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Laïcité négative : une islamophobie sans voile

posté le 15/10/18 Mots-clés  antifa 

Si, pour faire place aux "racines chrétiennes" de la France, Nicolas Sarkozy parle de "laïcité positive", l’UMP ne devrait-elle pas rebaptiser son "débat" sur l’islam, qui traite en fait de "laïcité négative" ?

La question s’est posée, pour le « petit débat » de l’UMP sur la laïcité et l’islam, comme naguère au moment du « grand débat » gouvernemental sur l’identité nationale : pour le critiquer, faut-il y participer, au risque d’être pris à son piège ? ou bien vaut-il mieux le refuser, au risque d’abandonner le terrain ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’un débat dont les conclusions sont connues d’avance – à l’instar des 26 propositions rendues publiques la veille par le secrétaire général du parti ?

Le contre-débat qu’avec Esther Benbassa et Mediapart nous avons organisé à la Maison des métallos, à la veille du 5 avril, permet d’échapper à cette alternative. En effet, il ne s’agit pas d’aller porter la contradiction à la majorité présidentielle, en répondant à ses contre-vérités par des vérités sur l’islam ou la laïcité. En revanche, on peut renverser la perspective. C’est ce qu’avec le collectif « Cette France-là » nous essayons de faire sur un autre terrain. Et si l’on substituait, au « problème de l’immigration », un autre « problème » : la politique d’immigration ?

C’est ce qu’on peut faire aussi à propos de l’islam, qui est l’autre figure de cette rhétorique sarkozyenne (ou le second poumon, vous dis-je…). Non pas discuter de l’islam, ni davantage de la laïcité, mais prendre pour objet le discours politique qui les prend pour objets. On peut alors proposer un autre cadrage. Et si l’on replaçait le débat actuel dans l’ensemble des discours de la Sarkozye sur la laïcité et la religion, sur l’identité nationale et tous ses « Autres » racialisés ? Bref, que font, politiquement, ces « débats » qui n’en sont pas ?

* * *

On s’en souvient peut-être : après le discours de Grenoble, et en pleine chasse aux Roms, Hervé Morin, alors ministre de la Défense, donnait lecture du « texto d’un ami musulman ». C’était le 29 août 2010, à l’occasion de l’université d’été du Nouveau Centre qu’il préside : « Après cinquante ans de bons et loyaux services, c’est avec beaucoup d’émotion, mais il est vrai avec un certain soulagement, que les Français d’origine maghrébine, ainsi que moi-même, sommes très fiers de passer officiellement le relais aux Roms, comme boucs émissaires et responsables de tous les maux de la France. J’espère qu’ils seront et resteront dignes de cet héritage prestigieux. Bon courage à eux ! »

En fait, ce n’était qu’un au revoir : la droite gouvernementale n’en a pas fini avec ses « amis musulmans ». Sous Nicolas Sarkozy, un bouc émissaire ne chasse pas l’autre – bien au contraire. Le ballet de la stigmatisation continue sans fin. Pour préparer le débat qu’organise son parti sur la laïcité, Jean-François Copé publie, le 29 mars, une « lettre à un ami musulman ». Certains de mes meilleurs amis sont musulmans, dit ainsi la droite : dès lors, qui oserait parler d’islamophobie ? Le secrétaire général de l’UMP s’adresse à un ami fictif, auquel il feint de donner la parole : « Hier, vous m’avez dit votre perplexité à l’égard de ce ‘fichu débat’ – ce sont vos mots – que l’UMP a lancé sur la laïcité. » « Fichu débat » ? Ou nouveau débat sur le fichu ? Pourquoi ces mots ? L’inconscient politique, ça parle – et d’abord quand on fait parler les « autres ».

De fait, avec la droite sarkozyenne, le langage est de plus en plus clair. On se souvient de l’humour auvergnat de Brice Hortefeux : « Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en beaucoup qu’il y a des problèmes. » Cette plaisanterie du 5 septembre 2009, lors de l’université d’été des jeunes de l’UMP à Seignosse, lui a valu une condamnation pour injure à caractère racial. De qui parlait-il ? « C’est notre petit Arabe », disait une militante lors de cet échange. Et de préciser : « Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière. » Autrement dit, le bon Arabe n’est pas musulman ; il est même invité à participer aux apéros saucisson et pinard, aux côtés de Riposte laïque.

Lundi 4 avril, Claude Guéant, qui a succédé à Brice Hortefeux au ministère de l’intérieur, déclare pour anticiper sur le débat du lendemain : « Le problème est très important. » Certes, « la laïcité est un principe protecteur de la liberté de conscience. » Mais quel est le problème ? Parmi « nos concitoyens », selon ce ministre à l’écoute de la nation, « nombreux sont ceux qui pensent qu’il y a des entorses à la laïcité. » Mais il ne s’arrête pas à ce constat. Comme son prédécesseur, il propose un diagnostic fondé sur le nombre. « En 1905, il y avait très peu de musulmans en France, aujourd’hui, il y en a entre 5 et 6 millions. » Or « cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème. » Autrement dit, point trop n’en faut.

On ne sait si Claude Guéant sera poursuivi, moins encore condamné. On sait en tout cas qu’il ne plaisante pas. Sa politique du chiffre dit bien la vérité du débat du 5 avril : la laïcité, c’est l’islam. Et l’islam est un problème. Bas les masques ! C’en est fini des euphémisations démocratiques. Au moment même où le Front national reprend à son compte des justifications féministes, comme pour le voile ou la burqa, le ministre de l’intérieur renonce à s’en embarrasser. Il s’agit bien de défendre l’identité nationale contre l’islam. Désormais, les choses sont donc claires : c’est l’islamophobie sans voile.

* * *

Risquons un paradoxe : il convient de se réjouir de cette clarté nouvelle. En effet, la dérive lepéniste sans fin du sarkozysme libère la laïcité de son instrumentalisation raciste et xénophobe : les défenseurs authentiques de cette valeur républicaine ne peuvent plus l’ignorer. Ils sont condamnés à s’en démarquer, comme les féministes à prendre leurs distances avec Riposte laïque, sous peine de se voir taxer d’hypocrisie. Car la laïcité dont parle l’UMP ne saurait se parer de neutralité. Chacun l’a bien compris, elle n’a plus rien à voir avec un principe universel ; elle se réduit à une rhétorique partisane.

Pour plus de clarté, il importe donc de qualifier le substantif. C’est ce qu’avait déjà fait Nicolas Sarkozy, dans l’autre sens, en parlant à Rome, le 20 décembre 2007, de « laïcité positive » – un terme que Benoît XVI reprendra à son compte en lui rendant visite à Paris, le 12 septembre 2008. Dans ce discours du Latran, où le prêtre l’emportait sur l’instituteur, le président de la République entreprenait de réconcilier la laïcité et l’héritage chrétien, soit de « tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité, enfin parvenue à maturité. » C’est en ce sens qu’il concluait : « j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. »

Dans le discours présidentiel, la « laïcité positive » renvoie donc aux racines chrétiennes. Comme l’a rappelé le président dans son discours du 3 mars, « la chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation et de culture : les présidents d’une République laïque. » L’ironie de la formule, volontaire ou non, apparaît pleinement dans la phrase de conclusion : « ici, au Puy-en-Velay, peut-être un peu plus qu’ailleurs, il est évident que la France a aussi une âme. » Bref, si la laïcité, c’est tantôt l’islam, et tantôt le christianisme, pour éviter de mettre sur le même plan les deux religions, soit (selon les termes du président de la République) « ceux qui arrivent » et « ceux qui accueillent », un qualificatif s’imposerait désormais : si, pour faire place à l’héritage chrétien, elle est dite positive, en toute logique, l’UMP de Nicolas Sarkozy ne devrait-elle pas parler, contre l’islam, de « laïcité négative » ?


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