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Racisme d’État (1/2) : un nouveau « front républicain »

posté le 03/08/18 Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  antifa 

Le 21 novembre 2017, le front républicain est mort en direct à l’Assemblée nationale. Un nouveau front républicain s’est formé quand les députés ont ovationné debout le ministre de l’Éducation nationale : celui-ci a fait l’unanimité, ou presque, non plus au nom de l’antiracisme pour faire barrage à l’extrême droite, mais avec le Front national, contre un syndicat qui combat le « racisme d’État ».

SUD Éducation 93 avait en effet annoncé pour la mi-décembre un stage de formation syndicale, sous le titre : « Au croisement des oppressions : où en est-on de l’antiracisme à l’école ? » « Deux ateliers « en non-mixité raciale » sont également au programme », précise Mediapart, « le premier portant sur “les outils pour déconstruire les préjugés de race, de genre et de classe”, le second sur le “ récit d’expérience des enseignant.es racisé.es”. »

On sait que la non-mixité, sexuelle et surtout raciale, fait polémique depuis le printemps 2016, d’abord avec les réunions féministes de Nuit Debout (mais qui s’indigne réellement de la non-mixité d’associations comme La Barbe ?) puis surtout après les journées de Paroles non-blanches, lors des mobilisations estudiantines à l’université Paris-8 contre la loi Travail : celles-ci avaient déjà suscité une question au gouvernement, et la condamnation de la ministre de l’Éducation nationale de l’époque.

Une fois encore, le Printemps républicain et le site d’extrême-droite Fdesouche ont lancé l’offensive : depuis des années, la « fachosphère » étend son influence avec des rhétoriques qui se réclament de la République comme de la laïcité. La censure se réclame désormais de la démocratie. La scène se répète, à propos du Camp décolonial contre le racisme d’État, et du Festival Nyansapo organisé par le collectif afroféministe Mwasi. C’est vrai aussi, dans le monde universitaire, sur des thèmes proches – même s’il n’y est pas question de non-mixité, autour du colloque sur l’intersectionnalité qui a failli être censuré au printemps 2017 à l’ESPE de l’académie de Créteil, ou de celui sur l’islamophobie qui l’a bien été à l’université Lyon-2 en septembre 2017.

Durant la séance de questions au gouvernement, Jean-Michel Blanquercommence par déclarer : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit. C’est l’article 1er de la Déclaration du 26 août 1789 qui je pense est à l’origine de l’engagement de tous les membres de cette Assemblée. » Autrement dit, c’est l’union sacrée autour de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tout ce qui met en cause ce fondement de notre République, de notre histoire républicaine, est évidemment très grave. »

Cécile Rilhac, députée LREM, a uniquement interrogé le ministre sur la non-mixité ; celui-ci n’en dit mot dans sa réponse. Il préfère s’en prendre au vocabulaire (quitte à se tromper au moment de citer) : « ces ateliers qualifiés (j’ouvre les guillemets) de “non-racialisés” – et de “racialisés” aussi d’ailleurs (je ferme les guillemets). L’expression même utilisée est absolument scandaleuse. Elle ne peut pas avoir sa place dans l’Éducation nationale. »

C’est une des caractéristiques du débat français : depuis des années, la classe politique confond les mots et les choses. On passe son temps à rejeter le mot « islamophobie » au lieu de combattre le racisme anti-musulman. On prétend s’engager contre le racisme en décidant, à défaut d’autres actions, de supprimer le mot « race » de la Constitution ou du droit français – alors que c’est une arme contre la discrimination raciale. Et cela, au moment même où s’en saisissent des antiracistes, souvent des personnes racisées, que Libération qualifiait en une, le 3 avril 2016, de « nouveaux antiracistes ».

Le ministre lutte pareillement contre un lexique : « On parle de “non-mixité raciale”, on parle de “blanchité”, on parle de “racisés”, c’est-à-dire les mots les plus épouvantables du vocabulaire politique sont utilisés au nom soi-disant de l’antiracisme alors qu’en fait ils véhiculent évidemment un racisme. » Les images montrent d’ailleurs, au passage, les quelques figures « non-blanches » de l’Assemblée nationale, comme pour appuyer la logique color-blind d’un discours républicain indifférent aux différences raciales.

Dès lors qu’il s’agit d’un stage antiraciste organisé par SUD Éducation, et non de journées du Front national, l’évidence pourtant n’a rien d’évident ; c’est bien pourquoi il faut l’affirmer avec force, « évidemment », contre ces nouveaux racistes que seraient les nouveaux antiracistes. Dans sa question, Cécile Rilhac était beaucoup plus modérée, puisque, si elle « condamn[ait] la méthode », la députée de la majorité rappelait l’importance du « combat contre le racisme », mais aussi le droit des enseignants d’« exprimer leur point de vue en toute liberté » ; « en même temps », elle mettait en garde contre « une forme d’hystérisation et d’instrumentalisation de cette polémique par une partie de l’extrême droite et de la fachosphère ».

Le ministre n’a pas cette exigence : ce n’est pas le risque de récupération qui l’inquiète, et il n’évoque pas davantage la liberté des enseignants. Il est d’ailleurs significatif que le ministre ne se soucie pas du risque de discrimination syndicale : le mot discrimination n’apparaît pas dans sa réponse. Sur le racisme, il n’a qu’une chose à dire : « puisque ce syndicat a décidé de parler aussi de racisme d’État, j’ai décidé de porter plainte pour diffamation à l’encontre de SUD Éducation 93. »

Alors que la question n’avait pas été interrompue par des applaudissements, la conclusion de la réponse transforme les applaudissements nourris en ovation, Marine Le Pen en tête : « Nous devons avoir l’unanimité de la représentation nationale contre cette vision de l’homme. » Quand l’ennemi principal, c’est « l’antiracisme politique », le Front national est au cœur du pacte républicain.

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Un deuxième billet proposera une discussion du vocabulaire contesté : non seulement les mots racisés et blanchité, mais aussi antiracisme politique, politiques de racialisation et de la race, et racisme d’État.


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