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Apprenons à faire la révolution avec Emmanuel Macron (et BFMTV)

posté le 20/06/18 Mots-clés  luttes sociales  médias  répression / contrôle social 

“Emmanuel Macron recadre un collégien”, clame un bandeau, et ça suffit pour occuper BFMTV. Tandis que tous ses experts s’accordent à vanter la réaction du président, le présentateur imagine l’ado insolent en futur adhérent de Sud-Rail, syndicat connu pour ses provocations.

« Emmanuel Macron ne plaisante pas avec sa fonction. » BFMTV non plus. Lundi soir, la nouvelle fait la une de ses journaux. « Lors de la cérémonie de commémoration de l’appel du 18 juin, le chef de l’Etat a sèchement recadré un jeune qui s’était permis de l’appeler “Manu”. » De quoi éclipser le reste de l’actualité. Pour la douzième fois, la séquence est repassée : « Tu m’appelles “Monsieur le président de la République” ou “Monsieur” », répond le chef de l’Etat à l’impertinent.

« Et tu fais les choses dans le bon ordre », poursuit Emmanuel Macron face au collégien qui, avant de l’appeler « Manu », avait osé chanter L’Internationale. « Le jour où tu veux faire la révolution, tu apprends d’abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même, d’accord ? » Il n’a qu’à prendre exemple sur notre président, qui a attendu d’avoir un diplôme et de pouvoir se nourrir lui-même avant d’écrire son livre Révolution.

Thierry Arnaud, chef du service politique, est mobilisé pour décrypter la scène. « On voit bien que le chef de l’Etat n’avait pas du tout envie de plaisanter », suggère le présentateur. « On retrouve la personnalité du président, sa volonté de faire respecter la fonction, assure l’expert. Ça rappelle Lunel, en 2016, quand il était ministre de l’Economie, sa rencontre avec deux jeunes qui critiquent son “costard” et quelques jours plus tard il dira : “Je n’ai ni mépris ni démagogie, mais j’attends aussi d’eux qu’ils respectent les représentants des pouvoirs publics.” » Sur le moment, il avait surtout répondu : « Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler », mais l’éditorialiste semble l’avoir oublié.
« Alors évidemment, on ne manquera pas de polémiquer, déplore Thierry Arnaud, on rappellera que celui qui corrige le langage [du collégien], c’est celui qui parlait d’un “pognon de dingue” il y a quelques jours à propos des aides sociales. » Oui mais ce n’était pas pareil : il parlait des pauvres, donc il pouvait user d’un langage grossier. A l’inverse, quand c’est un pauvre, ou un collégien, ou un rien, qui s’adresse au président, il a le devoir de le traiter avec le respect dû à sa fonction.

« Tout ça au fond n’est pas grave, conclut l’éditorialiste. Je ne pense pas que ça changera la configuration du quinquennat d’Emmanuel Macron. » Mais ça change la configuration de la soirée de BFMTV. Ainsi, Olivier Truchot propose à ses invités de débattre de cet événement retentissant : « Je voudrais quand même vous faire réagir sur cette vidéo, sur la façon dont Emmanuel Macron a recadré ce jeune insolent. Il en menait pas large ensuite, ce jeune », s’amuse le présentateur.

« Emmanuel Macron a évidemment raison de le reprendre », estime Charlotte d’Ornellas, de Valeurs actuelles, ajoutant à propos du malappris : « Je pense qu’il s’en souviendra très longtemps. » « On garde les images, promet Laurent Neumann, éditorialiste de BFMTV. Si un jour il fait de la politique, il devient syndicaliste, je suis sûr que cette image sera dans toutes les archives. » Et qu’on la lui ressortira pour l’humilier. En attendant, elle tourne en boucle et même le président a posté la scène sur son compte Twitter.

« Le président lui donne une leçon de politesse, il a bien fait, estime à son tour Laurent Neumann. Il lui donne aussi une petite leçon de vie, peut-être que c’était ça qui était un peu en trop… » Pas du tout, c’était important de savoir dans quelles conditions le président autorise ses sujets à faire la révolution. « Mais en tout cas, il a bien fait de le recadrer. » Tout le monde est d’accord là-dessus. « La réaction est saine, analyse Apolline de Malherbe. Ensuite, il en rajoute. Cela dit, on pense à la gifle de François Bayrou, ça avait été extrêmement apprécié… » Il aurait dû gifler le collégien ? « … Parce que oui, malgré tout, il ferait ce que nous, parents, on ferait avec nos enfants. » N’oublions pas qu’Emmanuel Macron est le père de la nation.

Olivier Truchot suggère à propos de l’insolent : « Peut-être qu’il finira chez Sud-Rail, puisqu’il chante L’Internationale… » Le présentateur assure ainsi la transition avec un autre gros titre de BFMTV, « Bac : Sud-Rail provoque ». Quel forfait ces anarcho-extrémistes ont-ils encore commis ? « Malgré le début des épreuves du bac, la grève se poursuit à la SNCF, explique Olivier Truchot à 18 heures. Et le syndicat Sud-Rail a envoyé un drôle de message aux lycéens : “Encore cinq ans d’études inutiles et cinq ans de stages sous-payés…” Le cynisme des cheminots grévistes passe mal. » Ils n’ont pas compris que l’obtention de diplômes était indispensable pour être autorisé à faire la révolution.

Olivier Truchot interroge un représentant de Sud-Rail en duplex. « Fabien Dumas, malgré le début des épreuves du bac, la grève se poursuit malgré le bac. » C’est doublement pénalisant. Le présentateur revient sur le « drôle de message aux lycéens », en le citant en entier cette fois-ci : « Encore cinq ans d’études inutiles et cinq ans de stages sous-payés pour enfin vous faire ubériser dans les règles. » Il déplore : « C’est quand même assez cynique comme message. » « Je découvre le message en même temps que vous », lui répond Fabien Dumas, révélant que ledit message ne provient pas de la fédération Sud-Rail mais « peut-être d’un adhérent ».

L’indignation d’Olivier Truchot tombe à l’eau, il ne va pas pouvoir recadrer son invité comme le président recadre un collégien. « Est-ce que la négociation de la convention collective valait la poursuite de la grève malgré le bac, quand même ?! », s’insurge-t-il par défaut. Le syndicaliste annonce de nouvelles « actions impactantes » cet été. « Impactantes, ça veut dire quoi, que les Français n’auront pas forcément leur train pendant les vacances ? » C’est gênant. Presque autant que quand les Français n’ont pas leur train pour aller au travail. Le plus simple serait de ne pas faire grève quand les Français travaillent ni quand les Français sont en vacances. Ni quand les lycéens passent le bac, bien sûr. « Il y a aura donc un mouvement impactant cet été préconisé par Sud-Rail », conclut le présentateur, pas peu fier de son scoop et de son inquiétante impactation.
Trop tard, révèle le présentateur dans le journal qui suit. « Emmanuel Macron va promulguer la loi réformant le secteur ferroviaire. Lors d’un échange cet après-midi avec un ancien combattant, ça se passait au mont Valérien, le chef de l’Etat s’est dit persuadé que la colère des cheminots allait finir par se tasser. » Cette fois, pas d’anodin recadrage de collégien mais une scène d’une rare violence dans laquelle le chef de l’Etat se fait violemment agresser par un ancien combattant qui, malgré le voussoiement de façade, le menace de sa main tournoyant à deux centimètres du visage présidentiel.

« On est venu en voiture parce que vous n’avez pas encore réussi avec la SNCF… », se moque le malotru. « Ça va se tasser… », tente de le calmer le président. « J’espère, j’espère ! » « Mais oui… » « Il faut y aller, hein ! », le presse l’impertinent en faisant le geste de serrer la vis (ou le kiki). « C’est fait, se défend Emmanuel Macron, la loi est votée, moi je vais la promulguer. » « Moi, je vois les choses comme ça, insiste l’indélicat : il faut les engager par contrat et, quand ils font une connerie, bon ben… » « Je vais vous envoyer à la négociation. » Ah bon ? Il ne va pas lui apprendre à faire la révolution ?


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