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Qui a peur de la non-mixité et de l’antiracisme politique ?

posté le 28/01/18 Mots-clés  antifa 

Depuis quelques semaines, la polémique enfle autour du projet de camp d’été décolonial porté par Sihame Assbague et Fania Noël. En cause, la non-mixité politique de l’événement, choisie et revendiquée par les militantes. Après avoir essuyé de nombreuses critiques et attaques diffamatoires, et pour répondre aux nombreuses interrogations des premiers concernés, elles se sont lancées dans la rédaction d’un dialogue fictif avec elles-mêmes.

Pourquoi déjà avoir choisi de créer ce camp d’été décolonial ?

L’idée de ce camp est née d’un échange sur la nécessité de multiplier les espaces de transmission, de rencontres et de formation politique. Il en existe déjà ; ils font écho à une longue tradition d’organisation autonome des immigrations et des quartiers populaires. Les anciens, comme notre génération d’ailleurs, n’ont jamais attendu qu’on vienne les sauver. Ils se sont engagés, ont milité et résisté sur tous les fronts. C’est important de rappeler ça car tout militant est l’héritier de luttes passées et même en cours. On connaît très mal cette Histoire, on en sait très peu sur ces luttes et leurs enjeux. Du coup, l’un des objectifs du camp d’été c’est justement de se réapproprier tout ça. Il s’agit également de poser des termes sur ce que nous vivons et de partager méthodes et savoirs, qu’ils soient théoriques ou pratiques. En tant que militantes autodidactes, nous savons à quel point certains concepts ou certaines techniques peuvent paraître abstraits, complexes, etc...et puis, de manière générale, on a toujours besoin de creuser ce que l’on croit savoir (nous les premières), de se confronter à d’autres pensées, d’autres prismes, d’autres réalités. C’est un peu le principe de l’éducation populaire.

Après, plus nous militons et plus nous nous rendons compte que le rouleau compresseur de l’antiracisme moral aka Touche-pas-à-mon-pote a fait des dégâts et a très largement contribué à la dépolitisation de ces sujets. On se retrouve avec des campagnes similaires à #TousUnisContreLaHaine qui, en se focalisant uniquement sur le racisme interpersonnel et sur les sentiments haine/amour, occultent volontairement sa dimension structurelle, étatique et donc éminemment politique. Cette formation nous a semblé d’autant plus opportune que les racisés sont voués à rester le sujet de discussion favori de la classe politique et médiatique de ce pays. Il faut juste voir les polémiques autour du voile... Tout ça, on a besoin de l’analyser, de le comprendre afin de le déjouer.

Pourquoi avoir choisi de limiter l’accès uniquement "aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’État" ?

La vraie question serait plutôt « pourquoi une formation organisée par et pour des personnes subissant le racisme d’État pose autant de problèmes ? » Ce n’est pas un projet de vie, ce sont des universités d’été de trois jours réservées aux personnes directement concernées par le sujet...C’est d’ailleurs ce qui est indiqué sur tous nos supports. Contrairement à ce qu’ont relayé les deux/trois journalistes mal-intentionnés qui ont lancé la “polémique”, nulle part nous n’écrivons que le camp d’été est interdit « aux blancs de peau ». Pour la simple et bonne raison que ça ne veut pas dire grand chose. On ne fait pas de la peinture là, on s’intéresse aux effets de la production de races sociales [1] par le colonialisme européen...Généralement, quand on dit cela, on a le droit au fameux « mais vous êtes racistes, les races n’existent pas ! »

Sans vous traiter de « racistes », c’est un peu l’objection que j’allais vous faire… pourquoi parlez-vous de « races » ?

Dans nos bouches à nous, militants de l’antiracisme politique, le concept de race ne renvoie pas du tout à une réalité biologique mais à une réalité sociale. Il ne s’agit pas de faire des classifications entre les ethnies mais de reconnaître que les mythes autour de la race, qui ont été produits par l’esclavage et la colonisation, ont eu des effets catastrophiques, destructeurs, dont on paie aujourd’hui encore le prix fort. Oui, il n’y a qu’une seule race, la race humaine, blabla mais là n’est pas la question. Comme l’a très bien résumé Colette Guillaumin : « la race n’est certes pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités. [2] » En d’autres termes, la science a beau avoir prouvé qu’il n’y avait pas de différence biologique fondamentale entre les différents groupes humains, les catégorisations raciales et les valeurs (positives et négatives) qui leur sont attribuées n’ont pas disparu. Loin de là. D’un côté, une racialisation positive qui s’accompagne de bénéfices et de positions sociales et économiques avantageuses à l’échelle systémique ; de l’autre, une racialisation négative qui se manifeste par les effets inverses.
Cela étant dit et les formes du racisme ayant évolué, la couleur de peau est loin de constituer le seul marqueur de racialisation. À cela s’ajoute des marqueurs plus ou moins visibles tels que le patronyme ou des signes distinctifs, notamment d’appartenance à la religion musulmane, qui renvoient à une origine, une différence réelle ou supposée. Ainsi, on peut être arabe, avoir “la peau blanche” et être impactée par le racisme d’État, de même qu’une blanche convertie à l’islam et ayant fait le choix de porter le voile sera renvoyée à une assignation raciale.
On peut donc continuer à dépolitiser le sujet et à faire des comparaisons abjectes et anachroniques du type « mon Dieu, ce camp d’été c’est comme la ségrégation raciale dans les bus aux USA » ou on peut accepter que c’est bien plus complexe que cela. D’autant que, la ségrégation raciale consistait à exclure socialement, politiquement et économique un groupe au profit d’un autre. Quel rapport avec le camp d’été ? Quelle exclusion sociale, politique, économique produira-t-il sur les personnes « blanches de peau » pour reprendre les termes des journalistes ?

suite : http://contre-attaques.org/magazine/article/camp-d-ete


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