Des vigiles au Barlok

Il est des humiliations auxquelles je me suis habitué, que je tolère sous peine de devenir fou. J’ouvre mon sac quand on me le demande à l’entrée d’un bâtiment (même si j’essaie de râler un peu ou de questionner la personne sur ce qu’elle me fait subir), je valide ma carte Mobib pour éviter les amendes, je n’insulte pas chaque flic que je croise dans la rue… Ça me chipote, mais je ferme les yeux pour me protéger.

Je ferme les yeux et j’essaie de fréquenter des endroits sympas gérés et habités par des personnes qui questionnent les rapports de pouvoir, qui tentent au sein de ce monde pourri de vivre et de se relationner un peu différemment. Le Barlok faisait partie de ces endroits. Bon, j’y avais déjà été témoin de comportements un peu douteux : des personnes qui te regardent mal quand tu donnes peu de thunes au prix libre ou qui te mettent la pression pour que tu donnes plus, des personnes qui ne peuvent entrer parce que tous les bracelets (Sympa, le concept du bracelet, non ? Mon tonton juge, ça lui plait, en tout cas.) sont écoulés, ou parce qu’il y a « trop de gens ».

Mais ce que j’ai vu samedi dernier allait vraiment loin. Les uniformes en moins, j’ai eu affaire à des vigiles. J’arrive à 3h30 du matin et je tombe sur une vingtaine ou une trentaine de personnes bloquées devant l’entrée. Je me renseigne et on me dit qu’on ne peut pas entrer parce qu’il y a trop de gens. J’insiste, je taquine, je m’énerve, rien à faire. Si t’es à l’extérieur, si t’es un consommateur, si t’es du mauvais côté de la grille, tu fermes ta gueule. Tu ne questionnes pas l’affirmation selon laquelle le lieu est full, même si à vue de nez ça a pas l’air de se bousculer. Après cette petite engueulade, des personnes sortent du lieu, puis d’autres, puis d’autres encore. Mais on ne peut toujours pas entrer et toute discussion reste impossible. Faut que ça soit bien clair dans la tête de tous les petits bourges qui attendent qu’on les autorise à entrer en faisant le beau : les chefs, on sait qui c’est, ils sont à l’intérieur, c’est eux qui gèrent le checkpoint. Des personnes continuent à sortir, je m’énerve à nouveau et je reçois cette réplique splendide de la part d’un des flics alternos : « là, je venais pour dire que c’était bon, qu’on n’avait qu’à ouvrir les grilles, mais vu comment tu parles ça me donne vraiment pas envie de le faire ! ». Ah. OK. Bon. Au moins lui il assume (un peu plus que les autres) son statut de vigile, il déclare ouvertement que c’est lui le chef, que c’est lui qui aura le dernier mot, qu’il agira comme il veut selon son humeur du moment et qu’il assume tout à fait le rapport de pouvoir dont il profite. C’est gai, hein, d’avoir du pouvoir ? On se sent important, hein, quand on gère la porte ? On peut pavaner, nourrir son ego fragile, se vider des frustrations de la journée en humiliant d’autres êtres humains (c’est marrant, une des petites bourges qui attendait devant l’entrée ne voyait pas du tout ce qu’il y a d’humiliant à attendre devant une grille en devant être patient, gentil et effacé pour gagner sa chance d’être accepté.e).

Bon, voila pour l’anecdote. J’aurais pu faire plus court et factuel, mais je me suis quand même fait plaisir un tout petit peu. Et je ne vais pas partir dans mille leçons et recommandations, je ne vais pas conseiller le Barlok sur comment ne pas être/devenir (ou sur comment arrêter d’être ?) un club comme un autre. J’ai simplement envie de poser quelques questions aux personnes qui gèrent le lieu.

C’est pas censé être un lieu un peu libertaire le Barlok ? Vous, les personnes qui se sentent/revendiquent libertaires au sein du groupe qui gère le lieu, ça ne vous choque pas, les attitudes que j’ai mentionnées ? Est-ce qu’il est vraiment nécessaire de réguler la quantité de personnes présentes ? Est-ce que ça ne se ferait pas tout seul ? Si une décision parait désuète ou inadaptée dans une situation, est-ce qu’il faut la maintenir pour autant ? Est-il tolérable qu’une personne accepte ou refuse des entrées selon son bon vouloir ? Qu’elle insiste pour qu’une personne crache plus d’argent ? Si ce n’est pas acceptable, comment éviter ça ? Les personnes qui viennent à une soirée sont-elles de simples consommateur/ices, qui devraient payer et fermer leur gueule dans ce lieu qu’iels ne pourront s’approprier jamais et en aucune manière ? Je vous laisse voir.

Pour les vigiles en herbe, sachez que Bruxelles Formation organise des formations en gardiennage qui, en seulement deux mois, vous permettront d’exercer légalement cette profession en plein essor. Une fois le Barlok rasé, un besoin de vigiles se fera sans doute sentir pour garder les chantiers et puis pour sécuriser les bâtiments flambant neufs du Bruxelles de demain !


publié le 27 juin 2018