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Emile Armand : Rimes d’un emmuré

posté le 24/06/18 Mots-clés  art 


Je les ai vu passer sur le bord de la route
Les résignés. Muets, passifs. Tel le troupeau,
Qui d’un sombre abattoir franchit la morne voûte,
Ils allaient, l’œil éteint, marqués pour le tombeau

J’épiais tous leurs pas. Pas un cri sur leur bouche ;
Au cœur pas un élan. Vagues, ils acceptaient
Les faits ainsi qu’ils sont. Favorable ou farouche,
Contre le sort jamais ils ne se révoltaient.

Je les ai questionnés. — Infortune ou défaite
Ont brisé tout ressort — m’ont avoué les uns.
Et les autres m’ont dit : — Que du ciel soit faite
La volonté : qui veut entraver ses desseins ? —

Et je m’en suis allé, pensant qu’ils sont la foule,
Ceux que courbe le joug de la résignation.
Moi, je ne comprends pas, tant qu’en les veines coule
Une goutte de sang, qu’on renonce à l’action.

La Conciergerie, avril 1908.

* * *

… Je suis pour le vaincu, l’enchaîné, l’impuissant ;
Je suis pour l’accusé, non point pour l’innocent,
Car qui peut distinguer l’innocent du coupable
Dans la mêlée ardente, atroce, épouvantable,
Dans ce creuset fumant qu’est la société ?
J’ai la haine de qui restreint la liberté,
Prive de l’air des champs, claquemure, espionne ;
Du prisonnier, pour moi, la cause est toujours bonne.
Entre qui, sans danger, prononce jugement,
Du parvenu peureux anonyme instrument,
Et qui, condamné, gît au fond d’une cellule.
Je suis pour l’enfermé. Ma sympathie est nulle
Pour le bourgeois épais, le repu, l’arrivé,
Le marchand qui digère, à sa caisse rivé,
Et toise, l’œil fielleux, l’irrégulier qui passe,
Des menottes aux mains, au dos une besace.
Entre l’astucieux qui sait avec bonheur
Etre honnête sans perdre et sans risquer voleur,
Et le fier insoumis qu’il jette dans la tombe
Du cachot, mon choix est pour celui qui succombe.

La Santé, 27 décembre 1907.

* * *

Que peut bien m’importer la vie
Sans une étoile dans mon ciel,
Puisque du monde je n’envie,
Ni l’éclat ni l’artificiel ?

Que pourrait m’importer la vie
Sans un oasis calme et frais
Puisque du monde je n’envie
Ni les plaisirs ni les attraits ?

Pour employer mon énergie :
Un grand idéal. Pour mon cœur :
Un grand amour et de la vie
M’apparaît alors la valeur.

Mais sans oasis, sans étoile
Me trouver seul dans ce désert ?
Mieux vaut laisser tomber ta toile.
En voir davantage, à quoi sert ?

Melun, 7 juin 1909.

* * *

[« Rimes » sélectionnées dans les numéros 51, 53 & 52 de L’Ère Nouvelle.]


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