RSS articles
Français  |  Nederlands

Quelle a été l’influence du féminisme sur le racisme en Allemagne ?

posté le 27/12/17 par http://www.huffingtonpost.fr/liliane-crips/quelle-a-ete-linfluence-d_b_3293311.html Mots-clés  histoire / archive  antifa  féminisme 

http://www.huffingtonpost.fr/liliane-crips/quelle-a-ete-linfluence-d_b_3293311.html

Quelle a été l’influence du féminisme sur le racisme en Allemagne ?
19/05/2013 08:18 CEST | Actualisé 05/10/2016 01:15 CEST

Liliane Crips
Agrégée d’allemand et Maître de Conférences en Civilisation allemande

2013-05-14-BannirePUFsurlescontributionsdelopration.jpeg

NAZISME - À ses débuts dans le Reich wilhelminien, le mouvement pour l’émancipation des femmes, inspiré par les conceptions du libéralisme politique ou de la social-démocratie - dans lesquelles s’inscrit l’ouvrage d’August Bebel, La Femme et le socialisme (1878) - s’enracine dans la critique d’une société autoritaire et inégalitaire qui assigne aux femmes, sous le contrôle des Églises, le rôle d’épouse et de mère au foyer - rôle défini par les trois "K" (Küche, Kinder, Kirche, soit : cuisine, enfants, église).

Portées par des femmes souvent issues de la moyenne et de la haute bourgeoisie, les revendications principales sont politiques (égalité juridique, droit de vote) et sociales (accès aux écoles secondaires et à l’université, aux métiers de l’enseignement et aux professions libérales, notamment à l’exercice de la médecine, amélioration de la protection maternelle et infantile grâce à de meilleures conditions sanitaires, mais aussi, pour les ouvrières, de vie et de travail). Quant au parti social-démocrate, il intègre dès 1891 dans son programme la revendication du droit de vote pour les femmes, et crée une section féminine - avec des militantes internationalistes aguerries - disposant d’une publication spécifique, L’Égalité, sous la direction de Clara Zetkin, qui s’adresse prioritairement aux ouvrières.

Certes, le clivage est net entre "prolétaires" et "bourgeoises", mais elles ont en commun un objectif : permettre aux femmes de participer plus activement à la vie du parti, à la lutte des classes, à la vie de la nation. Nombre d’associations voient alors le jour, notamment la Fédération des associations de femmes allemandes en 1894, l’Union des associations de femmes progressistes en 1897, la Ligue mondiale pour le suffrage féminin en 1904, ou la Ligue pour la protection maternelle en 1905. Leurs dirigeantes - Helene Lange, Gertrud Bäumer, Marianne Weber, Käthe Schirmacher, Anita Augsburg, Lida Gustava Heymann ou Helene Stöcker - participent aux grands congrès internationaux féministes et pacifistes d’avant-guerre : à Chicago en 1893, Paris en 1900, Copenhague en 1906, Amsterdam en 1908, Londres en 1909, Stockholm en 1911 et Budapest en 1913.

Ce mouvement pour l’émancipation des femmes suscite une très vive résistance dans la société allemande. Qu’il s’agisse de cercles chrétiens - catholiques ou protestants -, conservateurs, aristocratiques, monarchistes et/ou nationalistes, nombreux sont ceux qui dénoncent les dangers de l’affaiblissement des valeurs familiales et morales, s’inquiètent des dangers que feraient peser une baisse de la natalité sur le potentiel économique et militaire de l’Allemagne, et agitent inlassablement la menace d’une "dégénérescence" de la société.

Après l’effondrement militaire de l’Empire de Guillaume II en 1918, la République - qui repose sur une fragile coalition du parti social-démocrate, du Zentrum catholique, et d’un petit parti de la droite modérée - peine à rallier les suffrages pour consolider le régime démocratique. Au moment où le Traité de Versailles impose à l’Allemagne des clauses jugées inacceptables par une partie non négligeable de l’opinion publique, une guerre civile oppose communistes, sociaux-démocrates et extrême droite völkisch, dans un climat économique qui ne cesse de se dégrader, et où l’inflation atteint des sommets inimaginables en 1923. Enfin, profitant des turbulences de la Grande crise, le NSDAP, devenu le premier parti représenté au Reichstag depuis les législatives de septembre 1930, se sent suffisamment fort pour porter le coup de grâce à cette République honnie et édifier un État fondé sur l’autorité suprême d’un chef, le Führerstaat.

Dans un contexte de violence et de radicalisation croissantes, le mouvement des femmes se scinde en deux courants antagonistes. Fortes de l’acquis du suffrage universel en 1918, les associations féministes démocratiques, d’obédience libérale ou sociale-démocrate, défendent avec vigueur le principe d’égalité des individus, des sexes et des races, à la fois dans le cadre familial, professionnel et politique, et appellent de leurs vœux une "réforme sexuelle" - incluant notamment la popularisation des méthodes contraceptives et la légalisation de l’avortement. En revanche, la tendance völkisch récuse l’universalité de la notion d’égalité des individus et des races, et ne conçoit l’égalité des sexes qu’à l’intérieur de la "communauté raciale du peuple" (Volksgemeinschaft). Postulant une hiérarchie des races, elle proclame la supériorité absolue de la "race aryenne" ou "nordique" - affirmation dirigée essentiellement contre les Juifs, accusés de "complot patriarcal" contre les femmes aryennes. Le racisme devient une composante centrale du féminisme völkisch.

La thèse du complot judéo-patriarcal, ou de la "subversion juive", source du "déclin de la culture", était déjà répandue au tournant du siècle, à Munich, dans les milieux anarchisants du "Cercle cosmique" réuni autour d’Alfred Schuler, Karl Wolfskehl et Ludwig Klages, qui voyaient dans le judaïsme et sa conception de "Dieu le Père" l’origine du patriarcat et de la "civilisation", également exécrés. À la vacuité de la vie bourgeoise - soumise, selon eux, aux contraintes de la propriété, de la division du travail, du rationalisme, du "progrès" destructeur de la Nature, et du pouvoir patriarcal - ils opposaient l’ivresse dionysiaque au sein d’une nature intacte ainsi que le retour à un paganisme nordique et la libération de l’oppression judéo-patriarcale. Quelques années plus tard, en 1917, ce mythe resurgit dans La Femme et sa vocation, un ouvrage qui exhorte, lui aussi, "la femme nordique" à se libérer de "la mise sous tutelle par les Juifs". L’auteur, Mathilde von Kemnitz, est l’épouse du général Ludendorff - qui devait fonder, en cette même année 1917, suivi d’autres membres de la Ligue pangermaniste, un "parti de la patrie" appelant à poursuivre la guerre totale jusqu’à la victoire, avant de participer, six ans plus tard, à la tentative de putsch aux côtés d’Adolf Hitler.

Sous la République de Weimar, puis dans les premières années du régime nazi, les publications du féminisme völkisch, auquel appartiennent notamment Käthe Schirmacher, Anagrete Lehmann, Guida Diehl, Lydia Gottschewski, Mathilde Ludendorff ou Pia Sophie Rogge-Börner, expriment souvent la nostalgie d’un âge d’or, royaume de tribus germaniques au sang pur. Hommes et femmes y auraient vécu à l’unisson et combattu l’ennemi sur un pied d’égalité, la domination ne s’exerçant alors que sur des peuplades "étrangères à la race". Mais ce paradis aurait été perdu par la faute du "christianisme judéo-romain". Dans un ouvrage intitulé "À la fontaine sacrée" (1928), Rogge-Börner souligne l’urgence du retour à ce qui est considéré ici comme la pure tradition germanique, et aboutit à la conclusion que seule l’élimination de l’influence pernicieuse des Juifs permettra de rétablir les femmes "nordiques" dans l’intégralité de leurs droits, c’est-à-dire de redevenir les égales des hommes "de même race".

En 1933, un groupe de féministes völkisch estime que la nomination à la tête du gouvernement d’un national-socialiste ayant fait de l’antijudaïsme un élément central de son "combat" et de sa victoire politique, signifie clairement que le moment est venu où leurs espoirs vont enfin se réaliser. Aussi adressent-elles au "Cher Adolf Hitler, cher Führer de l’Allemagne" un recueil de lettres dans lequel elles précisent : "Dans le peuple allemand, Tu ne conduis pas seulement des hommes, mais aussi des femmes. Or celles-ci sont très inquiètes aujourd’hui". Cette inquiétude, poursuivent-elles, est provoquée par l’absence de "la femme nordique" dans les différentes instances du nouveau régime, alors que, comme le fait remarquer Rogge-Börner dans sa contribution, elles participent "depuis quatorze ans, en première ligne, au combat pour l’avènement de l’Allemagne de l’avenir".

C’est pourquoi plusieurs lettres évoquent le mythe de l’égalité des sexes chez les Germains, toujours pour en conclure à la nécessité pressante d’éliminer les Juifs dans l’Allemagne actuelle. C’est ainsi que l’on peut lire par exemple, sous la plume de Margarete Kurlbaum-Siebert : "Dans tout peuple premier, et surtout chez nos ancêtres germaniques, la femme faisait partie de l’ordre sacerdotal [...] Alors Judas fonda sa religion. L’homme juif se dressa, et dépouilla la femme de ses fonctions. L’homme juif inventa la religion qui devait annihiler la grande force créatrice féminine en lui déniant toute reconnaissance, en la privant de toute possibilité d’action hors d’un cercle se réduisant peu ou prou à la famille" (Kurlbaum-Siebert, 1933, p. 56).

Le rôle central attribué par les "nationales-féministes" à la thèse du complot judéo-patriarcal - censé avoir perverti l’authentique tradition d’égalité des sexes des ancêtres germaniques pour asservir les femmes nordiques - sert à démontrer leur orthodoxie national-socialiste (le Juif est toujours coupable), et à légitimer leur revendication d’égalité des sexes. Mais loin d’être convaincus, les dirigeants du NSDAP proclament que les femmes doivent "s’émanciper de l’émancipation".

Ainsi Hitler déclare-t-il en septembre 1934, devant les déléguées des "Femmes allemandes" réunies pendant le Congrès du parti à Nuremberg : "L’émancipation des femmes est une expression inventée par l’intellect juif, et son contenu porte la trace de cet esprit. La femme allemande n’a jamais eu besoin, aux époques vraiment heureuses de la vie allemande, de s’émanciper [...] Si l’on dit que le monde de l’homme, c’est l’État, le monde de l’homme, c’est la lutte, l’engagement pour la communauté, alors on pourrait peut-être dire que le monde de la femme est plus petit. Car son monde, c’est l’homme, sa famille, ses enfants et sa maison".

Opposant une fin de non-recevoir à toute revendication remettant en cause le partage traditionnel des rôles, les autorités nazies décident d’interdire, en 1937, la seule revue existante du féminisme völkisch, La Combattante allemande, fondée quatre ans auparavant par Rogge-Börner. Seules subsisteront, jusqu’en 1945, les deux organisations de masse - la Ligue des jeunes filles allemandes et l’Organisation national-socialiste des femmes allemandes - qui ne dévieront pas d’un iota de la ligne fixée par le Führer.


posté le  par http://www.huffingtonpost.fr/liliane-crips/quelle-a-ete-linfluence-d_b_3293311.html  Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article

Commentaires

Les commentaires de la rubrique ont été suspendus.