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Mort de Claude Lanzmann : un concert de louanges bien peu mérité

posté le 11/07/18 Mots-clés  médias  antifa 

Il y a quelques jours décédait à l’âge de 92 ans Claude Lanzmann, figure paradoxale de la vie intellectuelle française, anticolonialiste à l’époque de la guerre d’Algérie mais sioniste obtus, qui dirigea après Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir 1 la revue Les Temps Modernes. Sa mort a, comme on pouvait s’y attendre, été l’occasion d’un nouveau concert de louanges sans retenue, que vint à peine troubler l’évocation de ses mœurs de “séducteur brusque”, ayant il est vrai par la force des choses déployé l’essentiel de son activité dans ce domaine avant l’émergence du mouvement “balance ton porc”.

Mais de Claude Lanzmann, l’intelligentsia médiatique voudrait que le grand public ne retienne que le film de plus de huit heures, et intitulé Shoah 2, et préfère oublier son autre film-fleuve, le lamentable Tsahal, qui fait partie d’un même triptyque, impulsé et financé par l’État d’Israël et dont pourtant jamais les médias dominants ne parlent comme d’une œuvre de propagande.

Dans “Israël-Palestine, vérités sur un conflit” 3, Alain Gresh écrivait à propos de “Tsahal” :

« Lanzmann a commis un film pitoyable et apologétique sur l’armée israélienne. C’est son droit, nous sommes dans un pays libre. Il en a réalisé un autre, marquant, sur le génocide des juifs. Il en a tourné un troisième intitulé Pourquoi Israël ? 4.

A aucun moment il n’y évoque les Arabes. Interrogé sur le pourquoi de cette absence, il répond, dans une tribune du Monde (7 février 2001) : “C’est à eux de le faire”.

Arrête-toi une minute sur l’aberration de ce propos. Les Noirs devraient écrire sur les Noirs, les Arabes sur les Arabes, les juifs sur juifs ? Logique ethnique, tribale, logique de guerre, éloignée de tout idéal humaniste. »
Quant à Shlomo Sand, dans “Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël” 5, il note :

Tsahal, le film que Claude Lanzmann a consacré à l’armée israélienne, se termine sur l’image d’un jeune et aimable instructeur des blindés aux commandes d’un énorme tank. Cet officier, dont le visage rayonne d’intelligence, porte des lunettes à fines montures métalliques que l’on associe habituellement aux intellectuels. Ce plan, qui résume l’hymne visuel que chante le film aux nouveaux guerriers juifs, voudrait montrer au public que, bien que la guerre soit l’occupation essentielle des soldats, l’hérédité intellectuelle des descendants de Marx, Freud et Einstein se lit sur le visage de ce jeune officier. Le puissant État d’Israël est devenu le dernier refuge imaginaire d’un impossible universalisme.

Pourtant, le premier résultat de la colonisation sioniste a été de transformer une partie du « peuple du Livre » en une nation au sein de laquelle, après bien des épreuves, la position des « gens de lettres » n’est pas très différente de celle qui leur est assignée dans les autres cultures modernes.
Enfin, il faut revenir sur l’analyse par Amnon Kapeliouk, écrivain franco-israélien et co-fondateur de l’organisation B’Tselem. de ce film non seulement financé par Israël mais tournée avec l’entière coopération de son armée (Le Monde Diplomatique, novembre 1994) :

Le cinéaste documentariste Claude Lanzmann aime le monumental. Après Shoah (1985), qui s’étire sur huit heures, il vient de réaliser un nouveau film fleuve de cinq heures consacré à l’armée israélienne et intitulé simplement : Tsahal 6.

Ce film est fondé essentiellement sur une interminable série d’entretiens avec des militaires, généraux et soldats israéliens qui racontent leurs expériences et parlent de leurs sentiments. Bruits de chars, de bombes, enregistrements authentiques de conversations radio dans le réseau de communication militaire pendant la guerre d’octobre 1973 tentent de créer une atmosphère de combat, de guerre. Le cinéaste visite, entre autres, une base de l’armée de l’air et assiste à la dernière réunion d’un cours préparatoire pour pilotes. Il se rend dans une unité de chars et discute avec les soldats, donne de brèves images de l’Intifada et, vers la fin du film, laisse le micro à trois intellectuels israéliens qui s’expriment sur le problème des territoires arabes occupés. Les Palestiniens n’ont guère latitude d’expliquer leurs points de vue, rares sont ceux qui apparaissent pendant toute la durée de la projection ; et encore parlent-ils quelques minutes pour disparaître aussitôt.

Les sujets sont traités sans ordre précis. Le film évoque pêle-mêle la peur, l’attitude envers l’ennemi, le matériel de guerre, les principes stratégiques et évoque des anecdotes comme celle, d’ailleurs bien connue, que raconte le chef d’état-major de l’armée, le général Ehoud Barak, qui participa, déguisé en jeune fille, à l’assaut contre les domiciles de trois chefs de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ­ deux militaires et un civil, le poète Kamal Nasser, porte-parole de l’organisation, tous trois assassinés à Beyrouth en avril 1973.

Avant la projection de son film devant la presse à Paris, l’auteur déclara que son intention était de présenter une armée juive pourvue, selon lui, de caractères spécifiques par rapport aux autres armées. A quoi tiendrait donc cette différence ? Ses généraux l’expliquent dans le film : « Notre armée est pure (…), elle ne tue pas d’enfants. Nous avons une conscience et des valeurs et, à cause de notre morale, il y a peu de victimes [palestiniennes] », etc.

Or la chronique contredit ce discours. Claude Lanzmann, enquêteur compétent s’il en est, et qui sait aller jusqu’au bout des choses, ne pose pas de questions embarrassantes, cette fois, et laisse passer de tels propos sans la moindre contestation. En fait, il s’est fixé un objectif irréaliste, car l’armée israélienne est, comme toutes les autres, un instrument au service du pouvoir. Et lorsqu’une armée doit se transformer en force d’occupation, inévitablement elle viole les droits de l’homme et pratique la répression. Dans ce domaine, il n’est pas d’exception, et aucune armée ne peut fuir ce destin. Le fait que les parents des soldats israéliens aient été victimes du génocide hitlérien ­ ce que Claude Lanzmann n’oublie pas de rappeler à plusieurs reprises ­ n’apporte aucune circonstance atténuante à la spoliation des droits des Palestiniens.

On était en droit d’attendre tout autre chose du mariage d’un aussi habile documentariste avec un sujet aussi brûlant 7.

Car Tsahal ressemble par trop aux films de propagande produits au cours des premières années de l’État d’Israël, alors même que le cinéma de caractère politique en ce pays a considérablement évolué (lire Nachman Ingber, « Remises en question en Israël »). Dans Shoah, Claude Lanzmann aurait facilement pu allonger sa narration de deux ou trois heures, le film serait resté aussi captivant. Tandis que, en regardant Tsahal, l’on s’ennuie déjà ferme au bout de deux heures. Et il en reste encore trois…

La guerre du Liban n’a pas eu lieu

Lors de la projection privée du film à Paris, l’auteur a affirmé : « Je n’ai rien évité et rien caché. » Or, fait incroyable, le film omet complètement de traiter de la guerre du Liban, sans doute la plus problématique que l’armée israélienne ait menée dans son histoire, une guerre qui a secoué et déchiré toute la société, qui a causé la mort de quelque 700 soldats israéliens, de plus de 20.000 Palestiniens et Libanais, et qui a provoqué la démission du premier ministre Menahem Begin ; une guerre déclenchée en juin 1982 pour anéantir l’OLP et qui dure toujours, mais sous une autre forme, dans le Sud-Liban occupé par Israël, menée par Tsahal et ses collaborateurs de l’“Armée du Sud-Liban” contre les organisations libanaises, téléguidées par Téhéran, et palestiniennes, d’obédience syrienne. Aujourd’hui encore, tous les protagonistes continuent d’en payer le prix élevé 8.

Mais le film passe sous silence les bombardements des villes et la destruction des camps de réfugiés au Sud-Liban en 1982, le terrible siège de Beyrouth, le massacre de Sabra et Chatila que facilita l’armée israélienne, ainsi que l’a constaté une commission d’enquête officielle. Et voici le Liban rayé de l’histoire de Tsahal dans un film appelé Tsahal. Ce serait comme un film sur l’armée française sans la guerre d’Algérie.

Dévouement des soldats à leur armée : le général Yossi Ben-Hanan raconte ses aventures pour rentrer du Népal, où il passait ses vacances, lorsqu’il apprit que la guerre d’octobre 1973 avait éclaté. Une histoire assez banale mais qui montre bien quel était alors l’état d’esprit des Israéliens de tout bord. Les citoyens soldats se sentaient, moralement aussi, obligés de participer à toutes les guerres, et le nombre des insoumis était insignifiant, voire nul.

La guerre du Liban a révélé un phénomène nouveau, et tout à fait choquant pour l’Israélien moyen : le refus de certains soldats (tel le célèbre colonel Elie Gueva) d’obéir à l’ordre d’envahir Beyrouth et même de servir dans les rangs de l’armée au Liban. Il s’agissait de soldats du contingent et de réservistes membres du mouvement Yesh Gvoul (« Il y a une limite »). Le film ne donne pas la parole à ces pacifistes. Au total, des milliers auront refusé de servir au Liban et dans les territoires occupés. Quelque 200 de ces réfractaires furent condamnés à la prison ferme pour quelques semaines, voire pour quelques mois. Signataire du Manifeste des 121 qui, le 6 septembre 1960 en France, dénonçait la répression en Algérie en appelant à l’insoumission, Claude Lanzmann passe sous silence un même phénomène en Israël. Deux poids, deux mesures.

La guerre israélo-palestinienne qui dure depuis l’occupation des territoires palestiniens en juin 1967, et dans laquelle l’armée doit assumer la répression, est évoquée par des images montrant des enfants qui jettent des pierres sur les soldats, un couvre-feu à Naplouse, des vues de Gaza. Comment l’armée d’occupation lutte-t-elle contre la résistance palestinienne ? On ne le verra pas. Et si le point de vue officiel de l’armée a tout loisir de s’exprimer, aucun représentant ou combattant palestinien ne prend la parole pour expliquer les raisons de la violence de cette résistance. C’est comme un film sur la guerre d’Algérie où le FLN n’existerait pas.

Et encore, où sont ces images qui firent le tour du monde montrant des soldats israéliens exécutant les ordres de M. Rabin, ministre de la défense qui, au début de l’Intifada, ordonna à ses soldats de « briser les os (des Palestiniens) » ? Rien non plus sur le dynamitage des maisons, accompagné de scènes émouvantes de familles autour des débris de leur domicile. On ne voit pas les arbres fruitiers arrachés, « derrière lesquels se sont cachés les terroristes » . On ne voit rien des expulsions et des arrestations (une centaine de milliers de Palestiniens sont passés dans les prisons et les camps d’internement israéliens depuis le début de l’Intifada).

Le 14 juin dernier, la télévision israélienne a diffusé un film de l’Israélien Rami Lévy traitant de façon très courageuse des tortures infligées aux Palestiniens dans lequel des Arabes apportent leurs témoignages. L’eût-il souhaité, Claude Lanzmann aurait pu facilement se les procurer.

Il existe au sein de l’armée israélienne un escadron de la mort composé d’unités déguisées en Arabes et qui exécutent sommairement les activistes palestiniens recherchés. Les médias israéliens ont donné des informations abondantes sur le sujet. Mais pas un mot dans le document de Claude Lanzmann.

Le film conte les dangers de l’Intifada, car un jet de pierre est susceptible de tuer. Mais une pierre lancée par l’homme ne peut franchir plus de 60 mètres. Or les francs-tireurs israéliens spécialisés visent, avec leurs lunettes, des manifestants qui jettent des pierres à une distance plus éloignée, ils en touchent un ou deux et dispersent ainsi la manifestation. « Les soldats tirent uniquement lorsqu’ils sont en danger », dit l’un des généraux dans le film. Mais combien, parmi les 1.500 tués et 30.000 blessés de l’Intifada, ont-ils réellement mis en danger la vie des soldats ? Leur nombre est infime.

Le pont Allenby, sur le Jourdain, est l’une des deux voies d’accès à la Jordanie. Claude Lanzmann a visité les lieux, il s’est entretenu brièvement avec un Palestinien ­ l’un des rares à paraître dans le film ­ qui rentrait de Jordanie. Ce dernier se plaint que les formalités soient très longues. On voit les fouilles opérées sur les passants. Les vêtements sont entassés dans les valises sans ordre. « A la maison, on va les arranger », dit l’un d’eux. On a l’impression que tout est plus ou moins normal, et cependant cette séquence ne traduit pas toute la réalité. Le cinéaste a filmé là l’un des lieux les plus névralgiques des territoires occupés. Il aurait dû interroger d’autres passants, il aurait alors entendu d’autres histoires.

Cette scène du pont m’a ramené quelques dizaines d’années en arrière. C’était avant l’Intifida, je fus affecté là pour vingt-quatre jours comme réserviste, et ce que j’y ai vu alors, sous l’uniforme de l’armée israélienne, était une succession bouleversante d’humiliations constantes, de cruautés, de mauvais traitements et de méchancetés de la part d’une partie des soldats à l’égard des Palestiniens qui rentraient chez eux. Le passage, qui dure presque toute la journée, commence par une fouille corporelle. Les voyageurs, hommes ou femmes, se déshabillent complètement et, à l’aide d’un détecteur de métaux, le soldat les fouille jusque sur les parties génitales. Tout dépend de l’humeur du soldat. Plusieurs fois j’ai vu, dans les cabines de fouille, des Palestiniens nus attendant patiemment le soldat qui, au beau milieu de l’inspection, avait décidé d’aller à la cantine.

L’examen des objets appartenant aux passants était très rude. On déchirait parfois les manteaux et autres habits pour chercher des détonateurs transportés en contrebande. Les chaussures des femmes passaient aux rayons X, et si l’on découvrait dans le talon un métal destiné généralement à le consolider, le soldat brisait le talon dans l’espoir d’y découvrir un détonateur… Des objets aussi personnels que les produits de beauté étaient à l’occasion détruits. Des biberons de lait pour bébés étaient vidés de leur contenu : « Il se peut qu’il y ait des détonateurs » , me répondit un soldat avec un sourire.

Cette histoire de biberon ayant été rapportée à un député, celui-ci interpella le ministre de la défense, qui ordonna de ne plus renverser le contenu des biberons… Les taxes douanières imposées sur les produits neufs transportés par les passants étaient arbitraires. Un jour, un soldat imposa une taxe anormale sur des objets appartenant à une femme de la bourgeoisie de Ramallah. Elle demanda : « Pourquoi une taxe aussi élevée ? » Il lui fut répondu par un juron très vulgaire. La femme, avec un regard fier, laissa ses effets et s’en alla sans rien.

La journaliste palestinienne Raimonda Tawil a raconté qu’un collier en or portant le mot « Palestine » avait été confisqué au pont Allenby sous prétexte que c’était de la propagande pour une organisation terroriste.

Lorsque des plaintes étaient adressées au commandant de la région, celui-ci répondait : « Rien à faire. Les soldats qui servent ici représentent le peuple d’Israël tout entier. Il y a parmi eux des gens cultivés et éduqués et il y a aussi des brutes. Tous, comme vous le savez, servent Tsahal ». Or ces derniers, les « brutes », sont absents du film.

Tsahal montre des chaînes de montage et des fabriques de chars. On sent que notre cinéaste aime les chars ou, du moins, qu’il aime les filmer. Leur vacarme, trop long, accompagne quelques scènes du film. Un soldat témoigne, donne un avis sur son char Merkava de fabrication israélienne : « C’est le meilleur du monde. ­ “Comment savez-vous cela ?” ­ On me l’a dit ». Un autre parle de son Centurion (de fabrication britannique) et on a l’impression qu’il parle de sa petite amie… Israël, rappelle ce document, a développé une industrie militaire florissante pour surmonter l’embargo sur les ventes d’armes décrété par quelques puissances occidentales pendant les deux premières décennies de l’existence de l’Etat.

L’Amérique et le Royaume-Uni ont ainsi évité de lui vendre des armes, mais la France lui en a fourni lors de la campagne de Suez en 1956 et pendant encore quelques années. Pour compléter ce chapitre important, Claude Lanzmann pouvait rappeler que l’Etat juif a, de son côté, vendu du matériel militaire à des régimes fascistes comme celui de Pinochet, aux dictatures d’Amérique latine et aux racistes d’Afrique du Sud. Les responsables de l’industrie militaire ont toujours justifié ces fournitures par la nécessité de vendre à qui est prêt à payer, si le pays doit subsister.

Le cinéaste a eu le privilège d’assister à une réunion de fin de stage de futurs pilotes. On annonce le nom de ceux qui seront pilotes et de ceux qui seront affectés à d’autres tâches. Déception, joie, indifférence parmi l’assistance. On voit beaucoup de religieux coiffés de leur calotte. Une écrasante majorité sont ashkénazes. Pourquoi si peu de séfarades ? Une séquence, somme toute, sans grand intérêt. Mais, en visitant cette base de l’armée de l’air, Claude Lanzmann aurait pu parler avec l’un des pilotes qui ont participé à la guerre du Liban, bombardé la population civile et les camps de réfugiés. Il aurait pu saisir cette occasion pour lui demander son témoignage.

Quand l’occupant force l’occupé à l’aider

En fait, on voit très peu la vie des soldats dans les camps militaires en Israël et dans les territoires occupés, alors qu’on assiste à des monologues sans fin sur la peur, ce sentiment commun à toutes les armées. Claude Lanzmann pouvait montrer la vie quotidienne des soldats, traiter de la coercition religieuse dans les camps où règnent les lois du grand rabbinat. Il aurait pu faire parler un soldat des unités spéciales accueillant les étudiants des écoles rabbiniques, qui font cinq années de service militaire au lieu de trois et consacrent les deux tiers de leur temps à l’étude des disciplines religieuses. Comme les rabbins de ces unités sont tous nationalistes et exercent une autorité morale incontestable, on voit mal comment les soldats de ces mêmes unités pourraient obéir à l’ordre d’évacuer les colons des implantations dans les territoires occupés si une telle décision était prise par le gouvernement. D’ailleurs, plusieurs de ces soldats ont déjà eu l’occasion d’exprimer leurs réserves à ce sujet devant des journalistes.

Vers la fin du film, un colon portant la calotte parle des droits éternels des juifs sur Eretz Israël (nom biblique de la Palestine). « Les Arabes n’ont rien construit. Nous construirons ici », lance-t-il. La scène se déroule dans l’implantation où il habite, en Cisjordanie. Non loin de là, des ouvriers palestiniens bâtissent des maisons pour les colons. Scène émouvante. On dirait qu’ils n’ont pas d’autre choix. L’occupant force l’occupé à l’aider : pourquoi Claude Lanzmann n’attaque-t-il pas ce sujet ? Parfois, les ouvriers palestiniens travaillent sur leurs propres terres, confisquées par l’armée (la moitié des terres de Cisjordanie est passée aux mains des Israéliens depuis 1967). Mais le simple spectateur de ce film n’en saura rien.

Beaucoup de généraux, dans Tsahal. Parmi eux, M. Ariel Sharon, général en retraite, ancien ministre de la défense, héros de la guerre du Liban. Il se promène dans sa ferme, caresse des agneaux et parle de l’importance de l’initiative lors des combats. Dommage que ce soit un monologue. M. Sharon était au centre de la « guerre des généraux », une querelle qui a éclaté en pleine guerre d’octobre 1973. On l’a accusé de refuser d’exécuter des ordres pendant les combats, de transmettre des rapports inexacts, etc. Le chef d’état-major, le général David Elazar, a même suggéré de le renvoyer. M. Sharon a répondu que ses détracteurs ne comprenaient rien à la stratégie. Mais, dans ce film de cinq heures où la guerre d’octobre est amplement traitée, il n’y a point de place pour un tel événement au sein de l’armée. C’est à se demander quel dessein sert ce film si peu crédible et qui n’apporte en fait rien de nouveau. Les Israéliens, quant à eux, ont dépassé le stade de ce genre de production.
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Notes
1. ↑ Dont il fut un temps l’amant attitré
2. ↑ Un exemple unique d’un film d’une telle longueur – généralement qualifié de “monumental” par les critiques peu soucieux, s’ils osaient émettre de vraies réserves, de se faire traiter d’antisémites par un Lanzmann volontiers vindicatif – qui fut diffusé plusieurs fois à la télévision, et en particulier par la chaîne publique franco-allemande ARTE, dont le dévouement à la promotion d’Israël n’est jamais pris en défaut, souvent sous prétexte du “devoir de mémoire” en utilisant toutes les ficelles de l’exploitation de l’antisémitisme parfois réel, souvent imaginaire – NDLR
3. ↑ Editions Fayard – 2001 – p. 20
4. ↑ Chronologiquement, Pourquoi Israël ? est antérieur à Shoah. C’est ce film, sorti en 1973, qui aurait donné l’idée à des hauts fonctionnaires du Ministère israélien des Affaires étrangères de demander à Lanzmann de tourner Shoah, et de financer ce tournage interminable. – NDLR
5. ↑ Flammarion – Collection Champs Essais
6. ↑ Le mot « Tsahal » est formé des initiales en hébreu du nom officiel de l’Armée de défense d’Israël. Le deuxième mot, « défense »­ haganah, en hébreu ­, fut le nom donné aux forces militaires clandestines de la communauté juive en Palestine à l’époque du mandat britannique. La droite possédait à cette époque-là deux petites formations dissidentes, l’Irgoun de Menahem Begin et le groupe Stern (LEHI), qui pratiquaient le terrorisme contre les Anglais et les Arabes palestiniens. [Menahem] Begin a préféré, pendant plusieurs années après la création de l’Etat d’Israël, utiliser le terme « Armée d’Israël » et non « Tsahal » à cause de l’allusion à la haganah dans le nom officiel.
7. ↑ Dans le journal Libération du 9 septembre dernier, Olivier Seguret qualifie le film d’ « occasion manquée » .
8. ↑ Récemment encore, dans un rapport adressé au secrétaire général de l’ONU le 21 octobre dernier, le commandant de la Force intérimaire des Nations unies au Liban a attiré l’attention sur l’emploi par Israël, dans le Sud du Liban, d’obus antipersonnel, dits « obus à fléchettes », armes interdites par la quatrième convention de Genève ( cf. le Monde , 25 octobre 1994).


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