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La déification du travail et l’antisémitisme

posté le 19/01/18 Mots-clés  antifa 

La déification du travail et l’antisémitisme

L’ennoblissement du capital et son élévation au rang de premier serviteur du travail sont liés, surtout dans la variante droitière de ce geste, à sa division projective. Le capital productif s’est vu charger d’incarner le sensible concret et accorder l’auréole du « Bien », tandis que le capital monétaire et financier s’est vu attribuer tout ce qu’il y a d’abstrait et de destructeur dans la domination capitaliste. De cette externalisation de l’effroi du capitalisme — qui a fourni l’image de l’ennemi indispensable à la construction d’une communauté de travail transcendant les classes — à sa personnalisation antisémite, il n’y a qu’un pas à franchir. Il n’y a pas que dans la vision nationale-socialiste du monde que la séparation fantasmagorique entre « capital créateur » et « capital accapareur » a été amalgamée à l’opposition entre, d’un côté, « travail national » sacré et, de l’autre, « argent juif » sans racines. Tout comme la religion du travail est parfaitement compatible avec des idées racistes, elle se distingue aussi par son affinité profonde avec des modèles de pensée antisémites. Les choses ont évolué en Allemagne d’une façon singulière dans la mesure où la « patrie du travail » a franchi le pas menant de la détestation idéologique à une pratique de l’extermination industrielle organisée par l’Etat. C’est seulement dans le nazisme que la mobilisation totale du travail national a trouvé son accomplissement avec la construction d’usines de cauchemar prétendument anticapitalistes — des « usines de destruction de la valeur » (Moishe Postone) — dans lesquelles, avec les victimes juives bien réelles, devaient aussi être fantasmagoriquement gazés et brûlés les moments de la domination du travail abstrait séparés du travail idéalisé. La fraternité de « ceux qui travaillent avec leur front » et de « ceux qui travaillent avec leurs poings » a été scellée par le meurtre de ceux qui avaient auparavant été exclus de la définition de la communauté de travail allemande.

La Shoah n’a pas seulement fait éclater le cadre de la fonctionnalité de la société marchande parce qu’elle a poursuivi un objectif irrationnel, mais aussi parce qu’elle a renversé le rapport intime entre travail et destruction. Alors que, d’habitude, la destruction est un moment qui accompagne la praxis capitaliste et que l’accumulation de profit constitue l’objectif des objectifs, avec Auschwitz, l’anéantissement est devenu indépendant au point de constituer un contenu propre. Que des hommes aient été massivement forcés de travailler à mort pour le bien de la production de richesse capitaliste, c’est ce qui a eu lieu depuis l’époque de l’« accumulation originelle ». Dans le génocide des Juifs européens, l’exploitation réelle du travail a en revanche fonctionné comme un simple moyen, tandis que l’anéantissement de la vie était devenu le véritable objectif. La possibilité de cette transformation nous informe de l’existence d’un rapport entre travail et mort bien plus intime que celui que soupçonne un anticapitalisme orienté sur le seul paradigme de l’exploitation.

Ernst Lohoff
http://www.krisis.org/2007/terreur-du-travail-et-critique-du-travail/


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