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POURQUOI NOUS SOMMES INDIVIDUALISTES

posté le 24/06/18 Mots-clés  antimilitarisme 

Une théorie critiquée, honnie, salie… Que d’épithètes, que d’injures, que de calomnies sont associées au terme d’individualisme ! Et combien de nigauds et de naïfs sont prêts à avaler les boniments faciles de ceux qui combattent l’individualisme, souvent avec mauvaise foi. Aussi il ne sera assurément pas superflu, de répéter une fois de plus nos arguments sur une question aussi passionnante.

Oui, nous sommes individualistes. Notre anarchisme n’a pas d’autre base, d’autre raison d’être que nos désirs de vie et de bonheur. Si nous nous révoltons c’est parce que nous voulons vivre ! Si nous combattons l’autorité, c’est parce qu’elle nous gène. Si nous cherchons à briser toutes nos chaînes, c’est parce que notre développement harmonique n’est possible qu’avec la liberté, l’indépendance absolue.

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Je suis vivant. J’ai été jeté dans la vie, par suite d’un hasard génital ou d’une imprudence conjugale que je ne veux approfondir. Je suis vivant, mon organisme fonctionne, je sais que pour continuer à vivre, il me faut satisfaire aux exigences normales, aux besoins vitaux de mon individualité. Je sais aussi que la vie n’est bonne, que les jours ne sont délicieux qu’en dehors de toute contrainte, de toute privation, de toute réglementation imposée.

Je sais toutes ces choses. Elles sont d’ailleurs bien simples et pourtant voilà toute la bande des sophistes qui se dirige vers moi avec des paroles trompeuses et des théories émasculatrices.

Les voilà, les curés en soutane ou en jaquette, les socialistes tricolores, rouges ou noirs, les pasteurs ouvriers et les bergers patriotes ! Voilà le code et l’Evangile, le drapeau de France et celui du syndicat, la carte d’électeur et celle de la C. G. T., le crucifix et l’églantine !

Ah ! tu veux vivre, individu ! Choisis d’abord parmi nos dogmes nos morales, nos crédos. Nous avons des devoirs à t’imposer et des « droits » à t’imposer également ! Viens dans notre église, dans notre caserne, dans notre troupeau. Individu, tu n’es rien ! Nous allons t’apprendre qu’au dessus de tes aspirations personnelles et de ta petitesse… il y a la Masse, il y a Dieu, et la patrie, et le prolétariat, et la société, et l’humanité, et la cause, et la classe ouvrière…

Entends-tu homme, les paroles que prononcent tes ennemis ? Tu ne seras pas toi même, ta volonté ne s’exercera jamais, ton initiative sera brisée, tu ne seras rien. Un rouage, un automate, un esclave que des malins utiliseront au nom d’une Entité ou d’une Idole devant laquelle tu devras rester courbé dans la poussière de la résignation…

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Les religieux disaient naguère — et ils le répètent encore à ceux qui veulent bien toujours les entendre — que la vie humaine ne portait pas en elle même son but et sa finalité. Sorti des mains d’un créateur tout puissant, l’homme ne possédait par lui même aucune valeur. Sa force, son intelligence, ses vertus, ses qualités, il devait tout à Dieu. Aussi devait il profondément s’humilier devant son Maître, compter sur sa providence et s’incliner sans murmures devant l’omnipotence céleste. Venu de Dieu, ne vivant que parce que Dieu voulait bien le lui permettre, brin de paille sous la botte d’un géant ; tous ses actes devaient s’inspirer de la volonté divine et toute sa vie ne devait être qu’un acte de soumission religieuse.

Vivre pour Dieu ! Piétiner l’individu, l’empêcher de goûter aux joies de l’existence et le subordonner aux caprices et aux privilèges des sorciers de toutes les époques — voilà la conception théologique de la vie humaine, voilà le but, voilà le rôle de toutes les religions.

On parle d’abord de vie éternelle. Notre présence sur la planète terrestre est de courte durée, elle ne présente aucun intérêt. C’est la vie future qu’il faut mériter ! Et la religion explique tous les actes qu’il faut accomplir pour gagner le Paradis — de Jéhovah ou de Mahomet.

Il faut selon les maximes du Christ s’inspirer de deux principes : « le détachement du monde et l’attachement à Dieu seul. » Pour réaliser cette perfection, il faut renoncer catégoriquement à tous les biens terrestres, à toutes les jouissances et s’astreindre à de sévères mortifications.

Il faut être chaste, parce qu’il est bien plus facile de n’être attaché qu’à Dieu quand on vit dans la continence, que lorsqu’on partage sa vitalité entre Dieu et la créature humaine, dans une liaison amoureuse.

Il faut être pauvre, se détacher des biens de ce monde, quitter toute richesse pour mériter les ultimes félicités.

Il faut être obéissant, renoncer à tout orgueil, à tout amour-propre, ne plus exercer aucune volonté pour devenir vraiment le serviteur de Dieu… et de ses représentants.

C’est ainsi que s’édifient le mensonge religieux et l’exploitation cléricale. La conception théologique est profondément contraire à l’individu. Elle le trompe, elle le berne, elle l’exploite — au nom d’un Etre supérieur. Mais l’individualiste ne se soucie plus du croquemitaine et de ceux qui s’en servent. Il veut vivre ! La chasteté, l’esclavage, la misère lui semblent des calamités qu’il cherche à éloigner de son être avide de joie réelle et de bonheur immédiat !

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Mais tandis que l’homme noir disparaît avec ses fétiches et ses superstitions, tandis que l’être humain libéré de l’erreur religieuse, aspire à l’indépendance, voici venir d’autres bergers, d’autres exploiteurs.

Reste à genoux, imbécile ! Dieu n’existe plus, mais dans le temple dont nous l’avons chassé, contemple les déesses laïques qui le remplacent.

Famille, patrie, humanité : trinité positiviste, nouvelle mystification des calotins républicains et anticléricaux.

Et la même antienne recommence !

L’individu n’est rien par lui-même, il ne peut rien, il ne possède rien. Sa vie, il la tient de ses parents et ne peut la développer que dans la Famille. La famille ne peut accomplir son oeuvre que sous la protection de la grande famille nationale : la Patrie. Et les patries s’équilibrent dans le monde par l’ordre, par le progrès, par la justice ! ! !

Et voilà tout le cortège des obligations et des sanctions qui défile : devoirs envers la famille, envers la patrie, envers la société. Fils respectueux et soumis, soldat dévoué, contribuable docile, citoyen vertueux, ouvrier avachi et père de famille résigné ! Voilà les fonctions auxquelles l’individu ne saurait songer à se soustraire, à se dérober, elles lui sont supérieures. Et puisqu’on lui dit qu’il ne vit pas pour lui, mais pour les autres, qu’il ne constitue qu’un fétu emporté par la bourrasque — il lui faut accepter les décisions collectives, les gestes imposés, les catéchismes et les servitudes.

L’arbre n’est rien… la forêt est tout ! Tuons l’individu… pour le bien de la Société !

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La conception théologique et la conception positiviste qui tend à la remplacer dans les mœurs modernes et dans les institutions contemporaines, procèdent incontestablement d’un même état d’esprit, emploient les mêmes tactiques, les mêmes moyens d’action et si les principes invoqués sont différents, ils n’en aboutissent pas moins à un résultat identique ; l’asservissement des croyants par les bénéficiaires de la doctrine ou de la religion.

L’exploitation religieuse s’exerce désormais avec difficulté. On ne veut plus renoncer à une chose tangible — la vie présente — en vue d’une chose très hypothétique et certainement mensongère — la vie future des Paradis.

L’exploitation sociale est plus dangereuse. Les devoirs qu’elle dicte sont plus habilement proposés, les dogmes qu’elle énonce sont moins imaginaires et plus conformes à la mentalité moderne. La route de la vie humaine n’en est pas moins jalonnée de défenses et d’interdictions, de contraintes et de restrictions. L’individu ne traîne plus le boulet Religion, mais il plie sous le poids de la croix Société.

Alors que les prêtres se basaient sur la tromperie grossière, sur le fanatisme et l’ignorance absolue, leurs successeurs plus adroits savent canaliser à leur profit, les nécessités logiques de la vie des hommes.

Certes l’homme ne peut vivre seul, certes il a besoin de ses semblables — mais ses semblables n’ont-ils pas besoin de lui ?

Il périrait indéniablement dès sa naissance, si des mains affectueuses ne lui permettaient d’acquérir les premiers éléments de son futur développement.

Il périrait également — ou tout au moins il dégénérerait — s’il se trouvait placé dans un complet isolement et s’il lui fallait satisfaire à tous ses besoins actuels, sans autres moyens d’action que ses capacités strictement personnelles. Livré à ses forces uniques, il disparaît ou il rétrograde. C’est pourquoi il porte son regard vers les êtres de son espèce. Unis ils seront plus forts, ils réagiront plus facilement contre les forces mauvaises, ils subjugueront la nature et augmenteront leurs possibilités de bien-être.

Je reviendrai plus loin sur les rapports de l’homme avec ses semblables et sur la camaraderie qui doit résulter de ces rapports et nous verrons alors que seul l’individualiste est vraiment communiste, que seul l’égoïste, celui qui veut vivre, est capable de pratiquer consciemment l’entraide avec son voisin. Pour l’instant contentons nous de formuler le côté négatif de notre conception.

***

Je ne veux pas vivre pour Dieu parce que c’est un mythe, une blague.

Je ne veux pas vivre pour une entité écraseuse, parce que seuls mon bonheur, ma joie m’intéressent et que tous mes actes, tous mes efforts ne sauraient avoir d’autre but que d’épanouir toujours davantage ma personnalité, par la camaraderie et l’entente quand cela est possible, par la lutte quand cela est nécessaire.

Je ne veux pas vivre pour la famille, considérée comme une institution, comme un dogme. Il se peut que des rapports fraternels s’établissent entre individus d’une même filiation — au même titre qu’entre des étrangers. Ce n’est pas en vertu d’un devoir que je veux agir amicalement avec mes ascendants ou mes collatéraux. Si je rencontre chez eux de la camaraderie, j’agirais avec réciprocité, mais s’ils m’oppriment, s’ils prétendent au nom de leur préjugés m’assujettir à leurs routines, je me révolte, je les combats… Et au nom de quoi ou de qui prétendez-vous m’en empêcher, puisque je veux vivre, puisqu’il n’y a rien de supérieur à « moi » ? Au diable la famille si elle me gêne, si elle m’opprime…

Et la solidarité nationale, sociale et corporative ! Quelles blagues ! Que m’importe que ce bonhomme soit Français comme moi, qu’il excerce ainsi que moi le métier de comptable ou de boulanger ? En quoi sa qualité nationale peut elle m’intéresser ? J’aime mieux le Turc qui sera mon ami que le Parisien qui me fait des « rosseries », me calomnie, m’exploite. Je préfère à l’homme de mon métier qui est un inconscient ou un adversaire, celui qui me tend la main, quelle que soit sa « position » sociale. Et il y a des gens pour contester de telles banalités !

Avant d’être ouvrier, français, citoyen, je suis un homme, j’ai des besoins humains à satisfaire. Veux-tu être mon camarade ? Alors aidons-nous mutuellement, ce sera notre intérêt commun. Mais si tu ne veux pas respecter mon autonomie, si tu empiètes sur mon individu, je te combattrais qui que tu sois, concitoyen, confrère, compatriote ! Je ne veux pas de la solidarité hypocrite et conventionnelle, de ta fraternité menteuse et tyrannique. C’est la solidarité humaine que nous voulons réaliser — anarchistes-individualistes.

***

Ces deux termes ne sont pas séparables. Un anarchiste conscient est forcément individualiste et nous montrerons que l’individualiste intégral est amené à combattre forcément toute autorité…

Voilà pourquoi nous sommes individualistes. Nous en avons assez d’être roulés au nom des blagues les plus mensongères ! Nous en avons assez de sacrifier notre vie, notre personnalité sur les autels où officient les charlatans de la bondieuserie, de la démocratie ou du socialisme ouvrier !

Révoltons-nous, affirmons pour l’homme le droit de vivre enfin pour lui-même. Amoureux de la vie, de la liberté, moquons nous de tous les dogmes et de tous les mensonges : la seule bataille qui nous intéresse est celle qui se livre pour l’individu, pour nous pour nos amis, pour notre bonheur ! Soyons individualistes !

André LORULOT

l’anarchie n°10, jeudi 26 mai 1910


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