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L’œuvre négative du colonialisme français en Kanaky : Une tentative de génocide par substitution

posté le 12/05/18 Mots-clés  antifa  Peuples natifs 

La date du référendum d’autodétermination de la Kanaky[i] est enfin fixée au 4 novembre 2018. Ce référendum obtenu par les accords de Nouméa de 1998 a connu de nombreuses péripéties : conflit sur la composition du corps électoral avec l’exclusion de 25 000 électeurs kanak, conflit sur la formulation de la question posée avec la tentative d’imposer en implicite une élimination de la perspective d’une indépendance totale[ii], nomination de Manuel Valls comme président d’une « mission d’information sur la Nouvelle-Calédonie » et déclarations publiques anti-indépendantistes de celui-ci, etc.

L’histoire longue et récente de l’archipel souligne son importance économique et stratégique pour le colonialisme français. Celui-ci mettra tout en œuvre pour maintenir sa mainmise sur cette colonie de peuplement dans laquelle a été tentée une tentative de génocide par substitution. Résumant l’attitude de l’Etat français devant le comité de décolonisation des Nations-Unies, Roch Wamytan président du groupe UC-FLNKS et nationalistes au congrès de Nouvelle-Calédonie déclare ainsi en mai 2015 : « sous couvert de démocratie, nous pouvons déceler des manœuvres d’un Etat tentant d’assurer sa domination tout en faisant bonne figure devant la communauté internationale[iii]. »

L’histoire longue d’une colonie de peuplement

« Je soussigné, Auguste Febvrier-Despointes, contre-amiral, commandant en Chef des Forces Navales Françaises dans la Mer Pacifique, agissant d’après les ordres de mon Gouvernement, déclare prendre possession de l’île de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépendances au nom de S.M. Napoléon III, Empereur des Français. En conséquence, le pavillon français est arboré sur ladite île de Nouvelle-Calédonie qui, à compter de ce jour 24 septembre 1853, devient, ainsi que ses dépendances, colonie française[iv] ». C’est par ces mots que la France napoléonienne annexe « l’île et ses dépendances » avant d’en faire de même et avec des termes similaires pour l’île des Pins quelques jours plus tard, le 29 septembre. Dès ses débuts l’annexion revêt une dimension stratégique pour le colonialisme français que relance Napoléon III dès son arrivée au pouvoir. Il s’agit de développer la présence militaire française dans le pacifique face à une Angleterre quasi-hégémonique dans la région. Contrairement à ce qui est fréquemment affirmé, ce n’est pas le seul besoin d’une nouvelle « colonie pénitentiaire » pour éloigner de France les bagnards et opposants politiques, qui est la cause réelle de la colonisation de l’archipel mais bien la rivalité entre les deux premières puissances industrielles pour la domination du monde. Voici comment la chercheuse en sciences politiques spécialiste du pacifique Sud, Nathalie Mrgudovic, résume ce qu’elle appelle « les premiers fondements de la présence française dans la région » :

Ceux-ci s’inscrivaient alors directement dans un climat de rivalité avec la Grande-Bretagne. Il s’agissait en effet pour la France d’affirmer sa puissance, essentiellement par l’expansion coloniale. La prise de possession des îles Marquises et l’instauration d’un protectorat sur Tahiti en 1842 constituèrent ainsi les premières étapes d’une politique de présence que la France poursuivie en Nouvelle-Calédonie, à Wallis et Futuna pour s’achever en 1906 aux Nouvelles-Hébrides avec la mise en place d’un Condominium franco-britannique[v].

Dès le début le modèle choisi est celui d’une colonisation de peuplement basée sur la disparition progressive des indigènes et leur remplacement par une population européenne. La « Nouvelle-Calédonie » est destinée dans de nombreux discours et projets de l’époque à devenir « l’Australie de la France » avec le même sort pour les kanak que celui imposé aux aborigènes. Voici par exemple ce que propose le « projet de colonisation » du capitaine au long cours Maximilien de Las Cazas en 1855 : « Il faut laisser grande ouverte la porte à l’immigration en répandant le bruit que la colonie regorge d’or. De la sorte nous drainerons vers notre jeune possession océanienne une partie du courant d’hommes qui a déversé tant de richesses sur les territoires anglais d’outre-mer. Quelques-uns de ceux-ci risquent de se faire dévorer ? La belle affaire, on ne colonise pas avec des enfants de chœur ![vi] »

L’ouverture du bagne en 1864 s’inscrit dans cette volonté de peupler la nouvelle colonie par des européens. L’éloignement de la nouvelle colonie limite en effet fortement à l’époque un peuplement colonial sur la base du volontariat. La colonie pénitentiaire se dote d’une « vocation « humanitaire » où les déportés doivent trouver une forme de rédemption par le travail[vii] ». Le peuplement colonial par des volontaires ou par des anciens bagnards sur une vaste échelle suppose logiquement une politique d’expropriation terrienne des indigènes. Ceux-ci seront tout simplement refoulés puis enfermés dans des réserves closes et soumis au régime d’exception du « code de l’indigénat » qui restera en vigueur jusque 1946 :

Ce régime leur interdit de quitter le territoire des réserves, les prive de la citoyenneté française et de tous les droits civiques et les exclut du droit commun. Les Kanak ne peuvent sortir des réserves que pour s’acquitter de l’impôt de capitation et du travail obligatoire au profit des colons et du territoire (arrêté du 6 mai 1871 et du 6 mars 1876). C’est le service des Affaires indigènes, davantage fait pour contrôler et tenir en respect les Kanak que pour œuvrer en leur faveur, qui est chargé de l’application de cette réglementation. Ce sont d’ailleurs les gendarmes qui représentent les Affaires indigènes au sein des tribus[viii].

Le coût humain est bien entendu énorme. Si les données manquent pour avoir une vision précise de l’hécatombe, cette dernière est néanmoins incontestable. « L’Île principale de la Nouvelle-Calédonie comptait au moins 100 000 habitants en 1800 ; un siècle plus tard, on n’en recense plus que le tiers » avance une publication de l’UNESCO[ix]. « Entre 1880 et 1920, on passe de 40 000 à 27 000 indigènes[x] » complète le chercheur en science politique Eric Soriano. Il faudra attendre la décennie 30 pour qu’un redressement démographique kanak commence à se faire jour : « La population mélanésienne continua de diminuer. Le recensement de 1901 ne dénombrait plus que 28 800 Mélanésiens, niveau qui sera conservé jusqu’en 1936, avant que la population ne recommence à croître appréciablement[xi]. »

Si les immigrés volontaires et les libérés du bagne augmentent quantitativement dans la population de la colonie, cette hausse est insuffisante pour mettre en minorité les kanak. « En dépit de politiques d’encouragement de l’immigration, en 1901, il y avait seulement 14 200 Européens pour 27 100 Mélanésiens[xii] » résume le géographe Gilles Pestaña. L’encouragement de l’immigration élargira sa sphère en faisant appel, non plus seulement aux français mais aussi aux autres européens, aux asiatiques, aux polynésiens. La mise en exploitation du Nickel à partir de la fin du XIXe siècle accroit encore ce processus :

Pour assurer l’exploitation des mines, les propriétaires ont besoin d’une main d’œuvre qui n’existe pas en Nouvelle-Calédonie. Les colons français sont trop rares, ou trop chers, pour une activité qui nécessite de nombreux bras. Quant aux Kanak, ils déplorent cette exploitation du sous-sol, l’une des demeures des ancêtres, et sont encore peu intéressés par les paiements en numéraire. Il faut donc en chercher à l’extérieur du pays. Pendant un siècle, des milliers d’ouvriers venus d’Asie, d’Europe et de Polynésie sont employés sur les mines. […] Par les importants mouvements migratoires qu’elle a engendrés, l’industrie minière est en grande partie à l’origine de la riche diversité ethnique de la population calédonienne[xiii].

« Planter du blanc »

Le peuple kanak ne reste bien entendu pas passif face à cette oppression et cette violence coloniale. La résistance fut multiforme allant du refus du salariat dans les mines de nickel à la préservation de l’identité et des langues kanak en passant par le refus du christianisme, par des révoltes localisées récurrentes et par deux grandes insurrections en 1878 et en 1917. Entre la « prise de possession » française de 1853 et la grande insurrection de 1878, on compte 25 soulèvements armés localisés contre Le colonisateur. A l’origine de ces révoltes se trouve, bien entendu, la question de la spoliation terrienne : « En Nouvelle Calédonie, la terre devient vite un enjeu central […] En avril suivant (1856), le gouvernement français institue le régime des concessions qui réserve aux Kanak un dixième des terres. […] Dès lors et jusqu’en 1917, la question foncière suscite des tensions et des révoltes régulières des populations kanak[xiv] » résume l’historienne Sarah Mohamed-Gaillard.

La continuité de la résistance kanak à la colonisation et la multiplicité de ses formes reflètent la recherche d’une opposition efficace à un ennemi disposant de moyens techniques militaires sans commune mesures avec les armes des guerriers kanak. Cette recherche inscrite dans la durée finie, comme dans de nombreuses autres colonies, par déclencher un processus de construction nationale. Les révoltes de 1878 et de 1917 sont par leurs ampleurs des indicateurs de cette construction nationale suscitée par les limites des révoltes limitées au clan. Analysant la grande insurrection de 1878 l’économiste et historienne Roselène Dousset-Leenhardt constate qu’ « à l’intérieur d’un vaste périmètre, de multiples tribus étaient entrées simultanément en action, ce qui impliquait la mise en œuvre d’un plan décidé à l’avance[xv] ». Elle caractérise à juste titre ces faits comme des signes d’une « conscience collective » qui conduit les kanak de la plainte d’une tribu auprès des autorités coloniales, à l’insurrection générale en passant par la révolte localisée. Pour 1878 la révolte dure plus de dix mois faisant 200 victimes parmi les colons et 1200 parmi les kanak. La répression de l’insurrection de 1878 est impitoyable avec les mêmes constantes de « pacifications » que dans de nombreuses autres colonies : récoltes et villages incendiés, exécutions des prisonniers, déportation des chefs puis des tribus, etc. Le dirigeant de l’insurrection, le chef Ataï, est décapité et sa tête envoyée à Paris au musée d’ethnographie en 1879. Une fameuse prime militaire suffit à résumer la violence de la répression : « En 1878, une prime était donnée pour chaque paire d’oreilles de soi-disant rebelle tué. Comme les soldats apportaient des oreilles de femmes et d’enfants, on édicta qu’il faudrait apporter les têtes et l’on tint état de ces macabres pièces à conviction[xvi] » rappelle l’ethnologue Jean Guiart. […]


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