devenue, au dire de Lénine, « le pays le plus libre du monde » (36, p. 449) ; La guerre, qui avait balayé l’autocratie, sapait chaque jour davantage ce qui restait de l’autorité. Saignées à blanc, conduites de défaite en défaite, les armées russes disparaissaient dans la tourmente, tandis qu’à l’intérieur la disette, la pénurie de matières premières, la paralysie des transports, l’avilissement de la monnaie achevaient de démanteler et de discréditer les institutions. La guerre, c’est-à-dire l’armée allemande avait fait plus de la moitié de la révolution ; la révolte des nationalités, les jacqueries paysannes, l’opposition croissante entre la ville et la campagne, l’efferverscence anarcho-maximaliste dans les deux capitales et les soviets feraient le reste.

Tout compte fait, les soviets de 1917 (de même que les soviets hongros pendant la révolution antitotalitaire de 1956) étaient des instruments de dissolution de l’Etat, plutôt que de véritables organes de gouvernement : expression chaotique de toutes les forces centrifuges que recélait l’Empire des tsars et sa « prison des peuples », poussée paroxystique de l’anarchisme russe, ils avaient quelques chances de subsister comme formes d’auto-administration locale, mais devaient fatalement s’effacer dès que le besoin de reconstituer un Etat moderne se ferait sentir.

C’est pourtant cet état, pour ainsi dire colloïdal, de la matière politique et sociale, que Lénine et les bolcheviks érigèrent en idéal et en critère exclusif du « démocratisme » pendant les mois qui précédèrent l’insurrection d’Octobre. Les soviets leur apparaissaieent comme la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat, qui permettrait de réaliser un Etat du type de la Commune de Paris, c’est-à-dire un Etat sans armée permanente, sans police, sans bureaucratie, où la fonction gouvernementale cesserait d’être le privilège d’un groupe spécialisé incontrôlable et deviendrait l’affaire quotidienne de tous les citoyens.

Le moment était venu de mettre en application le programme socialiste, les enseignements que Marx tira de la Commune de Paris et que ses disciples, devenus réformistes, opportunistes, « social-traîtres », avaient oubliés, enterrés, bafoués, falsifiés. Ces termes – et les anathèmes de rigueur – reviennent sans cesse comme un leitmotiv obsédant dans tous les écrits de Lénine de cette période. Et c’est précisément pour défendre la vraie doctrine de Marx contre la « diffusion inouïe des déformations du marxisme » (25, p. 418) que Lénine écrivit en août-septembre 1917, alors qu’il était traqué par la police comme agent de l’ennemi, l’ouvrage fondamentl qu’il tenait en quelque sorte pour son testament spirituel : l’Etat et la Révolution [4].

Le propos de Lénine était apparemment modeste : il s’agissait de « reconstituer la véritable doctrine marxiste de l’Etat » à l’aide d’une longue série de citations minutieusement choisies et commentées. En fait, il s’agissait de démontrer la « trahison » de la social-démocratie officielle et de fonder la légitimité « marxiste » d’une révolution que les menchéviks ainsi que bon nombre de bolchéviks tenaient pour prématurée et vouée à l’échec : si, un mois avant le coup d’Etat, Lénine s’est mis à collectionner les citations de Marx et d’Engels, c’est parce qu’il croyait que les soviets allaient exterminer le « monstre le plus froid » et mettre fin pour toujours à l’oppression du citoyen par l’Etat aussi bien que celle du producteur par le capital.

« On nous confondra avec les anarchistes », dit ironiquement Lénine (24, p. 80). Mais il fallait surtout craindre d’être confondus avec les « traîtres du prolétariat » qui ont passé sous silence « la similitude du marxisme avec l’anarchisme, avec Proudhon comme avec Bakounine ». (ER, p. 494).

C’est au nom de l’idéal libertaire que Lénine mènera sa grande bataille contre la démocratie bourgeoise et ses « libertés formelles ».

« La république parlementaire bourgeoise », répète inlassablement Lénine, « entrave, étouffe la vie politique autonome des masses, leur participation directe à l’organisation démocratique de toute la vie de l’Etat, de bas en haut » (24, p. 61). La démocratie parlementaire constitue, certes, un « progrès par rapport au moyen âge » ; elle n’en est pas moins une démocratie « étroite, tronquée, fausse, hypocrite ». En théorie, le pouvoir appartient à la représentation populaire. En réalité, la liberté du citoyen est réduite à une simple apparence par l’appareil administratif de l’Etat moderne, « par l’armée permanente, la police, la bureaucratie ».

« Considérez, dit Lénine, n’importe quel pays parlementaire, depuis l’Amérique jusqu’à la Suisse, depuis la France jusqu’à l’Angleterre, la Norvège, etc. Les vraies affaires de l’Etat sont réglées dans la coulisse, par les bureaux, les chancelleries, les états-majors » (ER, p. 457). « L’Angleterre et l’Amérique elles-mêmes, les plus grands représentants de la “ liberté ” anglo-saxonne, ont glissé entièrement dans le marais fangeux et sanglant des institutions militaires et bureaucratiques, qui se subordonnent tout et écrasent tout de leur poids » (ER, p. 449).

La démocratie suisse était l’ombre d’un rêve par rapport à l’avenir que promettaient les soviets. A la démocratie « châtrée » du parlementarisme, les soviets opposaient des institutions où « la liberté d’opinion et de discussion ne dégénère pas en duperie ». Il s’agissait de dépasser le parlementarisme, non en supprimant les institutions représentatives (« Nous ne pouvons imaginer une démocratie sans institutions représentatives »), mais en donnant à celles-ci le maximum d’efficience et de pouvoir. Suivant l’exemple de la Commune de Paris, les soviets devaient supprimer la séparation du travail législatif et exécutif et commencer « sans délai » à construire une nouvelle machine administrative permettant de supprimer graduellement toute bureaucratie.

« Nous ne sommes pas utopistes », répète Lénine (ER, p. 460). « Cela n’est pas une utopie ; c’est l’expérience de la Commune, c’est la tâche directe, immédiate du prolétariat révolutionnaire ». Le remplacement de l’armée et de la police par une milice populaire, l’éligibilié et la révocabilité complètes de tous les fonctionnaires sans exception étaient les « moyens infaillibles » qui permettraient au prolétariat victorieux de domestiquer sa propre administration et de l’empêcher de redevenir un corps « séparé du peuple ».

Elus au suffrage universel, responsables et révocables « à tout instant » par leurs mandants, les fonctionnaires cesseraient d’être une caste de « prêtres à l’Etat » pour devenir les serviteurs de la collectivité. Et pour leur enlever toute possibilité de s’élever de nouveau au-dessus de la société, il fallait « supprimer tous frais de représentation, tous privilèges pécuniaires attachés aux fonctionnaires, réduire les traitements de tous les fonctionnaires au niveau du salaire ouvrier normal » [5].

« C’est la justement, dit Lénine, qu’apparaît avec le plus de relief le tournant qui s’opère de la démocratie bourgeoise à la démocratie ouvrière... Et c’est sur ce point particulièrement évident – et en ce qui concerne la question de l’Etat le plus important entre tous – que les enseignements de Marx sont les plus oubliés ! Les commentaires de vulgarisation – ils sont innombrables – n’en soufflent mot. Il est admis de taire cela comme une chose puérile qui a fait son temps, exactement comme les chrétiens ont oublié les “ puérilités ” du christianisme primitif » (ER, p. 454).

Cette mesure « particulièrement évidente », « peut-être la plus importante » en ce qui concerne l’organisation politique de la société nouvelle, devait naturellement se compléter par une série de mesures tendant à démocratiser le processus même de la production et à introduire le socialisme dans la « base écnomique » de la société. L’égalité n’aurait de sens que dans la mesure où elle se conjuguerait avec la démocratie à l’usine.

L’AUTOGESTION OUVRIÈRE

Sur ce point aussi les « opportunistes » avaient complètement falsifié l’idée marxienne de l’« auto-gouvernement des producteurs ». D’après ces « traîtres », la complexité des techniques modernes nécessite le maintien d’un appareil bureaucratique spécialisé ; pour Kautsky par exemple, les ouvriers devraient renoncer aux fonctions de direction et se contenter d’un simple contrôle de la gestion bureaucratique. Ce programme minimal de « contrôle ouvrier » provoque de nouveau les foudres de Lénine. Il fallait débureaucratiser complètement l’appareil de gestion et adopter « immediatement » des mesures « afin que tous remplissent les fonctions administratives, que tous deviennent pour un temps “bureaucrates” et que, de ce fait, personne ne puisse être bureaucrate » (ER, p. 520). Il fallait passer directement à la gestion ouvrière de la production et « extirper pour toujours l’ivraie bureaucratique ». « L’organisation de la production incombe entièrement à la classe ouvrière », disait Lénine en décembre 1917. « Rompons une fois pour toutes avec le préjugé qui veut que les affaires de l’Etat, la gestion des banques, des usines, etc., soit une tâche inaccessible au ouvriers » (26 p. 382). La dénonciation de ce préjugé « absurde, barbare, infâme et odieux » est un thème constant de la littérature bolchéviste pendant la courte période où le mot dictature du prolétariat conservait encore quelque sens. Aussi le paragraphe 5 de la partie économique du programme du parti (adopté en 1919) proclamera que « les syndicats doivent aboutir à concentrer pratiquement entre leurs mains toute la direction de l’ensemble de l’économie nationale en faisant participer les masses à la gestion de l’économie. »

« L’essentiel », disait Lénine en octobre 1917, « c’est d’inspirer aux travailleurs la confiance dans leur propre force. L’essentiel, c’est de rompre avec le préjugé des intellectuels bourgeois d’après lequel seuls de spécialistes peuvent organiser la société socialiste » (26, p. 110).

Répétées à satiété, avec une ferveur toute religieuse, pendant les mois qui précédèrent et suivirent octobre, ces formules débordantes de « confiance », où se résume la mythologie spécifique de la phase ouvrière de la révolution russe, autorisaient un optimisme fortement teinté de messianisme, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il servait à masquer plutôt qu’à résoudre les vrais problèmes. Aussi Lénine était-il fermement persuadé que son programme d’autogestion totale et universelle n’était pas un idéal relégué dans un avenir lointain, mais le fruit des tendances les plus profondes de l’économie moderne. C’est du moins la thèse qu’il expose avec force détails dans une des pages les plus étonnantes de l’Etat et la Révolution. A l’en croire, le capitalisme moderne avait « réduit » les fonctions de gestion et d’administration « à de si simples opérations d’enregistrement, d’inscription et de contrôle, qu’elles seront parfaitement à la portée de tous les hommes pourvus d’un minimum d’instruction ». « Recensement et contrôle, voilà », disait-il, « l’essentiel, et pour l’organisation et pour le fonctionnement régulier de la société communiste dans sa première phase ». Il ne lui venait pas à l’esprit que l’Etat révolutionnaire allait planifier la quasi-totalité de la production et de la distribution et cela dans un pays où une écrasante majorité de paysans illettrés employaient encore la charrue de bois. Et trois fois plutôt qu’une, il proclamera que le recensement et le contrôle ont été « simplifiés à l’extrême par le capitalisme, qui les a réduits aux opérations les plus simples de surveillance, d’enregistrement et de délivrance de reçus correspondants (sic) – toutes choses à la portée de quiconque sait lire et écrire et connâit les quatre règles d’arithmétique. » [6]

Simpicité, facilité... Le premier contact avec les réalités du pouvoir suffira pour dissiper ces pieuses fantasmagories. Comme le personnage de Dostoïevski, Lénine découvrira à son tour que le meilleur moyen pour aboutir au despotisme illimité c’est de partir de la liberté illimitée.

DU RÊVE À LA RÉALITÉ

Lénine avait jusqu’alors fondé toute son action sur l’axiome de l’incapacité politique des masses et la primauté de l’élite des « révolutionnaires professionnels ». Voilà qu’il semblait subitement acquis aux idées quasi anarchistes de la démocratie intégrale et mettait une sourdine à ses conceptions si peu démocratiques sur le « principe bureaucratique » et le primat du parti. De cela, on ne trouve pas la moindre trace dans l’abondante littérature léninienne traitant des institutions soviétiques durant l’année 1917. En revanche, les précisions abondent en ce qui concerne la vie des partis sous la « dictature du prolétariat ». Le système des soviets était censé représenter une forme supérieure de démocratie parce que, entre autres, il serait seul capable « d’assurer le développement pacifique de la révolution, l’élection pacifique par le peuple de ses députés, la concurrence pacifique des partis au sein des soviets, l’expérimentation du programme des différents partis, le passage du pouvoir d’un parti à l’autre » (26, p. 62).

Personne ne pensait alors que la dictature du prolétariat pouvait passer par le règne du parti unique. Il n’est pas question du « rôle dirigeant du parti » dans l’Etat et la Révolution ; de même, la première Constitution soviétique (10 juillet 1918) passait encore sous silence l’hégémonie réelle – considérée comme provisoir – qu’exerçait le parti. Même après la prise du pouvoir, Lénine se plaisait à évoquer l’éventualité d’un changement gouvernemental au profit d’un autre parti que le parti bolchévik : « Même si les paysans élisent à l’Assemblée constituante une majorité socialiste-révolutionnaire (les socialistes-révolutionnaires étaient le parti auquel Kerensky était « apparenté » à la Douma) nous dirons encore : soit ! Nous devons laisser pleine liberté au génie créateur des masses populaires » (26, p. 269). Tout devait être mis en oeuvre pour permettre à la représentation nationale de refléter le plus fidèlement possible les fluctuations de l’opinion populaire. Il fallait, par exemple, accorder aux électeurs le droit de rappeler leurs députés. Ainsi, disait Lénine, « le passage du pouvoir d’un parti à l’autre s’effectuera pacifiquement, simplement par de nouvelles élections » (26, p. 355).

En effet, les élections eurent lieu dans une relative liberté. Les bolchéviks recueillirent moins d’un quart des 41 millions de suffrages exprimés, 62 % allèrent aux socialistes modérés de diverses nuances, les socialistes-révolutionnaires – le parti paysan par excellence – ayant réuni le plus grand nombre de voix : plus de 15 millions. On connaît la suite : l’Assemblée constituante, rêve de plusieurs générations de révolutionnaires, se dispersa le premier jour (janvier 1918) sur sommation d’un marin anarchiste fraîchement converti au bolchévisme.

Cela n’a nullement ébranlé la foi millénariste de Lénine dans le « dépérissement » imminent de l’Etat. « Maintenant, oui, nous pouvons dire que nous possédons une organisation du pouvoir qui indique clairement le passage vers l’abolition complète de tout pouvoir, de tout Etat », disait-il au IIIe congrès des soviets en janvier 1918 (26, p. 487). Traçant un parallèle entre l’anarchisme et le bolchévisme, il se félicitait même de « voir les idées anarchistes prendre enfin des contours vivants » (26, p. 497).

Trois mois plus tard, des mesures policières décimèrent ces mêmes anarchistes, inaugurant ainsi la persécution générale qui devait amener le règne du parti unique. Puis (juillet 1918) vint le tour des socialistes révolutionnaires de gauche : leurs délégués au Ve congrès des soviets de Russie, où ils occupaient environ le tiers des sièges, furent arrêtés, et leurs journaux interdits. En même temps, les références rituelles au « dépérissement de l’Etat » se firent de plus en plus rares et imprécises. L’Etat et la Révolution venait juste de sortir en librairie lorsqu’au VIIe congrès du Parti (mars 1918), Boukharine, le principal théoricien du bolchévisme, proposa d’ajouter au programme une clause concernant le dépérissement de l’Etat. Lénine l’écarta froidement : « En ce moment, nous sommes absolument pour l’Etat (...). Proclamer à l’avance l’extinction de l’Etat, ce serait forcer la perspective historique » (27, p. 149).

C’est dans ce contexte que Rosa Luxembourg écrivit dans sa prison son admirable essai sur la Révolution russe. « La liberté réservée aux seuls partisans du gouvernement, aux seuls membres d’un parti, ce n’est pas la liberté », disait-elle. « En étouffant la vie politique dans tout le pays, il est fatal que la vie dans soviets eux-mêmes soit de plus en plus paralysée. Sans élections générales, sans liberté illimitée de la presse et de réunion, sans lutte libre entre les opinions, la vie se meurt dans toutes les institutions publiques, elle devient une pure apparence et la bureaucratie reste le seul élément actif. »

Trois ans plus tard les insurgés de Cronstadt demanderont, dans l’esprit de la Constitution soviétique et du programme d’Octobre, des élections libres aux soviets, la liberté de parole et de presse pour les ouvriers et les paysans, l’abolition des privilèges du parti et le retour à un gouvernement normal des soviets. Lénine et Trotsky ordonneront de bombarder ceux qu’ils appelaient naguère « l’orgueil de la révolution ».

Quelques mois après la prise du pouvoir, il ne restait plus grand chose des « moyens infaillibles » et des « mesures simples et allant de soi » dont il est question dans la rhétorique de 1917. Le « peuple armé » qui devait constituer une armée de volontaires « édifiés par en bas sur le principe de l’élection des officiers » (décret du 12 janvier 1918), va se transformer, avec Trotsky, en une armée aux méthodes de commandement traditionnelles. La police « amputée de ses attributs politiques » et remplacée par une milice populaire englobant hommes et femmes valides de 15 à 65 ans, n’a jamais existé que sur le papier.

Dès le mois de décembre 1917, deux mois après le coup d’octobre, Lénine songeait déjà au Goulag : de toutes les mesures « simples et allant de soi » qu’ils avaient imaginées pour mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme, ce sera la seule qui survivra à l’épreuve des faits pour connaître un développement prodigieux. Le régime qui avait promis d’abolir la police finira par la transformer en l’un des plus grands entrepreneurs de tous les temps. Quant à l’abolition de la bureaucratie, il suffit de rappelet qu’en trois ans de « socialisme scientifique », l’effectif de l’appareil administratif a été multiplié par cinq passant d’un peu plus d’un million en 1947 à 5.880.000 fonctonnaires vers la fin de l’année 1920. et loin de s’avérer « un corps agissant, législatif et exécutif à la fois », les Soviets se sont bientôt transformés en Chambres passives d’enregistrement. Comme dira Lénine en avril 1920 : « Dans notre République, il n’est pas une question importante, politique ou d’organisation, qui soit tranchée par une institution de l’Etat sans que le Comité Central du Parti ait donné ses directives (...). Les dix-neuf membres du Comité central dirigent le Parti ; le travail courant est confié à des collèges encore plus restreints appelés Bureau d’organisation et Bureau politique (...) Il en résulte donc la plus authentique “oligarchie” » (31, p. 42)

Des neuf personnes qui, aux côtés de Lénine, formaient cette « authentique oligarchie », huit on été exécutées comme traîtres, renégats et « monstres » par le neuvième, lequel fut à son tour dénoncé par ses héritier comme un tyran débile et sanguinaire...

Ce n’est pas exactement à ce genre de « démocratie avancée » que pensait Lénine lorsqu’il exaltait la supériorité du système soviétique sur le « parlementarisme vénal et pourri de la société bourgeoise » (ER, p. 459). Si, dans son imagination, le pouvoir soviétique était « des millions de fois plus démocratique des républiques bourgeoises » (28, p. 257), c’est qu’il était absolument persuadé que les bolcheviks allaient inaugurer l’« auto-gouvernement des producteurs » qu’annonçait la prédication marxiste.

DE LA COMMUNE DE PARIS AU « CAPITALISME D’ETAT ALLEMAND »

Dès les premiers pas de la Révolution, il devint manifeste que la gestion ouvrière était irréalisable dans un pays arriéré, ravagé par la guerre civile et la famine. L’epérience du contrôle ouvrier ne fit que démontrer avec éclat l’impossibilité de réaliser la socialistion dans un pays dont les bolcheviks avaient été unanimes – jusqu’en avril 1917 – à reconnaître le manque de maturité pour le socialisme. Dès avril 1918, Lénine se prononça pour le remplacement du contrôle ouvruer par la discipline du travail et l’emploi des spécialistes non communistes pour administrer les entreprises que les interventions « anarchiques » des ouvriers avaient complètement désorganisées. Voici le nouveau langage tenu aux ouvriers qui voulaient gérer eux-mêmes leur usine : « Vous désirez que votre fabrique soit confisquée ? Très bien, les textes des décrets sont prêts, nous pouvons les signer à l’instant même. Mais dites-moi : avez-vous su prendre la production en main, avez-vous calculé ce que vous produisez, connaissez-vous la liaison entre votre production et le marché russe et international ? » (27, p. 308)

Pas plus que les Communeux de 1871, les ouvriers ne connaissaient le rapport de leur production (qui périclitait faute de stocks et de transports) avec le marché russe (qui était en train de disparaître), et encore moins avec le marché international, complètement inexistant à l’époque... « Nous devons nous débarasser des vieux préjugés », disait Lénine (36, p. 536). Il ne s’agissait plus des « préjugés infâmes et absurdes » qu’il dénonçait autrement, mais de l’idée – universellement admise jusqu’à cette date – que la « dictature du prolétariat » signifiait aussi, et surtout, le self-government des ouvriers dans les usines, ce que niait Lénine : « La domination de la classe ouvrière est dans la Constitution, dans le régime de propriété et dans le fait que c’est nous qui mettons les choses en train ; mais l’administration, c’est autre chose, c’est une question de savoir faire, de compétence... Croyez-vous qu’on puisse administrer sans compétence, sans connaissanxes approfondies, sans science administrative. Ce serait ridicule » (36, p. 536).

L’« incompétence » des masses devenait le mot clé du nouveau régime. Ce n’était plus la Commune de Paris qui devait servir d’exemple. Tournant le dos et aux « leçons » de la Commune et aux « enseignements » de Marx, Lénine conviera désormais les ouvriers à se mettre à l’école de l’économie de guerre allemande :

« Oui, mets-toi à l’école de l’Allemand. Il se trouve que c’est l’Allemand qui incarne aujourd’hui, en même temps qu’un impérialisme féroce, les principes de discipline, d’organisation, de collaboration harmonieuse sur la base de l’industrie moderne » (27, p. 64).
« Il faut se mettre à l’école du capitalisme d’Etat allemand, tendre tous les efforts pour se l’assimiler, prodiguer les méthodes dictatoriales pour accélerer cette assimilation de la civilisation occidentale par la Russie barbare, ne pas reculer devant les moyens barbares pour combattre la barbarie » (27, p. 355).

Le « capitalisme d’Etat allemand », c’est-à-dire le système artificiel de direction centralisée de l’économie de guerre, qui devait disparaître dès la fin des hostilités, désignait désormais la quintessence de la civilisation occidentale... Il fallait imposer aux entreprises un « pouvoir fort et impitoyable », un régime de « dictature personnelle », assurant la « soumission de la volonté de milliers à celle d’un seul ». Une cinquantaine d’administrations centrales (glavki) correspondant aux différentes branches de la production et dirigées par des comités désignés par l’Etat concentrèrent entre leurs mains la gestion de l’économie : en outre, des traitements quatre à six fois supérieurs aux salaires ouvriers furent octroyés aux dirigeants des entreprises nationalisées : c’était, expliquait Lénine, la « taxe d’apprentissage » que la classe ouvrière devait payer pour sortir de son inculture et acquérir la « science administrative » qui lui manquait. Jamais Lénine n’a voulu dissimuler le caractère non socialiste de l’économie post-révolutionnaire. « Nous ne pouvons instituer immédiatement l’ordre socialiste », disait-il en décembre 1919. « Dieu veuille que nos enfants, et peut-être même nos petits-enfants, le voient s’établir chez nous » (30, p. 205). En attendant, il fallait renoncer à l’Etat – Commune, se soumettre à la dure discipline du « capitalisme d’Etat » et essayer de « tenir et ne pas mourir de faim ».

Trotsky alla encore plus loin. En réclamant en 1920-21 l’étatisation des syndicats et la militarisation de la main-d’oeuvre, en menaçant même de « démissionner » les dirigeants élus des syndicats et de les remplacer par des fonctionnaires dociles, Trotsky mérita pleinement le titre de « patriarche des bureaucrates » que, par une étrange ironie du sort, Staline lui décerna par la suite. Lénine qui, dans son Testament, lui reprochera un « engouement exagéré pour le côté administratif des choses », se désolidarisa de lui et appela le parti à lutter contre les « formes militarisées et bureaucratisées du travail ». L’Etat qu’exalte Trotsky est une « abstraction », déclara-t-il. « Notre Etat n’est pas ouvrier, mais ouvrier-paysan », et de plus « présentant une déformation bureaucratique » (32, p. 16-17). « Nous n’avons pas encore de fondement socialiste », dira-t-il un peu avant de mourir. « Ceux des communistes qui s’imaginent que ces fondements existent, commettent une très grande erreur » (33, p. 307).

Le régime économique étant un « capitalisme d’Etat » dépourvu de tout « fondement socialiste », les syndicats devraient rester autonomes pour « défendre les ouvriers contre leur Etat » : telle fut la dernière pensée de Lénine sur le rôle des organisations ouvrières dans l’édification de l’ordre économique nouveau.

L’OPPOSITION OUVRIÈRE

On a peine à imaginer contraste plus saisissant entre les promesses de la veille et les réalistes du lendemain, entre la théorie et la pratique. En 1921, les derniers bolcheviks à se rappeler le programme du parti étaient les membres de l’Opposition ouvrière, fraction qui était constituée par les principaux militants communistes du syndicat des ouvriers métallurgistes (le plus combatif des syndicats russes) et du syndicat des mineurs.

Conduite par A. Chliapnikov, premier commissaire du peuple au Travail, et Alexandra Kollontaï, l’Opposition ouvrière demandait l’administration de l’industrie par les syndicats, l’assainissement du parti et le rétablissement des moeurs démocratiques d’autrefois. « Les ouvriers demandent : qui sommes-nous ? », disait Kollontaï. « Sommes-nous réellement la base de la dictature de classe ou seulement un troupeau docile qui sert à soutenir ceux qui, après avoir coupé tous leurs liens avec les masses, appliquent leur propre politique et développent l’industrie sous le couvert assuré de la marque du parti sans se soucier de nos opinions ni de nos possibilités créatrices » [7]. Pour l’Opposition ouvrière, la bureaucratisation des institutions soviétiques était une conséquence fatale du rejet de la gestion ouvrière et de la bureaucratisation du parti lui-même. Si le Parti ajournait continuellement la réalisation de son programme (« dans “vingt-cinq siècles” », disair ironiquement Chliapnikov...), c’était parce qu’il avait perdu sa base prolétarienne (selon Kollontaï il n’y avait guère plus 17 % d’ouvriers aux postes-clés) et s’appuyait principalement sur les professionnels de la politique. De plus le Parti « faisait la chasse aux hérésies » et étouffait l’intitiative et la libre discussion. Pour combattre la « peste bureaucratique », il fallait montrer plus de « confiance en la force de la classe ouvrière », épurer le Parti de ses éléments non prolétariens et rétablir la démocratie au sein de ses organismes.

L’Opposition ouvrière accusait Lénine de « semer la terreur » avec le mot « syndicalisme ». En effet, pendant les années décisives 1920-1922, le « syndicalisme » prend la place du « trade-unionisme » dans le rôle du méchant de la fable. La gestion ouvrière, la démocratie économique, l’« auto-gouvernement des producteurs » dont parle Marx et l’Etat et la Révolution, désignent désormais une « déviation anarcho-syndicaliste petite-bourgeoise » ; pire : une « bourde », une « ineptie ». « Que signifie cela ? » dit Lénine. « Chaque ouvrier saurait-il administrer l’Etat ? Les gens pratiques savent que c’est une fable » (32, p. 56). « Les syndicats peuvent-ils assurer la gestion ? Tous ceux qui ont plus de trente ans et ont quelque expérience pratique de l’édification socialiste, éclateront de rire » (32, p. 61). Il fallait se débarasser des formules « quasi voluptueuses » sur la « démocratie de la production ». C’est « une fausse théorie, une vraie salade » (32, p. 19). « Rien à dire contre l’emploi de ce terme dans un discours, dans un article ». Autrement dit, on pouvait toujours se réclamer de la démocratie économique pour dénoncer la « démocratie formelle », mais non pour demander sa mise en application dans l’économie « socialiste » : « La production est toujours nécessaire, pas la démocratie. La démocratie de la production engendre une série d’idées radicalement fausses. Ce terme prête à confusion. On peut le comprendre comme une négation de la dictature » (32, p. 80). En effet, comment pourrait-on pratiquer à la fois la « démocratie de la production » et la dictature du parti unique ? Comment le parti pourrait-il continuer à refuser aux travailleurs leurs droits politiques et leur offrir en même temps le pouvoir économique dans les entreprises étatisées ?

Pendant que les idéologues dissertaient sur l’« autogestion » et le « capitalisme d’Etat », la Russie et l’Ukraine étaient ravagées par la famine la plus meurtrière qu’elles aient connue depuis le temps des invasions mongoles. Et ayant lu dans Le Monde du 15 févrirer 1977 un article de M. Jean Elleinstein sur cette question, je me suis empressé d’envoyer la lettre qu’on va lire (et qui ne fut pas publiée).

LA FAMINE DE 1921-22

M. Elleinstein écrit : « Soljenitsyne reste muet sur la grande famine de l’hiver 1921-1922 qui a causé la mort de plus de sept millions de personnes ». C’est le contraire qui est vrai. Relisons L’Archipel du Goulag, tome I, pages 247-248 :

« A la fin de la guerre civile et comme sa conséquence naturelle, une famine inouïe s’abattit sur le bassin de la Volga. Elle n’ajoute guère de lauriers aux vainqueurs de cette guère ; aussi l’expédie-t-on chez nous en deux lignes. Et pourtant quelle famine ce fut ! Jusqu’au cannibalisme, les parents mangeant leurs propres enfants – une famine comme la Russie n’en avait pas même connu au “Temps des troubles” (...) Un seul film sur cette famine jetterait sans doute un jour nouveau sur tout ce que nous avons vu, sur tout ce que nous savons de la révolution et de la guerre civile. Mais il n’y a ni films, ni romans, ni études statistiques – on cherche à oublier – ça gâte le tableau. »

En effet, on chercherait en vain la moindre étude approfondie de cette catastrophe dans les écrits de Lénine et dans les volumineux procès-verbaux des congrès et conférences du parti. Autrefois, Lénine avait retrouvé les accents de Jérémie pour fustiger la « famine » (insignifiante) de 1912 : « Tous les pays connaissent des mauvaises récoltes, mais il n’y a qu’en Russie qu’elles provoquent des calamités irréparables, qu’elles réduisent à la famine des millions de paysans » (17, p. 534). Tout autre est son langage durant le terrible hiver 1921-1922. « Notre situation économique s’améliore tous les jours », disait-il le 7 novembre. Aussi, en décembre 1921, au moment où, comme dit Soljentsyne, « dans le bassin de la Volga, on mangeait de l’herbe, des semelles de bottes, on rongeait les linteaux des portes » (p. 249), Vladimir Ilitch a trouvé le temps de se pencher sur les difficultés de l’électrification des campagnes... françaises : « Si le pouvoir des capitalistes se maintient, il est certain que l’électrification ne sera ni méthodique, ni rapide ; si tant est qu’elle se réalise, elle sera une nouvelle servitude pour les paysans français, un nouvel esclavage pour les paysans dépouillés par l’oligarchie financière » (33, p. 134).

En 1912, il parlait avec des accents vengeurs de « trente millions d’affamés » et prophétisait à tort : « La famine emportera des millions de vies » (17, p. 535) [8]. En 1921-1922, et bien qu’il ait souvent proclamé sa volonté d’« apporter la statistique au peuple » (27, p. 151), Lénine n’a nullement été tenté de chiffrer l’étendue de la catastrophe. Parlant en août 1921 des affamés de la région de la Volga (25 millions), il disait qu’ils « subissent un désastre à peine moins grand que l’effroyable désastre de 1891 » (32, p. 535). En fait, la famine de 1921-1922 fera dix fois plus de morts que ce que la famine et le choléra réunis de 1891 (700.000 morts), deux fois plus de morts que ce que les bolcheviks appelaient « le carnage » de la guerre de 14-18 (2,5 millions de tués plus 1,5 millions de décès de blessés et de grands invalides), sept fois plus de morts que la guerre civile (1 million), presque autant de victimes que la misère et la famine de 1918-1920 (7,5 millions).

Comment Lénine s’est-il aussi gravement trompé dans ses calculs ? Et comme dit Soljenitsyne (p. 249) : « Qui a conduit la Volga à la famine ? » A en croire l’Hérodote du P.C.F. , « malgré l’exceptionnelle sécheresse, la responsabilité incombe, dans une certaine mesure, aux armées blanches et à la politique de blocus et de cordon sanitaire des Etats capitalistes ».

« Dans une certaine mesure » ? « Quelle mesure » ? Dans quelle mesure le « blocus », levé le 16 janvier 1920, explique-t-il le fait qu’en 1920 la superficie des terres ensemencées représentait la moitié de celle 1917 ? Aux réquisitions et aux pillages (baptisés pompeusement « prélèvements socialistes ») les paysans répondaient par la grève des semences (forme élémentaire de la lutte de classes) et puis par l’insurrection armée, comme celle qui a été menée par des milliers de guérilleros paysans dans la région de Tambov (cf. L’Archipel du Goulag, I, pp. 31-32). Mais puisqu’il a été question du « blocus », il ne serait pas sans intérêt de rappeler l’attitude de Lénine envers ces « Etats capitalistes » auxquels il demandera du secours en 1921-1922. Pendant le terrible mois de décembre 1921, Lénine a trouvé le temps non seulement de s’inquiéter du sort de l’électrification dans les campagnes françaises, mais aussi d’évoquer « la guerre qui se prépare entre l’Amérique et le Japon ou l’Angleterre », guerre qu’il jugeait « inéluctable » et qui « entraînera forcément la France capitaliste, car celle-ci est mêlée à tous les crimes, atrocités et infamies perpétrés par l’impérialisme » (33, p. 130). Etant « scientifiquement » convaincu que l’Amérique ferait fatalement la guerre à l’Angleterre, à l’Europe et au Japon pour les dépouiller de leurs colonies, il avait posé comme principe d’« exploiter les antagonismes des Etats capitalistes en les excitant l’un contre l’autre » (discours du 6 déc. 1920). Et comme il croyait que l’Amérique ne faisait pas la guerre contre l’Angeleterre parce qu’elle n’avait pas encore assez de... pétrole, il ne pensait qu’à la manière d’accélérer ce processus « inéluctable ». Aussi en avril 1921, deux mois avant le début de la famine, il câbla un mémorandum à Tchitchérine, commissaire des Affaires Etrangères : « Nous pouvons accorder aux Américains d’IMMENSES champs pétrolifères (Bakou, Grozny, Emba, Oukhta) et l’Amérique battra par conséquent l’Angleterre. Téléphoner dès réception de ma lettre » (t. 52, 5e édition, p. 120). Mais ce n’est pas pour cette raison que l’American Relief Administration viendra en Russie en septembre 1921 pour sauver des dizaines de millions de vies. Revenons à Soljenitsyne et à son prétendu mutisme. « Pourquoi, dit-il (p. 248), les gens de la Volga mangeaient-ils leurs enfants ? ». « Dans ses Lettres à Lounatcharski (jamais publiées chez nous, au mépris des promesses faites par le destinataire), Korolenko nous explique les raisons qui précipitèrent le pays dans la famine et la misère généralisées. La production était tombée sur toute la ligne et les paysans avaient perdu toute confiance, en même temps que l’espoir de garder pour eux la moindre fraction de la récolte ».

Lénine aboutira à la même conclusion lorsque les révoltes paysannes, les grèves et l’insurrection de Cronstadt l’obligeront à renoncer au rêve insensé du pseudo-socialisme scientifique. « Les prélèvements à la campagne ont empêché l’essor des forces productives et ont été la cause majeure de la crise », dira-t-il le 17 octobre 1921. Mais il était trop tard pour les affamés, et personne n’avait plus l’envie de se fier aux miracles abondantistes annoncé par l’Etat et la Révolution (p. 506) : « L’expropriation des capitalistes rendra possible un essor gigantesque des forces productives. Et voyant comment le capitalisme, dès maintenant, entrave incroyablement cet essor, et combien de progrès l’on pourrait réaliser grâce à la technique déjà acquise, nous sommes en droit d’affirmer, avec une certitude absolue (sic), que l’expropriation des capitalistes entraînera nécessairement un développement prodigieux des forces productives de la société ».

LE « POLITIQUE » ET L’« ÉCONOMIQUE »

Critiqué avec acharnement par une fraction qui rassemblait une grande partie, sinon la majorité des éléments ouvriers du parti, placé devant l’échec irrémédiable de son propre programme, condamné à se renier pour conserver le pouvoir face aux grèves et aux émeutes qui se multipliaient dans les villes et dans les campagnes, Lénine se retrouva, au moment de la révolte de Cronstadt, dans le même isolement sectaire qu’à l’époqie où il rédigeait Que Faire ? La similitude des situations provoqua l’identité des réflexes. Mais en 1921, Lénine n’était plus l’animateur d’un groupuscule de révolutionnaires professionnels ; il était le maître d’un Etat dont les prétentions totalitaires et la structure bureaucratisée et militarisée semblaient réaliser, jusqu’à la caricature, les principes oligarchiques qu’il avait depuis toujours inculqués au parti. Cette fois, la contestation de la « spontanéité » du prolétariat s’élargira jusqu’à une négation totale, radicale de l’autonomie de la classe élue et à plus forte raison de la société tout entière. La gestion ouvrière, affirme-t-il, est un mot d’ordre « fallacieux » et « dangereux ». Il était dangereux de parler de démocratie industrielle « dans une conjoncture où la bureaucratie est devenue manifeste aux yeux des masses » (32, pp. 26-27) : Lénine voulait dire là qu’aux yeux des masses, le parti se réduisait à un appareil bureaucratico-militaire en butte à l’hostilité ouverte de l’immense majorité des paysans et de la plus grande partie de la classe ouvrière. Dans ces conditopns, la démocratie à l’usine serait la « fin de la dictature du prolétariat ». « S’engager dans cette voie, c’est en fait jeter le parti par-dessus bord. Si c’est aux syndicats, c’est-à-dire aux neuf dixièmes des ouvriers sans parti, qu’est confiée la direction de l’industrie, à quoi sert alors le parti ? » (32, p. 44).

Poser la question de la gestion des usines en termes de « parti » et de « sans parti » était une nouveauté dans l’histoire de la pensée marxiste : l’économie – les « rapports de production » – cessait d’être la « base » de la société pour devenir une espèce d’épiphénomène de la politique au sens le plus étroit du terme. Aussi n’a-t-on pas manqué de reprocher à Lénine son « point de vue politique », son « attitude politique » envers le problème essentiellement économique de l’organisation de l’industrie. Mais cela n’était guère de nature à l’inquiéter. « La politique, répond-il, ne peut manquer d’avoir la primauté sur l’économie. Raisonner autrement, c’est oublier l’a b c du marxisme » (32, p. 82). La classe – phénmène économique – devait se soumettre au parti, détenteur exclusif de la vérité politique. « Le marxisme enseigne que seule l’avant-garde est en mesure de s’opposer aux inévitables oscillations petites bourgeoises des masses, aux inévitables traditions et récidives de l’étroitesse syndicaliste et des préjugés syndicalistes dans le prolétariat » (32, p. 257).

Sous le couvert du « marxisme » c’est Machiavel qui ressucitait. Le Parti – organisation fermée de l’« avant-garde » – agira désormais comme un « Prince collectif ».

LA FONDATION DU TOTALITARISME

Dans l’univers léniniste de 1920-1922, un doute radical est perpétuellement suspendu sur la véritable identité des classes et groupes qui manifestent la moindre « spontanéité », c’est-à-dire qui échappent au contrôle de l’avant-garde. Ayant catalogué la Russie paysanne comme « le pays le plus petit bourgeois d’Europe », absurdité manifeste, Lénine avait tendance à considérer toute la population avec méfiance et suspicion. Ouvriers et paysans n’étaient plus des classes ayant une structure en soi et des buts pour soi, mais une apparence trouble et confuse, derrière laquelle se cachait le Malin – le « capitalisme » – toujours prêt à reparaître à la surface. Les paysans n’étaient plus des paysans, mais des « petits patrons » et des capitalistes en herbe, incarnant la forme la plus subtile de l’« ennemi de classe » : « Il est mille fois plus facile de vaincre la grande bourgeoisie que de vaincre les millions et les millions de petits patrons ; or ceux-ci, par leur activité quotidienne, invisible, insaisissable, dissolvante, accomplissent ce qui est nécessaire à la bourgeoisie, restaurent la bourgeoisie (...). Ils entourent de tous côtés le prolétariat d’une ambiance petite bourgeoise, ils l’en pénètrent, ils l’en corrompent, ils suscitent constamment au sein du prolétariat les défauts propres à la petite bourgeoisie : manque de caractère, dispersion, individualisme... » (31, p. 39).

L’adversaire n’était plus le « capitalisme », les gardes blancs, les corps expéditionnaires, mais la réalité toute entière : « L’ennemi, c’est la grisaille quotidienne de l’économie dans un pays de petits agriculteurs, où la grosse industrie est ruinée et où l’élément petit-bourgeois qui nous entoure comme l’air pénètre fortement dans les rangs du prolétariat » (33, p. 17). Si la réalité s’inscrivait en faux contre l’utopie, ce n’était pas parce que celle-ci était un rêve irréalisable, mais parce que celle-là était « petite-bourgeoise ». Tout ce qui ne cadrait pas avec l’orthodoxie du moment était taxé de « petit-bourgeois » et voué à l’anathème. C’est que rien de bon, rien de « véritablement prolétarien » ne pouvait émaner de cette « grisaille quotidienne », de cette société « petite-bourgeoise » où chaque paysan était « à moitié travailleur, à moitié spéculateur » (29, p. 37). Et le prolétariat lui-même n’était pas à l’abri de cet hermaphroditisme sociologique.

Encerclée par ces millions de moujiks métamorphosés en petits-bourgeois et en « restaurateurs du capitalisme », la classe ouvrière elle-même pouvait à tout instant perdre son identité et se laisser « corrompre » par l’ennemi, et cela d’autant plus facilement qu’elle était non seulement « particulièrement fatiguée, épuisée, excédée par trois ans et demi de misères sans précédent » (39, p. 284), mais aussi « affaiblie et jusqu’à un certain point déclassée par la destruction de sa base vitale : la grande industrie mécanisée » (32, p. 490). En effet, pendant la courte période où l’expression « dictature du prolétariat » avait eu quelque sens, l’activité industrielle (« condition objective du socialisme ») avait dû se réduire au cinquième de la normale et la classe ouvrière (« condition subjective ») avait perdu la moitié de ses effectifs. Le « déclassement » du prolétariat deviendra désormais l’argument de choix dans la lutte de Lénine contre la gestion ouvrière et le rétablissement de la démocratie soviétique.

Ayant cessé de représenter le prolétariat, le parti se mit à nier avec obstination l’existence même de la classe à laquelle il se substituait d’office. « Par suite des lamentables conditions de notre réalité », disait Lénine en 1921, « les prolétaires sont obligés de recourir à un gagne-pain non prolétarien, à des procédés petits-bourgeois de spéculation ; ils sont obligés de voler ou bien d’exécuter des travaux privés à l’usine socialiste pour se procurer des articles à échanger contre des denrées agricoles (...). C’est en qualité de spéculateur ou de petit producteur que le prolétaire agit dans la sphère économique » (32, p. 439). En procédant ainsi, expliquait Boukharine en 1920, les ouvriers « se déclassent d’eux-mêmes » et se transforment en « petits bourgeois » : « seuls les plus mauvais éléments de la classe sont restés dans les usines [9] », les meilleurs ayant été absorbés par le parti qui représentait désormais la « vraie » classe ouvrière. Mais c’est Lénine qui a donné la formule la plus extrême de cette étonnante résurrection du « substitutionnisme » que dénonçait Trotski en 1904 :

« Très souvent, quand on dit “ouvriers”, on pense que cela signifie prolétariat des usines. Pas du tout. Chez nous, depuis la guerre, des gens qui n’avaient rien de prolétaire (sic) sont venus aux fabriques et aux usines ; ils y sont venus pour s’embusquer. (C’étaient donc des « embusqués » qui avaient fait la Révolution d’Octobre...). Et aujourd’hui, les conditions sociales et économiques sont-elles, chez nous, de nature à pousser de vrais prolétaires (sic) dans les fabriques et les usines ? Non. C’est faux. C’est juste d’après Marx. Mais Marx ne parlait pas de la Russie : il parlait du capitalisme dans son ensemble, à dater du XVe siècle. Ç’a été juste pendant six cents ans, mais c’est faux pour la Russie d’aujourd’hui (sic). Bien souvent, ceux qui viennent à l’usine ne sont pas des prolétaires, mais toutes sortes d’éléments de rencontre » (33, p. 305).

Le marxisme constituait la « seule science véritable », mais ses critères étaient inapplicables au régime dont il était l’idéologie officielle... Face aux ouvriers frappés d’irréalité, « affaiblis par le déclassement et susceptibles de flottements menchévistes et anarchistes », c’est-à-dire nostalgiques des promesses de 1917, le parti représentait la seule « force réelle du prolétariat » (33, p. 17).

Ainsi Rome n’était plus dans Rome, le « vrai » prolétariat avait disparu des usines, les ouvriers réels n’étaient plus de « vrais prolétaires » : ceux-ci s’étaient réfugiés dans le parti, où les ouvriers réels étaient en minorité. Lorsque Lénine écrivait ses phrases hallucinantes, le nombre total de bolchéviks travaillant effectivement dans l’industrie n’était que de 90.000, soit 18 % des effectifs du parti : pour les trois quarts, celui-ci était un parti de fonctionnaires pour qui, comme dirait Marx, le maintien de la dictature était « une question de couteau et de fourchette ». C’est à eux que Lénine demandera de mener le grand combat contre la bureaucratie devenue entre temps un « fléau ».

Pour maintenir la pureté de l’utopie face à la réalité impure, il fallait tout d’abord institutionnaliser la terreur. L’abandon du « communisme de guerre », l’adoption de la N.E.P., le rétablissement de la liberté du commerce, à partir de 1921 semblaient donner raison aux menchéviks et aux socialistes révolutionnaires. La réponse de Lénine ne se fit pas attendre : « Permettez-nous, pour cela de vous coller au mur (...) Nos tribunaux révolutionnaires doivent fusiller ceux qui auront publiquement fait acte de menchévisme » (33, p. 288). Ensuite, il fallait accentuer le caractère fermé du parti : « le parti ne peut ouvrir largement ses portes, car à l’époque de la désagrégation du capitalisme il est absolument inévitable (sic) qu’il absorbe les pires éléments » ; « cerné par l’ennemi, notre parti doit resté étroit » (30, p. 428). Enfin, le Parti devait lui-même renoncer à la démocratie interne pour se soumettre à la discipline monolithique d’une colonne militaire marchant « au milieu des ennemis ». En effet, la vie politique étouffée dans le pays risquait de renaître à l’intérieur du parti unique : celui-ci ne pourrait conserver son monopole qu’en interdisant les « fractions » qui risquaient de lui transmettre les « flottements », les fièvres et les révoltes du monde extérieur. L’interdiction des fractions au lendemain de la révolte de Cronstadt rendait urgente la mise en application du « principe bureaucratique » d’organisation formulé en 1902. Le parti s’était déjà substitué à la classe ; l’appareil du parti allait bientôt se substituer au parti : chargé d’extirper l’opposition et de pousser au maximum la centralisation et la discipline, l’appareil devait prendre bientôt sous son contrôle la dernière force politique qui substituait dans le pays, le parti, et devenir le seul détenteur du pouvoir réel. Pour imposer sa domination, Staline n’aura pas besoin de se réclamer d’une nouvelle théorie ou de faire état de ses services plutôt médiocres. Il lui suffira d’utiliser à plein rendement et sans scrupule l’instrument que Lénine avait forgé.

Marx s’était refusé de donner des « recettes pour la cuisine de l’avenir ». Lénine lui, rêvait, en 1917, d’un monde radieux où « chaque cuisinière saurait gouverner l’Etat ». Il ne restera bientôt qu’un seul cuisinier : celui dont Lénine avait jadis vanté les « plats épicés » et contre lequel il mènera son « dernier combat ». Mais cela est une autre histoire.

Kostas PAPAÏOANNOU

NOTES

1. Lénine : Deux utopies, 1912. Oeuvres 4e éd. t. 18, p. 362.
2. Les chiffres entre parenthèses renvoient au volume et à la page des Oeuvres de Lénine, 4e édition, Paris-Moscou, 1958 et suiv.
3. N. Mandelstam : Souvenirs, Gallimard 1972, t.1, p. 164.
4. Lénine : L’Etat et la Révolution, 1917 t. 25, pp. 413-531. Titre abrégé : ER.
5. Ibid., p. 454.
6. L’Etat et la Révolution XXV, p. 455, 460, 489, 511.
7. A. Kollontaï : L’opposition ouvrière.
8. Rappelons que par rapport à 1900 (= 100) l’indice de la population en 1913 était 121 et que celui de la production de grains était de 127 : la production augmentait plus vite que la population. Tel ne sera plus le cas après l’avènement du « socialisme ».
9. Article dans Die Rote Fahne, Vienne, 29 juin 1920.


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