★ Analyse anarchiste-communiste sur la question religieuse.
Quelle est le fondement de notre critique de la religion ?
A cet instant, deux attitudes sont possibles :
Critique des usages politiques de la religion
Majorité et minorités religieuses.
Minorité religieuses, minorité nationales
D’abord parce qu’une majorité des exploité-e-s affirme un sentiment religieux, qu’il s’agisse de l’adhésion à telle ou telle religion instituée (ou l’un de ses courants), ou la conviction qu’il existe un force extérieure à la matière, une transcendance qui, selon les cas, est présentée comme créatrice (du monde, des évènements historiques, des comportements humains, des phénomènes naturels....), comme normative (source de norme de comportement, d’une conception morale fondée sur "le bien" et "le mal" ou le "licite" et "l’illicite), comme supérieure...
Quelle est le fondement de notre critique de la religion ?
Quelle conception du monde ?
Toutes les religions ont en commun l’idée que ce ne sont pas les être humains, qui individuellement ou collectivement, doivent déterminer leurs comportements, les valeurs éthiques (ce que l’on considère comme juste, injuste, acceptable, inacceptable, souhaitable ou au contraire non souhaitable), la manière d’organiser la vie en société, mais une (ou des) entités extérieures aux individus et aux être humains, "transcendantes", qui définirait des normes de comportement, une conception du "bien" et du mal, de ce qu’il faut ou ne faut pas faire.
Dans le cas des religion déistes, il s’agit d’un ou plusieurs dieux, et de leur "parole révélée". Dans le cas de la religion "scientiste" il s’agit de la science vu non pas comme un méthode critique de connaissance, mais comme une autorité idéale. Dans le cas des religions "naturalistes" ou animiste, il s’agit de la nature, ou d’esprits, etc...
Cet aspect de l’idéologie religieuse (comme système d’idée), a pour conséquence de protéger de la critique des normes sociales, des comportements, des organisations sociales, dès lors qu’ils sont présentés comme l’expression de la transcendance (volonté divine, inéluctabilité scientifique, fatalité de la nature). La conséquence en est que l’idéologie religieuse est un outil de pouvoir particulièrement efficace, puisqu’elle fait échapper-lorsqu’elle est utilisée par les dominants- les rapports sociaux, les normes, la hiérarchie, la domination, à la critique rationnelle, à la possibilité de remise en cause.
Il est évident que toutes les religions ont du composer au cours de l’histoire avec la démarche rationnelle, celle qui consiste pour les individus à exercer leur propre réflexion critique et le "doute méthodique" pour forger leur points de vue, ainsi qu’à énoncer des affirmations de telle manière qu’on puisse autant prouver qu’elles sont vraies que démontrer qu’elles sont fausses, ce qui n’est pas le cas de la pensée religieuse qui est "infalsifiable" [1]. C’est ce qui explique que chez l’immense majorité des croyants coexistent dans les représentations religieuses un noyau rationnel et un noyau irrationnel. C’est ce qui explique, avec les contradictions du réel, qu’aucune religion (comme fait social et historique) n’a échappé à la discussion rationnelle, liée aux divergences d’interprétations de la norme religieuse, de conception de la nature et de la forme de la transcendance, opposant exégèse, courants religieux, interprétations littérales et symboliques du discours et des textes religieuses.
Aucune "religion", qu’il s’agisse des religions monothéistes ou polythéistes, des religions naturalistes ou scientistes, n’échappe au développement de courants religieux, qui représentent l’expression historique, dans le domaine religieux, du conflit entre la rationalité humaine et l’irrationalité qui représente le cœur de l’idéologie religieuse.
Des controverses théologiques au débat philosophico-religieux, de l’Itjihad à la Kabbale, aucune religion n’échappe totalement à l’approche rationnelle et à la pensée critique individuelle, qui s’exprime soit sous la forme du doute, soit sous celle de la contestation de telle ou telle interprétation du dogme, en fonction des enjeux qui s’expriment dans la société (conflits d’intérêts, rapports de domination...).
Mais ces éléments rationnels présents dans les religions (comme production de l’histoire humaine) n’en sont pas l’expression spécifique, mais la résistance du monde social, matériel et concret, des êtres humains de chair et de sang, à un système d’idée dont le noyau repose sur la renonciation à user -l’abdication- (au moins sur une partie du réel) de la pensée individuelle critique. Bien évidemment, cette partie du réel, sur lequel l’idéologie religieuse impose à l’esprit humain de renoncer à réfléchir et interpréter (qu’il s’agisse de l’origine du monde, du sens de la vie, etc...) peut être très restreint chez un individu croyant lorsque la pensée rationnelle a poussé la pensée religieuse dans ses retranchements. Mais ce "noyau" qui échappe à toute possibilité critique, est un socle sur lequel les pouvoirs politiques, religieux, les dominant-e-s, peuvent s’appuyer pour conforter, justifier ou instituer des rapports de domination.
On rétorquera que les rapports de dominations peuvent exister, sous des formes brutales, dans des sociétés ou la rationalité a pris une place importante, ou peuvent être incarnés, mis en œuvre sous forme d’un discours rationnel et laïque, par des individus qui eux/elles mêmes se définissent comme rationnels et laïques.
C’est une évidence. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit ici en général de discours qui n’ont de rationnels que l’apparence, et non le contenu, car la pensée religieuse ne se résume pas aux religions instituées. Le discours scientiste applique les catégories religieuses à la science, en les "laïcisant". L’idéologie étatiste est elle même "la religion des temps modernes" comme l’a montré Rudolph Rocker dans son ouvrage "nationalisme et culture". La "laïcité" de certains pseudo-laïques n’a plus rien à voir avec la rationalité critique, mais tout avec le dogmatisme qui peut nourrir parfois, ou justifier des rapports de domination bien concret, sur les individus appartenant à des minorités religieuses.
Camillo Berneri, parmi d’autres, dans son texte "le prolétariat ne se nourrit pas de curés" avait il y a déjà presque cent ans souligné les dangers d’un tel dogmatisme qui, se présentant comme une critique anti-religieuse, en reprend les méthodes et le contenu, et par la même non seulement manque sa cible mais fournit des armes aux réactionnaires religieux.
Lorsque nous formulons une critique de la domination et de la hiérarchie entre êtres humains, nous rencontrons inévitablement à un moment donné l’utilisation de l’argument religieux pour justifier le rapport de domination en question : "ordre divin", "ordre naturel" ou "loi de la science" sont mobilisés pour défendre l’ordre existant.
A cet instant, deux attitudes sont possibles :
Le problème se posera alors, entre deux discours religieux concurrents, de celui qui est en mesure de s’imposer par la force, et non par la conviction.
Une telle approche permet non seulement de s’attaquer aux justifications idéologiques de la domination et de l’oppression, mais aussi d’en identifier les émetteurs (pouvoirs religieux de différentes natures : clergé, idéologues religieux réactionnaires, appareils idéologiques dominants...).
Critique des usages politiques de la religion
La religion comme idéologie est un outil de pouvoir, puisqu’il ne s’agit pas d’un système de croyance personnelles, construites individuellement, mais d’un ensemble d’idées qui font système, et qui sont "performatives", c’est à dire qu’elles agissent sur le réel, en créant des normes morales, et donc des normes de comportement, de fonctionnement et d’organisation sociales.
Tous les discours religieux (scientistes, théistes, naturalistes...) ont ceci de commun qu’ils permettent aux personnes qui les énoncent d’exercer un pouvoir d’influence, tout en en masquant le ou les bénéficiaires : on peut ainsi faire agir "au nom de dieu", "au nom de la nature" ou "au nom de la science" des individus ou des groupes d’individus qui sans cette médiation refuseraient d’agir, puisqu’ils identifieraient les mobiles et bénéficiaires de l’action. Les personnes agissant sous l’influence d’une telle idéologie ou d’un tel système de norme, n’agiraient pas nécessairement de la sorte (d’une manière parfois contraire à leurs intérêts) si ils avaient conscience que l’injonction bénéficie à des êtres humains biens concrets, sous prétexte d’"accomplir la volonté de dieu", "d’obéir aux lois de la science ou de la nature".
Le clergé comme institution hiérarchisée, dans les religions structurées sur une base cléricale, est aisément identifiable comme l’un des bénéficiaires politiques de ce discours idéologique : que ce soit lorsqu’il exerce de manière directe le pouvoir, comme dans les théocraties (Vatican, Iran aujourd’hui...), ou lorsqu’il justifie une structure de domination à laquelle il est lié, quelle soit étatique ou féodale...
Mais le rôle de la religion comme outil de pouvoir n’apparait pas uniquement dans un cadre ou celle-ci est structurée de manière cléricale. Le discours religieux se prête à cette utilisation même si il n’est pas porté par le clergé, mais comme idéologie commune des croyants. Ce rôle que joue la religion comme outil de pouvoir apparait au cours de l’histoire, chaque fois que la hiérarchie sociale, de quelque nature que ce soit, est justifiée par un discours religieux, comme étant l’expression d’une volonté divine, naturelle ou d’une loi scientifique. Que ce discours religieux soit tenu par une autorité religieuse instituée, ou une autorité religieuse informelle, il reste l’un des noyaux, l’une des fondations idéologiques sur lesquelles s’appuie la domination.
Il est indispensable d’identifier la dimension politique du discours religieux, pour briser les constructions idéologiques que dressent les dominants pour maintenir les rapports de dominations et d’oppression. La critique rationaliste accroît ainsi pour les individus en lutte la capacité à dissiper les écrans de fumée qui entretiennent ou soutiennent l’oppression.
Majorité et minorités religieuses.
Dans tous les pays, existent des majorités ou des minorités religieuses. Les personnes appartenant aux minorités religieuses sont très souvent victimes de persécutions, d’oppression, liées à ce fait. La liberté de conscience que nous défendons, ainsi que le refus de l’oppression, implique que nous nous opposions à ces persécutions ou aux rapports de dominations en question que subissent les individus appartenant aux minorités religieuses. Cela ne signifie pas pour autant qu’il nous appartient de défendre les convictions religieuses de ces individus, ou que celles-ci doivent échapper à notre critique lorsqu’elles sont mobilisées, à leur tour, pour justifier des situations d’oppression ou des rapports de domination. Nous ne parlons ainsi pas de "religions opprimés", comme le font les idéologues religieux des minorités religieuses en question, mais bien de l’oppression des personnes appartenant à des minorités religieuses. Ce sont des personnes qui sont opprimées, et non une idéologie.
Il est cependant indispensable de combattre les instrumentalisations qui peuvent être faites, par l’idéologie religieuse dominante, des critiques ciblées de telle ou telle minorité religieuses. Notre critique du discours religieux ne vise pas une religion plutôt qu’une autre, mais ce qui dans le discours religieux est utilisé pour justifier des rapports de domination. C’est cette approche généraliste qui nous distingue des critiques opportunistes de telle ou telle religion, qui peuvent masquer la défense voilée de la religion dominante, ou un discours raciste lorsque ces critiques sont couplées avec une racialisation des personnes appartenant -ou assignées malgré elles- aux minorités religieuses, comme par exemple dans le cas de l’antisémitisme et de l’islamophobie.
Nous combattons l’idéologie religieuse parce qu’elle prétend déterminer ou justifier les comportements, les normes sociales, l’organisation sociale dominante et soutient ou contribue de ce fait, à la domination et l’oppression des individus qui sont directement victimes de ces normes imposées (les femmes, les gay, les lesbiennes, les bi et les trans...), ou de l’organisation sociale ainsi justifiée (les classes exploité-e-s et l’ensemble des opprimé-e-s précédemment cité-e-s).
Mais ce combat ne saurait se fourvoyer dans des instrumentalisations religieuses ou racistes.
A ce titre, il importe de combattre dans chaque pays les amalgames essentialistes qui nient les contradictions idéologiques qui traversent les religions minoritaires, ainsi que les visions fantasmées de telle ou telle religion, basées sur l’ignorance, parce qu’elles fournissent les justifications intellectuelles d’une oppression réelle.
Notre critique globale de la religion n’empêche pas de distinguer les courants politiques qui s’en réclament, et de distinguer la gauche religieuse, de la droite et de l’extrême droite religieuse, sans renoncer à la critique spécifique du discours religieux, même "de gauche". Cette distinction est faites le plus souvent en Europe en ce qui concerne le christianisme, où les courants de gauche, voire d’extrême gauche, sont considérés distinctement des courants de droite (conservateurs religieux) ou d’extrême droite (intégristes chrétiens). Cela n’a jamais empêché la critique de la gauche chrétienne, et de ses contradictions et limites (et de son aspect oppressant dans le cas des rapports de genre) liées à son assise idéologique religieuse.
Par contre, dès lors qu’il s’agit des courants politico-religieux qui se réclament du judaïsme ou de l’islam, ce soucis de distinction cède le plus souvent la place, dans les pays occidentaux, à un discours fait d’amalgames, auxquels se mêlent un discours à l’arrière fond raciste. Les musulmans ou juifs (ou les individus athées de culture juive ou musulmanes, qui sont assignés par l’idéologie dominante à ces identités, fussent-ils ou elles anarchistes), y compris celles et ceux qui s’affirment progressistes, de gauche ou d’extrême gauche sont souvent d’emblée suspectés, les uns d’être "islamistes" (entendu ici comme équivalent à l’extrême droite religieuse), les autres d’être "sionistes" (entendu ici comme extrême droite religieuse, nationaliste et coloniale). Leurs prises de position contre des amalgames ou une vision fantasmée de la religion à laquelle on les assigne sont souvent d’emblée interprétées comme une défense de l’idéologie religieuse (ou nationale-religieuse) à laquelle on les assigne.
La grille d’analyse politique appliquée dans le cas de la religion dominante (distinguant extrême gauche religieuse, gauche religieuse, droite religieuse et extrême droite religieuse) cède la place à des généralisations, facilitées par l’ignorance largement partagée des contradictions politiques et courants idéologiques opposés qui partagent un même référent religieux (même si, dans le cas du sionisme, celui-ci n’est que le prétexte à un discours nationaliste -et non religieux- à dimension laïque).
Minorité religieuses, minorité nationales
Dans le cadre de la construction de l’idéologie de la "Nation", nous assistons depuis la fin du XIXème à une dynamique qui vise à transformer les minorités religieuses en minorités nationales, désignées comme "ennemis intérieurs", comme corps extérieures à la "communauté nationale" vivant sur le territoire, définie par des références (culturelles et théologiques) à une religion majoritaire. Ainsi les personnes issues de minorités religieuses, mêmes si elles se convertissent à la religion dominantes ou deviennent athées, restent considérés comme extérieures à la communauté nationale par l’idéologie dominante, cette même communauté nationale étant définie par référence à la religion majoritaire. Ce phénomène est à l’origine de l’antisémitisme moderne, et se retrouve dans les formes actuelles d’islamophobie qui visent des personnes assignées à l’identité musulmane du fait d’amalgames racistes (alors mêmes qu’elles sont athées, ou partagent d’autres conviction religieuses). Ces minorités nationales (qui regroupent toutes les personnes définies comme extérieures à la communauté nationale du fait de leur assignation à une identité religieuse considérée par le discours nationaliste comme "extérieures à la nation") sont ainsi formées à partir d’une convergence de fait entre un discours nationaliste (y compris à masque laïque) et la religion dominante comme idéologie, même si celle-ci a pu être combattue par ailleurs par le premier.
On peut retrouver ce traitement des minorités religieuses considérées comme exogènes (ou le relais d’intérêts "extérieurs" au corps national) dans l’ensemble des États où elles existent : musulmans français considérés comme "agents de l’islamisme international"(sic), chrétiens d’Irak ou d’Égypte considérés comme "agents de l’impérialisme américain", juifs du Maghreb ou du Mashreq considérés comme "agents sionistes".
Dans tous les cas, ces amalgames concourent à l’oppression des personnes ainsi assignées à une identité religieuse, et par exclusion, à une identité nationale (ou exclu, dans tous les cas, de l’appartenance à la "communauté nationale" du pays dans lequelle elles vivent par le discours nationaliste.
Lorsque des militant-e-s athées, issu-e-s de ces minorités religieuse (ou minorités nationales) soulèvent le caractère simplificateur, contre-productif et potentiellement réactionnaire de ces amalgames (car ils rejoignent les amalgames faits par les nationalistes racialistes comme par l’extrême droite politico-religieuse chrétienne, juive ou musulmane qui présentent ses expressions comme étant la "vraie" manifestation de la religion, ou comme étant les vrais défenseurs des intérêts de la minorité nationale ou religieuse), celles et ceux-ci sont souvent confronté à un tel régime de suspicion. Pourtant, la critique de l’idéologie religieuse, d’un point de vue révolutionnaire, ne saurait se mêler à la critique opportuniste des religions minoritaires par les courants religieux dominants ou comme support d’un discours raciste remaquillé.
Car si, d’un point de vue anarchiste-communiste, nous nous opposons en bloc à l’idéologie religieuse, comme support de l’oppression, et des systèmes d’exploitation, nous ne pouvons laisser prise dans notre discours comme dans notre pratique à la critique opportuniste des religions qui justifie l’oppression des personnes assignées aux minorités nationale ou religieuse.
C’est à cette condition que nous construirons l’union des exploité-e-s face aux exploiteurs, et que nous combattrons efficacement l’idéologie religieuse et son utilisation par les dominant-e-s.
Dans le cas contraire, nous ferions le jeu de l’oppression nationaliste et religieuse dominante, des courants religieux les plus réactionnaires au sein des minorités religieuses, et des courants nationalistes au sein des minorités nationales.
[1] Voir les travaux de Popper. Toute "croyance" religieuse (qu’elle soit théiste, scientiste, naturaliste, idéaliste) repose sur des affirmations formulées de telle manière qu’elle ne puissent jamais être invalidées par l’expérience. A l’inverse, une affirmation rationnelle et scientifique porte en elle même les possibilité de sa négation, de son invalidation par l’expérience ou le raisonnement logique.
[2] Dans le cas de l’extrême droite ou de la droite religieuse musulmane, c’est la notion de Oumma qui se substitue à l’idée de nation, comme mythe mobilisateur. Les courants panarabes, quant à eux, sont partagés quant à la référence à l’islam comme religion nationale de la "nation arabe".