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Les coulisses de Bruxelles : " Selmayrgate " : une commission en coupe réglée

posté le 05/04/18 par  Jean Quatremer Mots-clés  alternatives  économie 

L’extraordinaire silence des commissaires européens devant le véritable coup d’Etat réalisé par Martin Selmayr a peut-être une explication sonnante et trébuchante. Le tout nouveau secrétaire général de la Commission et chef de cabinet de facto de Jean-Claude Juncker, le président de l’institution, est, en effet, en train de mettre la dernière main à un projet améliorant fortement le statut des commissaires sortants, à 20 mois de la fin de la Commission Juncker. Dès lors, pourquoi prendre le risque de mordre la main qui va vous nourrir ?

Des commissaires sortants grassement rémunérés

Selon nos informations, « l’indemnité de transition » serait versée durant trois ou cinq ans et non plus deux comme c’est le cas depuis 2016. Cette indemnité, qui va de 40 à 65 % du salaire de base selon la durée des fonctions antérieures, soit un minimum compris entre 8400€ et 13.500€ par mois, s’ajoute à la prime de réinstallation correspondant à un mois de salaire. Surtout, à ces sommes, s’ajouteront une série d’avantages en nature : un bureau à la Commission (jusque-là, seuls les anciens présidents y avaient droit), une voiture de fonction avec chauffeur et deux assistants. Grâce à cette manipulation, un ancien commissaire recevra en réalité le double, si ce n’est le triple, de ce qu’il perçoit actuellement, sans compter que les moyens mis à sa disposition ne seront pas imposés. Si l’allongement de la durée d’indemnisation (ou son augmentation) nécessite l’accord du Conseil des ministres (où siègent les Etats), ce n’est pas le cas des avantages en nature qui dépendent du budget de la Commission.

L’idée, noble a priori, est de décourager les conflits d’intérêts, les anciens commissaires ayant une propension, pour rester poli, à accepter des emplois dans des secteurs qu’ils supervisaient afin de mettre du beurre dans les épinards. Faut-il rappeler le cas de José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission (2004-2014) passé avec armes et bagages chez Goldman Sachs ? Le problème est que cela va coûter cher aux contribuables européens et que l’usage de ces moyens par les ex-commissaires ne seront pas contrôlés.

Une manœuvre d’ensemble

Ce projet n’arrive évidemment pas à maturité par hasard au moment où Selmayr prend le pouvoir à Bruxelles. Il faut savoir qu’il est préparé par la directrice générale chargée de la fonction publique, la Grecque Irène Souka, et qu’il devra recevoir l’accord du nouveau secrétaire général. Or Souka a vu ses fonctions prolongées au-delà de l’âge de la retraite, le 21 février (tout comme celles de son mari, le directeur général à l’énergie, le Français Dominique Ristori), le jour même où Martin Selmayr était promu secrétaire général adjoint puis secrétaire général dans la même minute, une manœuvre qui n’a pu réussir qu’avec son soutien… Beaucoup au sein de la Commission voient là une manœuvre globale visant à assurer une prise de pouvoir sans remous.

Clara Martinez a retiré sa candidature

Je suis aussi en mesure de révéler que la seule autre candidate au poste de secrétaire générale adjointe, Clara Martinez, l’adjointe de Selmayr devenue cheffe de cabinet de Juncker, a retiré sa candidature dès la clôture de l’appel à candidatures lancé fin janvier (avis préalable n° 10-2018 du Comité consultatif des nominations). En effet, pour qu’il soit valable, il fallait deux candidatures au minimum, dont une femme. A défaut, la procédure aurait été interrompue. Une fois l’appel à candidature clôturé, en revanche, tant pis s’il ne reste qu’un seul candidat dans la course…

Mieux, la nouvelle ligne de défense de la Commission consistant à affirmer que Selmayr, comme chef de cabinet depuis plus de deux, aurait pu directement être nommé secrétaire général sans passer par la case secrétaire général adjoint ne tient juridiquement absolument pas la route. D’une part, parce qu’il n’y a dans ce cas aucune raison de se lancer dans un appel à candidatures totalement bidon. Mais surtout parce que la règle interne instituée par Selmayr lui-même le jour de la prise de fonction de la Commission Juncker, le 1er novembre 2014, qui prévoit que le chef de cabinet d’un commissaire a rang de directeur général, n’a aucune valeur légale.


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