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[Corrèze] Les forêts ne sont pas des mines à charbon

posté le 15/05/18 par courant alternatif - O.C.L organisation communiste libertaire Mots-clés  économie  luttes environnementales 

Les forêts ne sont pas des mines à charbon

Le 30 mars dernier, le préfet de la Corrèze a signé l’arrêté préfectoral autorisant la création d’une usine de fabrication de pellets torréfiés sur la zone dite du Bois de Bugeat-Viam, au cœur du Plateau de Millevaches, en Limousin. Ce projet est contesté par une partie des habitants et un collectif s’est constitué, « Non à la Montagne Pellets », appuyé par six autres associations de défense de l’environnement (1).

Auparavant, l’enquête publique avait débouché sur un avis favorable à cette implantation, rendu le 26 janvier dernier, suivi par le CODERST (Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques), le 8 mars dernier. Toute la procédure normale est ainsi bouclée. Il y aura des recours mais on peut dire que la lutte entre dans une nouvelle phase et dès que la décision préfectorale a été rendue publique, le 17 avril dernier, « Non à la montagne pellets » a appelé à un rassemblement sur le site du futur chantier.

Un bel exemple de green washing

Ce projet d’usine est soutenu par les élu-e-s du coin et par des commerçant-e-s. L’argument est celui de la « revitalisation » d’un pays qui se meurt, dont les commerces ferment et que désertent les services publics. En effet, la société qui veut implanter cette usine, Carbon Ingen’r Bugeat Viam (CIBV, dont le siège social est à Limoges), promet la création de 19 emplois à temps plein mais elle ne dit rien du salaire qu’elle leur versera. Ce projet se revendique, bien sûr de la transition énergétique – le green washing devenu à présent habituel.

Les élu-e-s avancent aussi d’autres arguments qui en disent longs sur la vision de développement local que portent les élu-e-s locaux comme l’utilisation de la gare de cette zone « d’activités » et la dépollution de ce site. En effet, après la tempête de 1999, les pouvoirs publics ont fait construire une gare destinée à l’expédition du bois. Mais celle-ci n’a jamais fonctionné du fait des gabarits des grumes qui ne pouvaient y être embarquées. C’est donc une gare fantôme, au milieu des bois. Quant à la dépollution du site, il s’agit d’une autre usine qui s’était implantée là et qui se proposait de retraiter les pneus. Mais voilà, l’usine a mis la clé sous la porte et elle a laissé quelques tonnes de pneus découpés en morceau, et répartis également au milieu des bois, en monticules. Autrement dit sur la zone d’activité, il n’y a toujours point d’activité et CIBV arrive à point nommé pour faire à nouveau rêver les élus. Autre argument avancé : garder « la valeur ajoutée sur le territoire ». On a plutôt l’impression que la valeur (il ne s’agit peut être pas de la même) est capturée pour être expédiée vers des métropoles. Les partisans du projet parlent aussi de « valorisation » des déchets. C’est étrange de qualifier de déchets des souches d’arbres et autres morceaux de bois. Les partisan-e-s se sont aussi regroupés dans un comité de soutien, regroupant essentiellement des élus et quelques commerçant-e-s qui espèrent que les salariés de l’usine iront dépenser leur salaire dans leurs commerces.

Les opposant-e-s à ce projet ont une tout autre analyse : « C’est un projet expérimental, écrivent-ils dans un tract, consistant à broyer du bois vert (issu en particulier de l’arrachage de souches après coupes rases) pour le transformer en granulés torréfiés destinés aux centrales à charbon et aux chaudières urbaines. Derrière un discours écologique de façade il s’agit d’un prélèvement de 113 000 tonnes de bois vert, d’une pollution en plein cœur du parc naturel régional, de 12 000 camions supplémentaires par an sur les routes, d’une dégradation des conditions de vie locales et d’une menace sur des emplois. » Autrement dit le projet consiste à transformer du bois vert en charbon pour alimenter de grandes centrales thermiques. On est bien sur un modèle extractiviste (2).

Non à la montagne pellets regroupe des habitant-e-s, des professionnels de la forêt et des associations de défense de l’environnement. Elle a fait un gros travail d’information au travers de multiples réunions publiques et présences sur les marchés. En décembre dernier, un rassemblement a eu lieu avec une promenade sur le site, sous le regard de la gendarmerie. Des réunions ont pu être très houleuses et les partisans du projet accusant les opposant-e-s de ne pas être du coin, essayant de polariser la question autour des « néo » et des habitants du cru. On est ainsi en présence d’enjeux plus larges autour du devenir du Plateau de Millevaches. Les opposant-e-s ont aussi pu largement s’exprimer sur Radio Vassivière et Télémillevaches. Le journal IPNS s’est clairement positionné contre le projet et pour le coup il a décliné son titre en « Immondes pellets : nature saccagée ».


La question du rapport au monde

Pour Tonio, un des militants actifs du collectif des opposants, le projet de CIBV est l’ultime dépossession de ce pays. C’est une question de rapport au monde et le rapport au monde extractiviste, c’est la prédation. En effet, il est difficile de qualifier autrement la transformation du bois en charbon pour aller alimenter une production industrielle d’énergie dans des métropoles. Et il ajoute que la biomasse, ça n’existe pas. C’est le nom qu’ont inventé les financiers et les aménageurs pour désigner ce qu’ils veulent passer au broyeur pour le transformer en marchandise. Pour lui, c’est le nom qu’ont créé ceux qui veulent « faire écolo » à l’heure où la planète crève de leurs méfaits. « Pourtant, écrit Tonio dans IPNS, l’écologie non plus n’existe pas sans le monde et les communautés humaines qui lui donnent du sens – et ce monde ne peut pas être, et n’a jamais été celui de l’industrialisation à tout va et de la mondialisation marchande. »

Julien aborde le problème d’un autre point de vue, celui d’un technicien forestier. Pour lui, les élus raisonnent à court terme. L’activité industrielle que veut mettre en œuvre CIBV est bien une activité prédatrice par rapport au territoire et qui va accroître l’érosion des sols, baisser la qualité de l’eau, l’attrait du paysage et la biodiversité tout en faisant également baisser la productivité d’une ressource essentielle telle que le bois : « Les souches et les rémanents (3), écrit Julien sont les garants de l’avenir et les vecteurs du cheminement de l’eau pour les racines. Ils sont la source de la biodiversité animale et végétale, de l’irrigation, du stockage de l’eau dans le sol et de son maintien après leur exploitation. » Donc avec le processus CIBV, on n’assure plus la pérennité de la ressource et si on veut replanter ensuite, on sera obligé de fertiliser artificiellement. Julien explique que même les coupes rases (également contestées) laissent sur place les matières organiques et leurs cortèges de bienfaiteurs. Il dit qu’il y a une réflexion qui est lancée dans le milieu des forestiers, en ce moment, sous l’effet du développement de connaissances en la matière et qu’il y aurait une tendance à ne plus arracher les souches et à réduire la taille des engins. Il pose aussi la question de savoir quel paysage laisse-t-on derrière une exploitation de la forêt.

Une habitante de ce territoire propose même une alternative industrielle au modèle de CIBV qui aurait pu inspirer les élus : « Pourquoi ne pas initier, écrit-elle, un projet de création d’une petite unité de production de pellets non torréfiés, sous statut coopératif, en partenariat avec les forestiers locaux qui font de la gestion durable, pour fournir en combustible local les habitants équipés de chaudières ou de poêles à granulés ».

Une démocratie bien biaisée

Mais la démocratie et le sens du débat public ne sont pas les points forts des partisans de ce projet de CIBV, notamment des élus du coin. Le commissaire enquêteur, dans son rapport qui conclut à un avis favorable, ne fait pas état des nombreuses contributions très argumentées des associations. Il les a rangées dans la catégorie « pétition ». La gendarmerie trouve également incongru qu’on puisse débattre de cette question : elle a exercée de fortes pressions sur les membres d’une association locale, organisant un débat sur cette question. Les gendarmes ont téléphoné aux organisateurs pour leur faire part de leurs craintes de « débordements » dus aux « comportements violents » des « extrémistes » de l’association des opposants au projet. L’association a tout de même maintenu le débat. Il en est de même pour le Parc naturel régional (PNR) de Millevaches. Le PNR a déposé une contribution favorable au projet dans le dossier d’enquête publique. Pourtant dans sa charte, le PNR se pose en défenseur de la forêt. Il prône de « réduire significativement les modes d’exploitation forestière impactant le paysage (coupes franches, dessouchage, mise en andains) », ces pratiques étant porteuses de changements profonds des paysages, de risques de pollution de l’eau et de dégradations conséquentes des sols. Le PNR s’inquiète aussi de l’accroissement de la demande extérieure de bois-énergie susceptible d’impacter de façon importante les massifs forestiers. Aussi le conseil scientifique du PNR avait rendu un avis mitigé sur la question de l’implantation de cette usine, le 7 septembre dernier. Il a estimé qu’il y avait beaucoup trop d’inconnues pour pouvoir prendre un avis. Mais le bureau du PNR a tout de même tranché dans le sens de CIBV. De plus il a oublié de rendre publique la conclusion de son conseil scientifique. Deux membres de ce conseil ont alors démissionné. Comment expliquer ce positionnement contradictoire du PNR ? Là aussi on retombe dans une certaine conception de la démocratie locale. Le PNR doit renouveler sa charte cette année. Or c’est ce qui conditionne le maintien de son label de parc naturel régional par l’Etat. Et pour cela, il faut que la nouvelle charte soit adoptée par l’ensemble des collectivités territoriales compétentes et par l’Etat. Le PNR a ainsi subi la pression des élus corréziens menés par le président du conseil départemental, ardent défenseur de ce projet d’usine. D’où le chantage de ne pas voter la nouvelle charte si jamais le PNR émettait un avis défavorable.
Mais depuis le 17 avril dernier, le jour où le préfet a rendu public son autorisation d’implantation de cette usine, on est entré dans une nouvelle phase de la lutte avec un rassemblement des opposants le 29 avril sur le site de la gare de Bugeat-Viam.

Christophe et Anne

Notes

(1) Nature sur un Plateau, Source et Rivière du Limousin, la fédération Corrèze Environnement, la fédération Limousin Nature Environnement, le Groupe mammalogique et Herpétologique du Limousin, la Société pour l’Étude et la Protection des Oiseaux en Limousin.

(2) La notion d’extractivisme est un concept large, et polysémique qui désigne les moyens et stratégies d’exploitation industrielle de la Nature, quand il s’agit d’extraire (sans retour et directement dans le milieu naturel) des ressources naturelles pas, peu, difficilement, lentement ou coûteusement renouvelables. Source Wikipedia.

(3)En sylviculture, les rémanents sont les restes de branches ou de troncs mal conformés, abandonnés en forêt par les bûcherons ou les paysans.

Pelletox, dragon du plateau des Millevaches

Voici un extrait d’un texte des opposants à l’usine à pellets, publié sur le site de la ZAD de Notre Dame des Landes :

« (…) C’en serait bientôt fini du bois de chauffage, et des chantiers en forêt avec les voisins, où l’on met de côté quelques stères pour les anciens du coin : car il faut acheter des pellets.
Fini le bois d’œuvre, qu’on pouvait espérer transformer un jour en charpente ou en mobilier : de toute façon il était gélif, il sera mieux en pâte à papier.
Finies les terres pauvres de la montagne : de toute façon elles ont déjà subi la monoculture, alors autant enlever aussi les souches et branchages. On trouvera bien un engrais à acheter, et puis on pourra replanter... un nouveau champ d’arbres.
Fini le maquis : les forêts doivent être bien rangées pour faire passer les machines modernes, et les « friches issues de la déprise agricole » ne servent à rien.
Fini les espaces refuges pour espèces farouches : il faut faire de la place pour l’humanité en marche. Sur toute la planète, on a dit. Ça veut dire ici aussi. Et puis au fond, à quoi elles nous servent ces bestioles 

À la place, il y aurait une usine « de chez nous », et sans doute bientôt plusieurs.

Il y aurait toujours plus de camions, prêts à livrer en « matières premières » les sites de transformation « locaux », ainsi que ceux du département d’à côté, ou à peine plus loin, en Europe de l’Ouest... ou du Centre... ou peut-être en Chine si le marché est là.

Il y aurait du bruit incessant et des fumées à nocivité réduite, des odeurs de pétrole brûlé et de bois torréfié, et des nouvelles technologies intelligentes qui égalent « presque » le muscle humain et la photosynthèse en termes de rendement.

Et puis les habitant-e-s pourraient aussi bien aller y travailler, à l’usine, ou dans les camions, ou derrières les engins, il y en a bien d’autres, d’ailleurs, des habitant-e-s, ailleurs, qui travaillent pour les fabriquer, ces camions et ces engins, et pour extraire des matières premières. Ici comme là-bas, iels gagnent presque assez d’argent pour payer leurs courses, et parfois même leurs cadeaux de Noël. Et iels seraient presque heureu-ses-x de faire leur part dans cette grande machine planétaire pilotée par d’autres, même s’il faut parfois crever un peu de faim ou de cancer ou de guerre parce que ceux qui pilotent n’arrivent pas à se mettre d’accord et voudraient tous tenir le manche à la place de leur concurrent de voisin. Et ils auraient presque oublié qu’on pouvait faire autrement pour se nourrir, se chauffer, s’entraider, et s’amuser. Ils auraient presque oublié que sous le monde de la marchandise, de la concurrence et de la consommation, subsistaient encore d’autres mondes, d’autres histoires, qui parlaient d’autonomie de subsistance et de lendemains qui chantent, de communes libres et de solidarité entre les peuples. (…) »

https://zad.nadir.org/spip.php?article5139


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