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Scinder les banques, une politique responsable

posté le 19/12/13 par Guillaume Dubost Mots-clés  action  économie 

Comme il s’y était engagé, le gouvernement belge prépare la réforme bancaire. Mais entre le régulateur national et les différents membres de la coalition gouvernementale, des désaccords persistent quant à sa nature exacte.
C’est pour cela que nous avons jugé utile d’unir ici nos voix convergentes pour rappeler ce qui est pour nous la pièce maîtresse de la réforme : celle de scinder les grandes banques.

Pourquoi ? Revoyons brièvement le « film » de la crise. En 2008, les pertes d’AIG, à l’origine de la chute de Merrill Lynch et de Lehman Brothers (résultant chez nous dans la débâcle de Fortis et Dexia), nous ont rappelé brutalement qu’une finance mondialisée, dérégulée et fortement interconnectée peut envoyer nos sociétés durablement au fond.

Depuis lors, le constat a été unanime : les banques, aveuglées par leur cupidité, ont systématiquement œuvré pour la dérégulation totale du système, les régulateurs ont regardé ailleurs et les politiques ont failli à leur mandat, celui de garantir que la finance serve l’intérêt général et l’avenir de nos sociétés.

Sur le plan éthique, les banques n’ont pas exprimé un grand désir à vouloir changer de cap. Normal, puisque rien les y incite. Alors que certaines banques ont manipulé les taux directeurs des marchés (Libor, etc.) en leur faveur ; qu’elles ont blanchi des milliards de dollars d’argent sale en provenance d’activités illégales, qu’elles ont spéculé contre l’intérêt de leurs propres clients, qu’elles ont consciemment piégé des collectivités territoriales avec des emprunts « toxiques », qu’elles ont développé une industrie de la fraude fiscale : aucun banquier de haut niveau ne s’est retrouvé derrière les barreaux. Alors que les Etats continuent à renflouer des cadavres bancaires, ces derniers continuent à honorer grassement ceux qui les ont coulés ! D’autres présentent « des excuses » et paient des amendes record pour marchander l’abandon des poursuites criminelles à leur égard. De banques too big to fail (trop grosses pour pouvoir être liquidées), elles sont devenues too big to jail (trop grosses pour aller en prison) !

Ainsi, nous sommes passés d’un problème économique et financier à un problème politique, celui de l’impunité.

La solution Glass-Steagall

L’heure est donc aux politiques de reprendre la main. La démarche du président américain Franklin Roosevelt doit nous inspirer. C’est lui, après qu’une orgie spéculative avait provoqué le krach de 1929 et ruiné la confiance des déposants dans les banques, qui avait su assainir la situation : avec la Banking Reform Act de 1933, l’Etat fédéral américain se portait garant des dépôts des citoyens. Seulement, pour pouvoir bénéficier de cette garantie, les banques devaient s’abstenir de toute prise de risque excessif.

Alors qu’au début du siècle, une banque comme JP Morgan s’était imposé comme banque centrale d’office, Roosevelt brisa leur pouvoir en imposant avec le Glass-Steagall Act une séparation stricte entre d’un coté des banques « à papa », collectant des dépôts et offrant du crédit aux ménages et aux entreprises à faible taux, et d’autre part des banques d’affaires qui lorsqu’elles prennent des risques inconsidérés doivent pouvoir en assumer les conséquences, y compris l’extinction. Cette réforme bancaire fut exemplaire et inspira le reste du monde. Chez nous, comme le souhaitait le roi Albert Ier, et contre l’avis de la Société générale, des ordonnances royales dans ce sens furent introduites dès 1934.

Certes, entre 1933 et 1999, date officielle de l’abrogation du Glass-Steagall Act, le monde a connu bien des crises. Seulement, elles étaient gérables et ne mettaient pas en péril l’ensemble de l’économie mondiale. En scindant les banques, leur taille restait raisonnable. Inversement, depuis l’abrogation de cette loi, l’hypertrophie des banques fait craindre le pire et plusieurs banquiers de premier plan, y compris ceux qui ont fait abroger la loi, estiment que ce fut l’erreur de leur vie.

La spéculation, que les banques ont tant de mal à identifier, continue à grandir. Le trading à haute fréquence, qui n’existait quasiment pas en 2007, représente aujourd’hui la moitié des transactions de marché ! Un montant faramineux qui expose potentiellement le marché à un risque systémique. Aux Etats-Unis, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, vient de sonner le tocsin : veut-on tirer les leçons de la crise ? Visiblement non, dit-elle, car les quatre plus grandes banques américaines sont 30% plus grandes qu’en 2008 et rien que cinq banques américaines possèdent la moitié de la totalité des actifs bancaires du pays ! L’argent bon marché qu’on imprime à tout va et qu’on leur fournit ne va pas à l’économie réelle mais alimente une fois de plus une bulle spéculative qui peut tout emporter. En France, rien que le bilan de BNP Paribas, une banque désormais en charge d’une part importante des dépôts belges, dépasse le PIB français.

Pour en finir avec ce conflit d’intérêt permanent que représente le modèle des banques « universelles », Mme Warren au Sénat et d’autres au Congrès, viennent d’introduire une proposition de loi pour un « Glass-Steagall du 21e siècle » dont la presse a fait si peu d’écho.

En Belgique, être courageux signifie faire ce même choix. Chez nous, encore plus qu’ailleurs, après les affaires Fortis et Dexia, n’est-il pas urgent de dissiper la méfiance profonde du citoyen belge envers nos banques ? Pour cela, nous avons intérêt à disposer d’un système bancaire viable et assaini. Scinder les banques en deux, qu’en déplaise les banquiers, est donc la seule politique responsable. La faible taille de notre pays peut nous permettre d’être plus exemplaire que nos grands voisins.

Signataires :

Bruno TOBBACK, député fédéral, président Sp.a
Karin TEMMERMAN, députée fédérale, présidente du groupe Sp.a à la Chambre
Dirk VAN DER MAELEN, député fédéral Sp.a
Meyrem ALMACI, députée fédérale, présidente du groupe Groen à la Chambre.
Karel VEREYCKEN, fondateur Agora Erasmus


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