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À propos de médecine patriarcale et de dépossession

posté le 08/12/17 Mots-clés  genre / sexualité 

À propos de médecine patriarcale et de dépossession

    • « Tout au long de mes rapports avec les gynécologues, je me suis laissée pénétrer et je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais eu à donner le signal moi­-même que c’était bon pour moi. […] Alors quand on affirme qu’en dépit de tout contexte, une femme doit avoir le droit de dire « non » même quand elle est nue, au lit avec un homme ou une femme… Ça me fait bien rigoler. Parce que chez bien des médecins ça ne se passe pas comme ça. À l’endroit même, dans le rapport précis où nous sommes censées prendre soin de nos corps et de notre sexualité. Bien sûr qu’on le sait quand on va chez le gynéco qu’on va se prendre un spéculum dans la chatte. Mais le consentement qui n’est jamais que l’autorisation ou l’accord donné à un acte, ne peut être tacite, par définition. Elle n’est déjà pas mirobolante cette liberté qui consiste à avoir encore le droit d’éventuellement donner son accord à une proposition. Alors si les médecins s’en passent comme d’une formalité de bas étage, il n’y a pas beaucoup de chemin à parcourir pour admettre comme un fait que dans notre monde, le consentement des femmes n’est effectivement qu’une formalité de bas étage . »

Si l’on ne naît pas femme… quels sont les rôles de la médecine dans la fabrique d’individu.es de genre féminin ?

2013 : je me coltine seule, depuis douze ans, la gestion, les angoisses et les « loupés » d’une sexualité majoritairement hétérosexuelle et à risque de grossesse [1] .

Ma situation n’a rien d’exceptionnel : dans cette société hétéro­sexiste, le poids de la (non) reproduction incombe de manière majoritaire et peu questionnée à ceux/celles qui risquent de tomber enceintes : principalement des femmes (mais pas seulement, puisque le fait d’être munies d’un appareil génital féminin ne signifie pas forcément « être une femme »). Parce que la sexualité met en jeu une multitude d’endroits intimes et que trouver une contraception adaptée à ses besoins n’est pas si facile ; parce que les gars prenant en charge ce qui les concerne sont extrêmement rares ; parce que le corps est capable de pirouettes incroyables pour « reproduire l’espèce » et pour tout un tas d’autres raisons encore (dont les religions, qui rajoutent des couches de tabou, d’interdits et de culpabilité), de nombreuses personnes tombent enceintes sans l’avoir voulu. [2]

Sous nos latitudes, gérer la contraception signifie presque systématiquement être catapultée dans la catégorie de « patient­es ». Cela n’a rien d’une partie de plaisir. La gynécologie se trouve au carrefour entre le pouvoir exercé par la médecine sur tout­-un­-chacun­e et le patriarcat qui considère les femmes comme d’éternelles mineures [3] . Elle repose sur l’acceptation d’une dépossession quasi complète : le savoir mis entre les mains de spécialistes, nous peinons à garder de la prise sur des décisions qui nous concernent en premier lieu. Il faudrait pas faire perdre de temps au docteur avec nos doutes ou nos peurs ! J’ai ainsi subi pendant presque dix ans les conséquences de moyens contraceptifs dont j’ignorais complètement le fonctionnement [4] . Je suis loin d’être la seule dans ce cas. Les millions de personnes qui utilisent la pilule sans savoir que celle­ci simule la grossesse avant de déclencher des règles artificielles ne sont pas moins malignes que les types avec qui elles couchent (et qui ne se sont jamais posé la question). Celles-­ci, distribuées à tour de bras (« pour la contraception », pour « réguler le fonctionnement hormonal », pour « diminuer les douleurs des règles » etc), chamboulent le cycle et diminuent souvent le désir sexuel des personnes qui l’utilisent… Tu parles d’une libération !

Une douzaine d’ années à réduire au strict nécessaire mes interactions avec les gynécos afin de limiter leur emprise sur mes ovaires. À batailler pour laisser le moins d’espace possible à leurs sales habitudes : culpabilisation, jugement, dépossession, brutalité et/ou mépris du consentement de cell­eux qui les consultent (qui « s’écoutent trop », sont douillet ­tes, pudiques etc). À envoyer paître leurs questions intrusives, souvent pétries de norme hétérosexuelle et monogame et repartir avec une grosse partie de mes incompréhensions. Certaines de ces crapules osent te mettre la pression pour que tu choisisses une contraception avant même de demander si tu cours le risque de tomber enceinte ou pas. Iels se gardent bien d’aborder la question quand leur interlocuteur­trice échappe à leurs schémas étriqués [5] ! S’iels ne sont pas capables d’imaginer que tout le monde ne partage pas une sexualité, et une sexualité hétérosexuelle, ça donne pas envie de leur expliquer que tu te poses des questions sur une éventuelle transition (prises d’hormones, opérations chirurgicales…), que tu vis plusieurs histoires amoureuses ou qu’il t’arrive de coucher avec des inconnu ­es (en étant payé­e, ou non…). Nous sommes nombreux-­ses à leur mentir abondamment.

À trente ans je décide de régler une fois pour toutes, et sans attendre une hypothétique ménopause, la question de ma fertilité. Les possibilités devant moi ne nécessitent pas toutes l’intervention des blouses blanches (la plus simple étant de ne plus partager de sexualité « fécondante »). Mon choix d’être stérile va au­-delà d’une « simple » question pratique. Je veux observer ce que cela bouleversera (ou non) dans mon rapport au genre, à mon corps, ma sexualité et à d’éventuel­les amant­es… Même sûre de cette décision, laisser des médecins me triturer l’intérieur n’est ni facile ni anodin. Mon manque d’autonomie vis­-à­-vis d’ell­-eux me coûte. Peur qu’ iels me bousillent ou qu’ iels refusent de m’opérer, ce qui aurait signifié faire la route avec une grosse dose de colère supplémentaire [6] . Ces peurs ne sortent pas de nulle part. La médecine qui encourage fortement (voire impose) la stérilisation à des individues considérées comme déviantes ou indésirables (personnes porteuses de handicap mental, psychiatrisé­es, trans, personnes « sans­-papiers » déjà mères de familles nombreuses, pauvres et/ou isolées) refuse la plupart du temps d’accéder aux demandes des personnes qui ont des profils « valorisés » (blanches, jeunes, cis [7] , « valides », sans enfants, considérées comme inséré­es ou insérables dans cette société puante). Son rôle d’outil servant les délires eugénistes de l’État est évident.

***

Je laisse flotter l’idée un moment avant de dénicher une maternité qui se vante d’être issue des luttes des années 70 (pour l’accès à l’avortement et à la contraception). Premier passage circonspect et long temps de discussion avec la secrétaire. Puis rencard avec le gynécologue qui m’explique la seule méthode pratiquée dans cette clinique : Essure (commercialisée par les laboratoire Bayer depuis 2003). Contrairement à la ligature des trompes, méthode plus ancienne qui nécessite une ou plusieurs incisions, se pratique sous anesthésie générale et est efficace immédiatement, Essure se pratique sans anesthésie. Il s’agit de faire entrer un implant très fin qui ressemble au petit ressort trouvable dans certains stylos bic et mesure six centimètres déplié­ dans chacune des trompes de Fallope (d’où le nom de « stérilisation tubaire »). La stérilisation est effective lorsque le corps a fini de construire une membrane autour de ces éléments étrangers, ce qui bouche les trompes de Fallope en trois ou quatre mois. Soulagée par le fait d’avoir trouvé un lieu (et l’absence de réflexions jugeantes de la part de mes interlocuteurs) je ne questionne pas le non­-choix de la méthode qui sera employée pour ma stérilisation, ni la méthode en elle-même. Ces derniers mois des témoignages qui inquiètent et font grosse colère se propagent sur le web, relayées par un certain nombre de journaux. En Europe et bien plus loin, des milliers de personnes se plaignent d’effets secondaires graves qu’elles attribuent à Essure. Il s’avère que les implants utilisés contiennent des métaux lourds (nickel, titane, chrome, fer, étain, argent, platine, iridium) connus de longue date pour être allergisants et des fibres de PET (polyéthylène téréphtalate) hautement cancérigènes et perturbatrices endocriniennes. Fidèle à son habitude, le corps médical a refusé des mois durant de faire le lien entre la présence de ces implants et les effets secondaires décrits : une fatigue extrême empêchant de réaliser les actes du quotidien, des douleurs musculaires et/ou articulaires, des troubles neurologiques, des douleurs abdominales, un syndrome prémenstruel douloureux, des maux de tête, des vertiges, des essoufflements, des troubles du rythme cardiaque… La parole des personnes concernées a été niée jusqu’à l’absurde.

Faute d’admettre qu’iels ne comprenaient pas les raisons de ces symptômes ou de reconnaître leur responsabilité certain­es médecins ont décrété que ces douleurs étaient d’ordre « psychologique ». Il y a quelques mois à peine un gynéco a affirmé à une copine qu’il n’y avait aucun problème avec Essure, que les effets secondaires étaient une invention des lobbies « pro-life ». Quel cynisme ! L’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a attendu que l’organisme chargé de renouveler le certificat CE (conforme aux normes européennes) décide d’une suspension temporaire de ce certificat début août 2017 pour suspendre la vente. La reconnaissance des risques, le retrait temporaire du marché (suivi par la décision de Bayer d’arrêter sa commercialisation dans tous les pays sauf les États-Unis mi­-septembre) sont dus à l’acharnement de milliers de personnes un peu partout. Ces charognes qui n’appliquent le « principe de précaution » que quand ça les arrange ont continué à implanter ces merdes jusqu’à la dernière minute [8] .

Et c’est loin d’être fini. La Science dont on nous rebat les oreilles en permanence, celle qui parvient à envoyer des sondes spatiales sur mars ou manipuler l’ADN dans tous les sens n’a pas prévu de protocole de retrait de ces foutus implants. Dans plusieurs cas leur extraction s’est accompagnée d’une ablation de tout l’appareil génital. Des dizaines de milliers d’individus se voient refuser l’opération sous prétexte qu’iels ne sont pas (encore ?) malades, et qu’iels ne le seront peut-­être pas.

Je crache sur la prétention qu’a la médecine de faire de chacune d’entre nous ses cobayes potentielles, autant que sur le statut de victime « offert » par la loi. Je suis furax contre la gynéco, sa prétention à gérer la population en asseyant son pouvoir sur le corps des femmes (et trans), se fout bien de leur faire bouffer de la merde et des conséquences que cela peut avoir sur leur santé.
Je rêve d’émeutes d’IMpatientes qui ruent dans les brancards pour détruire le piédestal sur lequel
trônent tous­-tes ces « spécialistes » : scientifiques et médecins.

Nous avons besoin de mots pour décrire et analyser la violence qui nous est faite et nous y attaquer : brisons les tabous et la honte qui entourent sexualités et avortement.

L’enjeu est de taille : reprendre de la maîtrise sur nos corps et partant de là, reprendre de la prise sur nos existences.

[1] Sur fond d’images et de représentations qui limitent le partage de sexualités à la pénétration vaginale et bien souvent au plaisir masculin (quand il ne s’agit pas de mises en scène de viols).
[2] En 2016 il y a eu 211 900 interruptions volontaires de grossesse en France. en quatre ans ça représente la population de Marseille.
[3] Les mots utilisés ne sont pas anodins. L’adjectif qui vient qualifier le rapport de domination que des
personnes subissent en tant que femmes (dépossession, tutelle, minimisation…) parle d’un autre rapport de domination : celui des adultes sur les enfants.
[4] L’injonction à choisir immédiatement un (nouveau) moyen de contraception illustre la culpabilisation
présente de manière insidieuse au moment de l’avortement. (« 0n t’avorte mais faudrait vraiment que tu sois la pire des irresponsables pour ne pas reprendre de suite une contraception »).
[5] J’imagine que les entretiens doivent être encore plus horribles en cas de MST
[6] À ce sujet c’est possible de lire le texte « Mauvaise blague » sur Infokiosque.net.
[7] Qui se reconnaît dans le genre qui lui a été attribué à la naissance.
[8] L’ANSM refuse actuellement de retirer le Lévothyrox (laboratoire Merck) du marché, alors que 14
patient­es sont décédé­es et que plus de 14 000 signalements d’effets secondaires ont été recensés…


QUELQUES PROPOSITIONS DE LECTURES / ÉMISSIONS RADIO …

Sur l’ ARTICULATION ENTRE MÉDECINE , CONSTRUCTION GENRÉE ET CONSENTEMENT, il y a plusieurs textes que l’on trouve intéressants… « Si l’on ne naît pas femme » trouvable sur le blog des épineuses : https://lesepineuses.noblogs.org/ . « Transistor : trans terriblement
féministes : des femmes et des hommes trans parlent de leurs rapports aux institutions » trouvable https://ttf.poivron.org/spip.php?article7. La brochure « S’armer jusqu’aux lèvres » trouvable sur Infokiosque.net [Brochures subversives à lire, imprimer, propager] tient d’avantage d’une trousse à outils pour arriver mieux armé­es lors des consultations gynécos.

C’est possible d’écouter l’émission radio « Stérilisation, contraception, procréation : sous haute
surveillance » trouvable sur le site www.radiorageuses.net (Nébuleuse d’émissions de
féministes, de gouines, de trans et de femmes - pas top sur tous les points de vue ) . Émission mise en ligne par deux collectifs :
des collectifs « on est pas des cadeaux » et « Lilith, Martine et les autres » .

Il y a aussi plusieurs textes qui causent de différentes formes de contraception masculine : la brochure « Rapports » et « Vasectomie, une contraception à visée définitive » qui sont trouvables sur le blog Remuer notre merde (bibliothèque hommes et patriarcat).


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