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À mes ami.e.s qui défendent encore la "démocratie", l’état de droit, l’état providence...

posté le 07/10/15 par Cnl Mots-clés  répression / contrôle social  réflexion / analyse 

À mes ami.e.s qui défendent encore la "démocratie", l’état de droit, l’état providence...

Il est assez drôle que ce soit "antidémocrate" (moi) qui, à l’heure où je commence à écrire cette bafouille, remarque le peu d’intérêt de l’annonce de la fin du jury populaire alors que cette annonce est une des pires formes de délitement d’un des fondements de ce qu’on a appelé "l’état de droit". Je tiens directement à signaler que, ni en théorie ni en pratique, un tel état n’a existé ou aurait pu exister, mais j’y reviendrai.

Aujourd’hui, la presse nous apprend que le gouvernement belge d’extrême droite Michel-De Wever, par le ministère tenu par Koen Geens (CD&V), souhaite abolir le jury populaire et donc, de fait, les assises au prétexte habituel de réaliser des économies. Loin de moi de vouloir défendre l’institution juridique, il n’en reste pas moins que la portée politique d’une telle décision à venir est lourde de sens.

Comme nous le savons tou.te.s, il existe certaines bases théoriques au système représentatif libéral - ou "démocratie" (je leur laisse ce mot tellement galvaudé sans regret) - comme la séparation des pouvoirs, l’autonomie de ces pouvoirs, la représentation, etc. Le jury populaire en fait partie puisqu’il était une des seules présences de participation directe de la population au sein de l’institution judiciaire - institution on ne peut plus partisane et opaque pour bien des personnes. Si celui-ci a souvent été présenté comme un "devoir civique", le jury populaire était surtout un des rares espaces où ni la technicité politique (dans ce cas-ci le juge) ni l’intérêt étatique n’avait prise - du moins en principe -.
Il ne s’agit pas pour autant de défendre le jury populaire [1] mais bien de montrer qu’à nouveau certaines bases théoriques des structures dites démocratiques disparaissent alors qu’elles étaient sensées servir de garde fou - et Seigneur Dieu des Athées, il y a beaucoup de folie au sein de l’étatisme et du capitalisme-.

Sur l’état de droit :

Cette notion est issue d’une doctrine empruntée à la jurisprudence allemande, elle désigne un système institutionnel dans lequelle la puissance publique doit respecter le droit (avec quelques principes théoriques comme la hiérarchie des normes, l’égalité devant le droit et l’indépendance de la justice.)

Un pouvoir ne se base jamais sur le droit, il se base sur la coercition. Parler d’état de droit est un enfumage théorique autant que pratique. Il fait effet d’un mythe unificateur qui porte, du moins théoriquement, un ensemble de valeurs morales pour le différencier d’autres systèmes. Il ne fonctionne précisément qu’en tant qu’il est un discours de différenciation et de hiérarchisation "identitaire" par rapport à d’autres régimes (surtout à l’heure actuelle où les propagandes impérialistes s’affrontent). Qui ne se revendique pas de l’état de droit ? Qui ne dit pas qu’il faudrait défendre l’état de droit ?

Pourtant nous vivons tou.te.s, malgré les législations dites d’exception (qui tiennent plus de la règle que de l’exception dans les faits), des rapports différenciés sur le plan du droit. Pour citer une phrase connue d’Orwell "Certains sont plus égaux que d’autres". Quelques exemples : comment peut-on imaginer l’égalité devant la loi lorsque tout une rue est bloquée pour Mme Emine Erdogan pour qu’elle puisse faire ses courses ? [2] Ou lorsqu’on propose des amnisties fiscales (avec des législations et des cours spécialisées) pour des vols que font les plus riches (spéculation, évasion fiscale,...) Ou quand des personnalités politiques, de part leur statut économique et social, sont intouchables - légalement ou "statutairement" - même pour des faits graves (Sarkozy, Berlusconi, etc.) alors qu’une personne fouillant une poubelle pour manger se trouvera devant une cours correctionnelle ? [3] Ou encore lorsqu’un ressortissant belgo-marocain ne bénéficie d’aucune aide de la part de l’état belge malgré qu’il soit torturé, emprisonné, alors qu’il est en droit de recevoir aide et assistance ? [4]
Le non respect du droit par l’état est chaque jour flagrant, mais également le non respect des fondamentaux sur lesquels il est censé se baser. On peut encore citer quelques exemples, l’ensemble des législations sécuritaires en termes d’intrusion dans la vie privée (en dehors de tout processus de filtre, et même bien souvent l’autorisation du juge) [5], le sabotage par la DGSE (Sécurité nationale française) du "Rainbow warrior" entrainant la mort - une de plus - d’un activiste. [6] Les exemples sont légions que ce soit dans l’extraordinaire (style Tarnac, [7]) ou quotidien (délits financiers et d’initiés, absence de permis [8] , ou engagement de sans-papiers - dans des conditions indécentes - [9] , pour des constructions publiques etc.)
La hiérarchie des normes n’est, elle non plus, pas respectée que ce soit dans le cas des prisons [10] , dans les centres fermés [11] , ou bien encore dans le cas des sanctions administratives communales (SAC) qui entraînent des législations différenciées, particulières, non contestables dans les faits et totalement arbitraires. [12]
Quand à l’indépendance de la Justice, même si l’affaire a fini par faire démissionner le gouvernement Leterme, le "fortisgate" a bien montré les nombreuses collusions entre le pouvoir politique, financier et juridique. Comment pourrait-il en être autrement ? Ce sont des gens issus des mêmes cénacles, de la même classe qui se retrouvent dans des cercles de pouvoir concomitants. Il n’est pas étonnant, par exemple, que la sœur de Didier Reynders soit procureur du roi. L’ouvrage du couple Charlot-Pinçons, "La violence des riches", est très éclairant sur les pratiques de préservation et d’extension du pouvoir des classes dominantes. Un passage : "La classe dominante est mobilisée sur tous les fronts. Il n’y a pas de petits combats : la vigilance concerne les affaires, la conservation du patrimoine mais aussi les fréquentations des enfants, leurs études et leur éducation, les relations sociales et, bien entendu, l’optimisation fiscale qui peut encore prendre des formes très scabreuses. Cet affairement constant révèle en en eux la conscience des puissants que leurs pouvoirs et leurs richesses sont dus à un arbitraire social qu’in est vital de dissimuler. Leurs privilèges sont des privilèges, ils le savent très bien. Ils n’ignorent pas être minoritaires, ce qui est consubstantiel à leur statut d’élites."

Le constat est sans appel et nous le savions dans la pratique puisque nous vivons sensiblement ces rapports différenciés de pouvoir, dans les législations et applications, selon la situation, le statut, la classe sociale et les catégories sociétales. Loin de moi donc, je me répète, de vouloir défendre l’état de droit puisque je combats à la fois la loi et l’état au profit de la liberté et de l’autonomie (que je développerai dans la suite de cette bafouille une autre fois). Mais récemment j’ai eu une conversation avec un ami qui m’est cher et, étant victime d’un non respect de ses "droits", qui me parla de la nécessité de rendre visible ces enfumages théoriques pour rendre l’illégitimité de l’état de plus en plus visible. Bien que mon approche politique ne soit pas celle-là, l’annonce de la fin du jury populaire et le discours de mon ami m’ont amené à écrire cette bafouille qui se veut être une déconstruction des mythes fondateurs sur lesquels l’état garde de sa pérennité, de son pouvoir symbolique. Beaucoup de mes ami.e.s de "gauche" s’enferment dans le canevas mystique de l’état. Il convient de se demander pourquoi ! Ceci est la première démarche que j’écris afin de le briser. Cette première partie s’adresse à elleux, d’autres suivront.

NB : certains mots mis entre guillemets le sont tout simplement parce qu’ils permettent une compréhension plus facile sans pour autant, personnellement, leur donner une quelconque valeur de pertinence.


Notes

[1bien que certaines actions de désobéissance civile, comme celle du Bomspotting à Kleine Broggel, cherchaient justement à ce que les militant.e.s se fassent arrêter pour aller en assise afin de dénoncer, dans ce cas-ci, la présence (illégale) d’armes nucléaires étrangère (américaine) sur le sol belge (mais du fait du caractère populaire des assises, les autorités n’ont jamais osé amener un.e militant.e devant une telle cours) -

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