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Sur la situation au Vénézuela

posté le 11/02/19 Mots-clés  antifa 

À propos du Vénézuela, Médiapart tend trop souvent à se contenter (comme le reste de la Presse française hors-ligne et en-ligne) du bruit de fond propagandiste produit par les médias locaux qui sont pour la plupart (on l’oublie trop souvent) entre les mains de l’opposition au régime.

En réaction, beaucoup de lecteurs engagés ripostent à ce qu’ils perçoivent comme de la désinformation en adoptant une posture anti-impérialiste prenant souvent une coloration complotiste (non pas qu’il n’y ait pas de complots, mais adopter d’emblée une attitude de déni vis-à-vis des défauts et limites stratégiques du chavisme n’est pas le meilleur moyen d’y voir clair) et tout ceci ne fait pas avancer la réflexion, car les excès rhétoriques et la désinformation fleurissent de toute part (il paraît que même Madonna s’inquiète pour le Vénézuela...)

Ainsi certains dénoncent bruyamment et uniformément l’action du Centre Carter en oubliant trop vite que cette ONG américaine avait relevé (à rebrousse-poil de la propagande anti-chaviste) le caractère honnête et démocratique des dernières élections présidentielles. Tactiquement comme stratégiquement, ce manichéisme à l’égard de toute critique est contre-productif : le "Qui n’est pas à 100% avec nous est contre nous" est une forme d’aveuglement sectaire qui ne sert que les sectaires de l’autre bord.

Je recommande à tous ceux qui lisent l’espagnol (et en particulier aux journalistes de Médiapart qui sévissent sur l’Amérique Latine) de lire régulièrement les articles et chroniques de La Jornada (le journal édité par l’UNAM, l’Université Autonome de Mexico) qui sont bien documentés et nuancés, et qui couvrent un plus large spectre d’événements (et d’opinions sur ces événements) que beaucoup d’autres médias.

Voici quelques exemples de ce que j’y ai trouvé pour nourrir ma propre réflexion ces derniers temps :

- des analyses sur les tensions entre la droite (Capriles) et l’extrême-droite (Lopez) au sein du MUD et aussi au sein de l’extrême-droite (certains "bons camarades" de Lopez voulaient carrément l’assassiner dans le cadre de leur stratégie de la tension et du coup Lopez est allé se mettre à l’abri en prison après discussion avec certains chavistes et à mon avis, si les chavistes manoeuvraient plus finement que ce qu’ils ont montré ces derniers temps, Lopez pourrait à terme, une fois l’agitation retombée et même si cela paraît aujourd’hui irréaliste à beaucoup, devenir un des interlocuteurs du chavisme dans le cadre du débat démocratique) ; ceux qui critiquent la mentalité putschiste des opposants n’ont pas tort, mais ils oublient un peu vite que Chavez aussi avait commencé sa carrière comme officier putschiste avant de se convertir à une démarche de conquête démocratique du pouvoir par les urnes.

- des références à des critiques venues de l’intérieur du chavisme (un militaire de rang intermédiaire devenu gouverneur de province) quant à la gestion trop brutale et trop gesticulatrice (en particulier le survol de San Cristobal par des avions militaires) de la répression, ce qui a eu pour effet de ressouder et de galvaniser toute l’opposition (Capriles se tenait soigneusement à l’écart de Lopez jusqu’à ce que la montée des tensions l’incite à manifester sa solidarité avec les opposants les plus durs et à radicaliser son discours pour ne pas se laisser dépasser par sa base).

- des indications sur l’essoufflement ces derniers jours des manifestations étudiantes (qui sont orchestrées à partir des universités privées) et la reprise de contrôle de la situation sécuritaire par l’armée (avec tous les inconvénients que présente une intervention trop appuyée des militaires dans les désordres civils).

Au-delà, les problèmes de fond du Vénézuela demeurent :

- les ravages de la bureaucratie et de la corruption n’expliquent pas tout, mais ils commencent à aliéner les couches moyennes inférieures qui se sont développées grâce aux politiques sociales de Chavez (on peut ici faire un parallèle avec ce qui se passe au Brésil depuis l’an dernier : les classes nouvellement éduquées commencent à ne plus supporter la corruption et l’impéritie dans la gestion des administrations publiques).

- le gouvernement de Maduro a une bonne centaine de ministres, vice-ministres etc. mais toujours aucun plan global cohérent de développement des activités productives hors pétrole et des infrastructures ; la gestion des administrations publiques est enlisée dans la désorganisation et la corruption et la dépendance au pétrole est toujours aussi forte, l’investissement dans les infrastructures reste très insuffisant, et comme la dépendance au cuivre dans le Chili d’Allende (qui n’avait eu que deux ans pour commencer à réorienter l’économie alors que le chavisme est au pouvoir depuis bientôt quinze ans), cela facilite évidemment les manoeuvres de destabilisation de l’impérialisme (pourtant, un avantage qu’a le Vénézuela est que son pétrole a d’autres clients que les Etats-Unis alors que le cuivre chilien était à 100% sous le contrôle des Américains.)


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