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Après un mois d’occupation de Tolbiac : un premier bilan

posté le 24/06/18 Mots-clés  antifa 

Alors que la fac de Tolbiac a été évacuée vendredi 20 avril à l’aube par les CRS, l’heure est aux bilans pour une des plus longues occupations de fac depuis le CPE. Une occupation qui a fait de Tolbiac un symbole de la mobilisation estudiantine, mais qui a peiné à transformer les francs succès du début avril et à jouer le rôle de véritable moteur.

Occuper Tolbiac : un moyen de défendre la fac face à la répression administrative de la direction

26 mars : l’occupation est votée dans une Assemblée Générale rassemblant 800 étudiants quelques jours après l’attaque fasciste de Montpellier le 22 au soir. Plusieurs objectifs dirigent ce passage à l’occupation, notamment les réactions de la direction de Paris 1 face à la mobilisation étudiante. En effet, le 14 février et le 22 mars, la direction de l’université a imposé un lock-out aux étudiants, c’est-à-dire une fermeture administrative du centre Tolbiac pour empêcher que les Assemblées Générales se tiennent avant les manifestations prévues à ces deux dates. L’occupation, lancée le 26 mars, se veut une réponse à cette politique : face aux fermetures administratives, l’occupation doit être un moyen d’être sûr que la fac reste ouverte, jours de mobilisation nationale ou non.

Mais il s’agit aussi de durcir le rapport de force avec les autorités pour obtenir le retrait du plan étudiants : l’occupation, en annulant tous les cours et tout le système administratif du centre, est un moyen de libérer les étudiants des contraintes matérielles qui les empêchent de se mobiliser, notamment la pression des examens et de l’assiduité en cours, d’autant plus forte pour les boursiers. Accumuler des forces pour développer la mobilisation : voilà la logique du bastion que Tolbiac était en train de forger. Développer la mobilisation implique aussi de batailler politiquement contre celles et ceux qui sont favorables à la sélection ou bien opposés à la sélection mais contre les blocages. Ces étudiants, notamment ceux de la Fédé Paris 1 (fédération d’associations corporatistes de filières), ont été à plusieurs reprises battus en Assemblée Générale, mis en minorité au point où le 3 avril, alors que 1500 personnes sont présentes en AG, seulement 200 s’opposent au blocage. Ce sont ces AG massives qui donnent sa légitimité au processus d’occupation, dans un premier temps, car elle est ressentie comme une nécessité politique par les étudiants mobilisés.

Depuis le CPE, aucune occupation n’avait acquis un poids dans le mouvement étudiant si important. L’idée d’occuper son université au moment où celle-ci se trouve sous la menace d’une destruction pure et simple par un gouvernement qui souhaite définitivement faire de la fac une institution sélective, ce que les gouvernements de 1968 et 1986 n’avaient pas réussi à faire, est de fait signe d’une conscience aigüe du problème qu’implique la loi ORE. Le fait que ces occupations se soient développées et se développent partout en France (le Mirail, Montpellier-3, Paris 4, Paris 8, Nanterre…), et qu’elles tiennent si longtemps montrent avant tout le rejet de cette loi dans la jeunesse. Selon un récent sondage, 61 % des 18-24 ans sont contre la sélection à l’université : c’est bien ce soutien massif qui a permis à la Commune Libre de Tolbiac de se maintenir dans la durée.

Tolbiac, la huitième gare parisienne ?

De plus, alors que les cheminots et les étudiants sont conjointement attaqués par le gouvernement, cela faisait longtemps qu’une université n’avait été autant un point de ralliement pour les travailleurs en grève. Dès le début, la question de la convergence avec d’autres secteurs en lutte a été dans toutes les têtes. L’idée que les étudiants ne pourraient pas gagner seuls contre le plan étudiants, et qu’il faudrait nécessairement réussir à trouver les moyens d’avoir un plan de bataille commun avec les cheminots, en lutte contre la réforme ferroviaire, s’est ainsi rapidement concrétisée : le 2 avril, une délégation de cheminots de toutes les gares parisiennes est venue discuter avec les étudiants pour leur présenter la réforme qu’ils combattaient. Ces premiers liens de convergences se sont ensuite développés : alors que Tolbiac était sous la menace d’une évacuation le 10 avril, les cheminots ont été les premiers à venir défendre le site et apporter leur soutien aux étudiants mobilisés. Les événements l’ont montré clairement, la défense de Tolbiac a été avant tout garantie par ses offensives politiques et non par des moyens tactiques ou militaires. La présence de cheminots aux Assemblées Générales étudiantes et réciproquement, la présence des étudiants de Paris 1 aux AG cheminotes, notamment celles de Paris Nord et d’Austerlitz a finalement montré aux étudiants la nécessité de soutenir toutes les initiatives cheminotes en faveur d’un durcissement du bras de fer avec le gouvernement : le concert de solidarité avec les cheminots en reconductible organisé le samedi 14 avril, qui a amené plus d’un millier d’étudiants et de soutiens, a permis de récolter 6000 euros dont 4500 euros reversés aux caisses de grèves aux cheminots en reconductible, en est un exemple.

A plusieurs reprises, nombre de cheminots ont souligné que c’était la première fois qu’ils mettaient les pieds dans une université. C’est avant tout l’expression de pourquoi le combat contre la sélection est aussi un combat pour une « université ouverte aux enfants d’ouvriers », mais aussi aux ouvriers eux-mêmes. Décloisonner l’ordre social, détruire la frontière entre travail manuel et intellectuels est une tâche primordiale du mouvement étudiant qui cherche à créer une université destinée non pas à être une instance productrice de diplômes qui sanctionnent des compétences valorisables par les entreprises, mais une université destinée à la production et à la diffusion des savoirs, au service des luttes, c’est-à-dire en faveur d’une persppective réellement émancipatrice.

L’occupation, une fin en soi ou un outil de lutte contre la sélection ?

Cependant, dès les premières AG, un clivage important apparaît entre les diverses sensibilités du mouvement : à quoi sert l’occupation ? Cette question commence à apparaître autour de la proposition de certains militants, notamment de la gauche autonome, de faire voter le « blocage illimité » plutôt que le « blocage reconductible » c’est-à-dire soumis au vote et à discussion à chaque assemblée générale. Or, derrière cette proposition se dessine un projet pour l’occupation, celui d’une occupation qui devient un lieu de vie : c’est ce qu’expliquait il y a un an un appel paru sur Parislutte.info, « Trouver une occupation ». Derrière le blocage illimité, on retrouve bien la volonté de créer des lieux de vie alternatifs plutôt que des lieux au service d’une lutte pour des objectifs donnés (ici le retrait du plan étudiants et, plus largement, contre la réforme ferroviaire de Macron et son monde), associés à un programme d’action pour la dite lutte. La logique de l’appel est claire : « face à l’évidente absurdité de l’organisation de ce monde, trouver du sens dans une vie partagée est un point de départ pour la conjurer ».

Dès lors, l’occupation devient une fin en soi plutôt qu’un moyen d’action. Au lieu d’être un bastion pour permettre l’accumulation des forces militantes pour accentuer le rapport de force et obtenir gain de cause sur des revendications, le seul objectif qui reste devient de « maintenir l’occupation », en totale déconnexion avec le plan étudiants. Cette perspective est, de plus, alimentée par la peur d’une intervention policière contre les occupants, ou même d’une milice fasciste comme à Montpellier. Face à ces menaces, alimentées par les nervis d’extrême droite sur les réseaux sociaux, la volonté de se cacher et de se barricader se renforce. Elle est compréhensible, mais contre-productive. De plus, cette logique s’inscrit dans une analyse erronée du rapport de force. La perspective politique du blocage illimité et du ralentissement du rythme de réunion des assemblées générales repose sur l’idée que le rapport de force va tendre à l’apaisement à mesure que le mouvement progressera. Or c’est le contraire qui s’est produit. Plus nous nous renforçons, plus la répression devient féroce, s’organise et diversifie ses moyens, c’est pourquoi il nous faut sans cesse poursuivre nos efforts pour étendre la mobilisation plutôt que nous reposer sur de prétendus acquis qui cessent d’en être dès lors que l’on acte le fait de s’en tenir au statut quo.

C’est cet isolement qui a joué contre l’extension de l’occupation de Tolbiac : après le vote du blocage illimité, le 3 avril, les Assemblées Générale n’ont fait que se désemplir, passant à 800 puis à 300 le 16 avril. La logique de « l’Université Ouverte de Tolbiac » est aussi allée dans ce sens : si une fac occupée ne doit pas être une fac morte, l’organisation d’une vie alternative sur la fac (ateliers, débats, projections) ne s’est que peu mise au service d’une réflexion sur comment gagner face à la sélection. S’il y a bien eu des ateliers ou des débats sur la stratégie à développer pour battre le gouvernement, sur les alliances à tisser avec d’autres secteurs comme les cheminots, la majorité des activités organisées par « l’université ouverte » a plus suivi le modèle de « l’éducation populaire », c’est-à-dire une somme de cours alternatifs destinés certes à diffuser d’une autre manière le savoir, mais en relative déconnexion avec les objectifs immédiats de la lutte et les moyens d’arracher une victoire contre Macron. Une somme d’ateliers alternatifs, parfois de très grande qualité mais qui était avant tout l’addition juxtaposée des différents sensibilités de l’occupation davantage que leur synthèse politique, n’est pas une arme pour massifier et souder un mouvement qui doit réfléchir aux coordonnées politiques et stratégiques pour gagner.

L’auto-organisation et ses ennemis

Pourquoi Tolbiac a-t-elle pu être évacuée si rapidement ? Evidemment, il y a une question de nombre : alors que le nombre d’étudiants en Assemblée Générale était divisé par sept en quinze jours et que la manifestation du 19 avril n’a rassemblé, tout au plus, qu’une dizaine de milliers de jeunes sur Paris, le gouvernement a pu juger propice d’évacuer à la veille des vacances, au moment où les étudiants mobilisés auraient le plus de mal à inverser la tendance.

Mais l’un des gros problèmes de l’occupation de Tolbiac a été l’auto-organisation. L’idée qu’il faille que toutes les questions du mouvement (y compris l’occupation) soient prises en charge collectivement, d’abord par une Assemblée Générale, et mis en œuvre par un comité de mobilisation était loin d’être consensuelle. Pour beaucoup « d’occupants », les étudiants mobilisés n’avaient pas leur mot à dire sur ce qu’ils considéraient comme leur « lieu de vie ». Or cette conception est la dérive la plus prononcée et la plus néfaste de la mobilisation. L’idée implicite que l’effort militant (qui a bien entendu aussi contribué activement à la tenue matérielle de l’occupation, et donc à son succès) est quantitativement en dernière instance le véritable critère de la légitimité politique est fondamentalement une logique élitiste et va à l’encontre des constats que tous les autonomes font par ailleurs sur le mouvement étudiant et en particulier sur le milieu militant qu’il n’hésite pas à qualifier (en partie à raison) de petit-bourgeois. Or demeurer sur place 24h/24 est admirable certes mais dit aussi quelque chose des contraintes matérielles qui pèsent sur ceux qui peuvent se le permettre. On voit bien que si l’on pousse jusqu’au bout cette conception de l’investissement de « l’occupant », elle découle d’une logique délétère de l’entre-soi, social et militant, en contradiction avec la logique même de l’ouverture. Or cette logique n’est pas seulement une réponse aux problèmes de détérioration de la situation interne des 10 derniers jours avant l’évacuation (eux-mêmes liés au reflux des AG et à l’horizon d’ouverture sur une base apolitique). Dès les premières AG, les occupants se sont présentés devant le millier d’étudiants réunis dans l’amphithéâtre, masqués, pour leur souhaiter la « bienvenue », espérant que les conditions d’« accueil » soient satisfaisantes. Le ver était déjà dans le fruit avant la prise de décision autoritaire de confiscation de l’appareil décisionnaire dans sa totalité par une minorité d’étudiants. « L’occupant » n’est pas « l’étudiant » et ce dernier, accueilli, est inviter à ôter son habit d’étudiant pour devenir pleinement occupant (sans considération aucune eu égard à ce qu’exige une présence quasi permanente sur le site) sous peine, finalement, d’être tenu à l’écart des organes de décisions dont les étudiants s’étaient dotés pour lutter, c’est-à-dire une fac occupée.

Au cœur de cette conception politique se trouve l’idée qu’une fois l’occupation en place, il n’y aurait plus besoin d’assemblée générale, sous entendu tout serait déjà fait. En réalité le plan étudiants n’est pas abrogé. Malgré la critique que la mouvance autonome formule de manière récurrente à propos des Assemblées Générales, qu’elle essentialise comme des « repaires de bureaucrates » (supposés ou réels), la réponse de cette même gauche autonome a été, plutôt que de lutter contre toutes les propositions émanant des associations corporatistes (la Fédé) ou de l’UNEF, d’adopter la stratégie à long terme de confiscation des outils de la lutte par la mise en place de réunions informelles de militants « de confiance », à l’extérieur de tout cadre véritablement collectif pour ne jurer que sur l’affinitaire.

Cette dynamique interne du mouvement d’occupation sur Tolbiac n’a pas consisté en une alternative sérieuse à la politique de récupération de l’UNEF et de la France Insoumise. L’une et l’autre se sont inscrites en effet dans le creux de la vague, profitant d’un certain confort politique pour constituer, au moins localement, une assise politique sur ce qu’ils n’ont cessé de considérer comme un effet de marge. Le jeu politique des appareils a été relativement cohérent et n’a pas eu besoin de critique sur ce qui était devenu un « lieu de vie », que certains ont même voulu transformer en « ZAD de Tolbiac ». Se contentant de rappeler inlassablement leur opposition à la loi sans jamais proposer un plan de bataille susceptible de permettre d’obtenir la victoire contre le gouvernement, la stratégie politique de la mouvance autonome s’est avérée incapable de contrebalancer efficacement l’influence politique des appareils parlementaristes. Cette politique de fait conjointe des autonomes et de l’UNEF/France Insoumise, en plus d’empêcher une massification du mouvement, a de surcroît participé à rendre passif les étudiants mobilisés, assistant d’une part à une occupation se repliant sur un entre-soi, et où la seule proposition alternative était une « université ouverte » qui, malgré ses relatifs succès, n’a pas permis de pousser les étudiants au combat.

Dans une moindre mesure, la politique conjointe menée par Lutte Ouvrière et le groupe l’Etincelle (fraction du NPA) a laissé tout autant le champ libre aux autonomes pour mener Tolbiac dans le mur. La logique consistant à sortir une fraction du mouvement de l’occupation pour lui proposer de militer hors de la fac (dans les gares, les hôpitaux, les lycées…), sans aucune bataille avec les autonomes, n’a en rien été présentée comme une alternative à la politique des « zadistes de Tolbiac », mais s’est faite à côté, comme une façon de contourner un problème sans le résoudre.

Repartir à l’offensive

Nous ne faisons pas ce bilan avec l’idée que la mobilisation est perdue sur Tolbiac, et qu’il ne sera plus possible de renouer avec une mobilisation conséquente sur l’université Paris 1. Dans les facs qui rentrent de vacances de printemps, la tendance est partout à la massification des Assemblées Générales. C’est pourquoi l’enjeu reste dès la rentrée de profiter des partiels, que les étudiants soient à nouveau sur la fac, pour créer à nouveau un rapport de force contre le gouvernement et la présidence de l’université. Cela passera par trouver une nouvelle assise territoriale, Tolbiac étant maintenant neutralisée et surveillée par les CRS jusqu’à septembre ; la Sorbonne ou le Panthéon peuvent être ces nouveaux ancrages, déplaçant de surcroit le centre de gravité de la mobilisation au coeur du quartier Latin, ô combien symbolique 50 ans après mai 68. La question des partiels et de l’obtention des notes est aussi importante. D’ores et déjà, dans plusieurs universités, les professeurs ont annoncé un mouvement de rétention des notes, ou même de « 20/20 politique ». A Paris 1, où de nombreux professeurs sont mobilisés, il va falloir réfléchir collectivement à comment annuler ou perturber le maximum de partiels.

Mais une des tâches du mouvement étudiant va aussi devoir s’adresser aux lycéens, qui recevront courant mai les premières réponses de Parcoursup’ : ce sera l’occasion de discuter plus concrètement avec les lycéens du plan étudiants, alors que certains se retrouveront peut être sans affectation à l’université. Alors que le 12 avril, les étudiants ont organisé des cortèges de jeunesse conséquents, le 1er et le 3 mai doivent être l’occasion de renouer avec la rue : c’est de cette manière que le CPE a été abrogé, c’est de cette façon que le plan étudiants pourra aussi l’être.


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