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Allianz, une histoire d’assurance qui fait führer

posté le 04/01/19 par Philippe Mots-clés  histoire / archive 

Le tourbillon de la seconde guerre mondiale a embarqué dans ses turpitudes et ses atrocités bien des entreprises, certaines contre leur gré, d’autres par lâcheté ou faiblesse. Mais il y a aussi celles qui ont plongé dans les affres du nazisme la tête la première, sans remord et en toute connaissance de cause Allianz fait partie de ces dernières, et l’actualité des pratiques de l’entreprise* fait tristement écho à ce passé.

Ce qui s’est passé il y a 70 ou 80 ans dans le passé d’une entreprise ne signifie pas toujours grand-chose par rapport à ses pratiques actuelles : nombre d’entreprises françaises actuellement florissantes voire certains fleurons nationaux ont un triste passé de collaboration avec l’Allemagne nazie. Les nationalisations d’après-guerre ont d’ailleurs eu valeur de sanction pour certaines d’entre elles.

Mais en Allemagne, pays rasé et sous tutelle des quatre vainqueurs, la priorité n’était pas en 1945 aux procès d’entreprises en tout genre, mais à la reconstruction et au redressement d’un pays en manque de tout, au sortir du désastre de la guerre. Certaines entreprises sont dès lors passées entre les gouttes. L’Allemagne, intraitable avec les caciques du régime nazi et certains second-couteaux a fait le choix de laisser filer une partie des coupables, au titre d’une cohésion nationale à ménager, sous peine de délitement. Les poursuites se sont tout de même prolongé au-delà des grands procès de la seconde guerre mondiale. Les plus menacés ont pris le chemin de l’exil, en Amérique du Sud entre autres, les anonymes et les entreprises indispensables au redressement du pays sont restés, certaines comptant bien prospérer sur les ruines pour retrouver leur lustre d’antan. C’est précisément ce qu’a fait le géant de l’assurance allemand Allianz.

Ironie de l’histoire, c’est précisément en voulant faire la lumière sur son passé que l’entreprise a fait sortir pas mal de cadavres du placard. En effet, à l’instar de plusieurs entreprises mises sur la sellette dans les décennies qui ont suivi la fin de la guerre, Allianz est accusée de collaboration active avec les Nazis. Derrière ces accusations se profilent l’idée des réparations et d’indemnisations des victimes par ceux qui ont profité du système. Désireuse de tourner la page une fois pour toutes sur cette période de son histoire, la société Allianz mandate l’historien Gerald D. Feldman pour enquêter sur ce passé que tout le monde voudrait enterrer. Bien mal lui en a pris : ce que révèle l’historien dans son ouvrage Allianz and the German Insurance Business 1933-1945 (**) va bien au-delà de ce à quoi le public s’attendait.

En effet, avant 1933, c’est via deux directeurs généraux que la société Allianz s’investit aux côtés du parti nazi avant même qu’il ne parvienne au pouvoir : « Deux des principales personnalités d’Allianz, Kurt Schmitt, son directeur général de 1921 à 1933, et Eduard Hilgard, l’un de ses directeurs les plus connus du public, entretenaient des contacts réguliers avec Göring entre 1930 et 1933, c’est-à-dire avant l’accession au pouvoir de Hitler », écrit ainsi Gerald D. Feldman. Kurt Schmitt ira jusqu’à accepter le poste de ministre de l’Économie du Reich entre 1933 et 1935. « Allianz profita effectivement du soutien que Schmitt apporta très tôt au régime, ainsi que des contacts qu’il entretint avec Göring et Hitler pour obtenir d’importants contrats d’assurance auprès des organisations nazies. Inévitablement, la collaboration et les affaires que l’entreprise fit avec les nazis influèrent aussi sur sa politique à l’égard de ses employés juifs et sur son consentement pour procéder à une « aryanisation », poursuit encore l’historien. Au-delà de ces seuls aspects, Allianz a concrètement participé à la politique de spoliation des biens juifs en refusant toute prise en charge avec la bénédiction du régime. Allianz a par ailleurs assuré nombre d’entreprises SS qui ont prospéré autour des camps de concentration. Des économies d’un côté et de substantiels profits de l’autre, certes nettement amoindris ensuite par le chaos et les destructions de 1945.

La société Allianz a-t-elle été victime d’un système qui ne laissait guère le choix ? L’historien Gerald D. Feldman balaie l’argument et conclut : « J’affirme et je continuerai à affirmer que le degré d’engagement aux côtés du régime fut, au moins dans une certaine mesure, une question de choix, et les choix faits par certains dirigeants d’Allianz furent des plus regrettables ». Compte tenu de ce passé qui ne passe pas, est-il bien judicieux de donner par exemple Allianz comme nom à des stades, à l’instar de la ville de Nice ou de Munich (respectivement Allianz Riviera et Allianz Arena). Pas sûr que tout le monde goûte l’hommage…

(*) www.bellaciao.org/fr/spip.php?article160660

(**) Gerald D. Feldman, Allianz and the German Insurance Business 1933-1945, Cambridge University Press, Cambridge, 2001 ; version en allemand : Die Allianz und die deutsche Versicherungswirtschaft 1933-1945, C. H. Beck, Munich, 2001.


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