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Amalgame médiatique entre révolutionnaires kurdes et un groupe terroriste islamiste comme Daesh

posté le 30/06/16 par Hacer Mots-clés  antimilitarisme  antifa 

Je vous écris pour vous faire parvenir un petit texte que je viens de rédiger.

    • Pour faire un bref résumé je l’ai écrit en réaction aux amalgames des journalistes français qui assimilent les mouvements kurdes à des terroristes, notamment cet article du Monde, pour ne pas le citer, intitulé « la double menace terroriste en Turquie« . Je précise que je ne suis pas kurde, ni turque mais franco-arabe, et que j’ai découvert la lutte du peuple kurde ces deux dernières années où j’ai vécu à Istanbul…

N’avoir honte de rien. De rien ! Après Libération qui exhibe les cadavres des victimes de l’attentat d’Istanbul comme on exhiberait n’importe quel bétail, voici Le Monde qui se lance dans les amalgames les plus bas en mettant sur le même plan Daesh et… les Kurdes, nommés sous l’expression volontairement floue de « la rébellion kurde ».
Ainsi donc le Monde, ce ô combien grand et objectif journal, tente de nous faire comprendre que, bah oui, Daesh qui tue des gens et les Kurdes qui tuent des gens c’est la même chose.

Sans évidemment attendre une revendication quelconque de l’attaque, un début d’enquête, un début d’explication. Le Monde se précipite sur l’occasion, alors que le sang des victimes est encore chaud et que la terre n’a probablement pas encore couvert leur visage, pour nous rappeler que, oui, la Turquie subit le terrorisme international, à l’instar de ses voisins, mais aussi le terrorisme intérieur des Kurdes.

Terrorisme vous dites ? De quel terrorisme parlons-nous ? De celui de Daesh ou de… celui de l’Etat turc ?

Faut-il rappeler aux « correspondants sur place » que la Turquie est à nouveau en guerre civile « ouverte » depuis que Erdogan a décidé de mettre fin au processus de paix et de littéralement envahir l’Est kurde par la terre et par l’air ? Que cette situation est la conséquence directe de la peur d’Erdogan de perdre le pouvoir depuis que le HDP -parti kurde, mais pas que, loin de là- apporta un vent de démocratie et d’espoir en accédant au parlement turc en juin 2015 ? Que « le terrorisme kurde » n’est que le résultat de plus de 100 ans de spoliation des terres, assimilation forcée, violences physiques et politiques à l’encontre du peuple kurde en Turquie ?

N’avoir honte de rien, c’est nous balancer ce genre d’article impunément sans jamais nous proposer d’analyses fiables sur la situation à l’Est de la Turquie, sans jamais nous parler du siège de Cizre, ville kurde asphyxiée et martyrisée par l’armée turque depuis près d’un an, sans jamais nous parler de la souffrance de l’autre, se contenter de le dépeindre comme un monstre sans visage, sans humanité.

C’est un classique des dominants que de refuser d’humaniser les dominés, les Kurdes le savent, les Palestiniens aussi. C’est un classique des dominants de se serrer les coudes, la France n’ayant rien à apprendre des Turcs en matière d’oppression de peuples indigènes. Le terrorisme est devenu le nouveau terme à la mode pour faire taire toutes les luttes même les plus légitimes, celui qui met tout le monde d’accord, qui ne permet aucune discussion.

Je me permets de le dire car j’ai failli faire les frais du soit-disant « terrorisme des Kurdes  ». J’étais à Kızılay, lors de l’attentat du 3 Mars 2016. Quand j’écris que j’étais à Kızılay, je veux bien dire que j’étais pile assise devant la station de métro à côté de laquelle la membre du TAK s’est faite exploser. J’ai bougé du dit lieu une minute avant que tout explose, mais j’étais encore assez près pour sentir le vent de la déflagration dans mon dos, pour sentir le tremblement de terre sous mes pieds, entendre les hurlements des premières victimes et sentir l’odeur du sang.

J’ai été dans un déni pendant près d’une semaine concernant les responsables de l’attentat. Je n’arrivais pas à accepter, alors même qu’il avait été revendiqué, que ce soit une partie du mouvement kurde qui soit responsable de ce qui constitue un des plus gros traumatismes de ma vie. Apprendre un peu plus tard que la première cible n’était pas la place Kızılay mais le siège du premier ministre m’avait partiellement rassurée. Et puis je me suis reprise. Comment pouvais-je porter un jugement sur l’action armée des kurdes ? Pourquoi aurais-je besoin d’être rassurée sur la légitimité de leurs actes ? Pourquoi avais-je été presque tentée de faire l’amalgame entre ce qui s’était passé et une action terroriste ? Pourtant, les faits sont là et je les connaissais. Ce n’était pas du terrorisme, pas plus que les autres actions armées des mouvements kurdes. C’est la guerre et ses conséquences.

Dieu m’a épargnée, merci à lui, mais s’il ne l’avait pas fait, j’aurais détesté de là haut qu’on me considère comme une victime du « terrorisme kurde », « terrorisme du PKK ». Je n’aurais été qu’une victime de plus de la sale guerre menée par l’Etat turc contre une partie des ses propres citoyens et dont la mort ne mérite pas plus de larmes ou de compassion que la mort d’un citoyen de Cizre à cause d’un obus tombé sur sa maison.

J’entends déjà, les pacifistes 2.0, hurler que la violence n’est pas la solution. Évidemment qu’elle n’est pas la solution tout comme elle n’est pas un choix. Tu as brûlé ma maison, volé ma terre, tu as interdit ma langue, tu as tué mon père, enfermé mon frère, violé ma sœur et je suis responsable parce que j’ai répondu en posant une bombe chez toi ?

L’insurrection n’est pas un choix. Elle est.

Le PKK fut l’un des premiers à reprendre au dominant, l’outil par lequel il le mate : la violence. Le système colonial est un système né de la violence et pour la violence, de viols quotidiens du colon sur le colonisé. Constitué de spoliation et de destructions des biens matériels et immatériels allant du vol de sa terre à la destruction de sa culture et du déni de sa condition d’homme, le tout dans une violence physique et symbolique inouïe. L’utilisation de la violence relevait jusqu’alors du privilège du dominant. Seul le dominant a le droit dans le système colonial, d’user de la violence à l’encontre du colonisé. Prendre les armes pour le colonisé, c’est bien plus que de s’approprier ce qui était jusqu’alors le privilège du dominant. C’est reprendre possession de sa condition d’homme. C’est la résistance à l’oppression. C’est le droit d’un peuple à disposer de lui-même et à user de la lutte armée en cas d’oppression. Droits qui seront inscrits des années plus tard, dans cette charte de l’ONU continuellement piétinée, souillée par l’impunité dont bénéficie la Turquie dans ses actions.

Durant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, le Président du Comité spécial contre l’apartheid de l’ONU avait déclaré que le peuple sud-africain n’avait d’autres choix que d’intensifier sa résistance armée étant donné l’intensification du règne de la terreur imposé par le régime de Pretoria. Le Comité spécial réaffirmait que le peuple sud-africain et ses mouvements de libération avaient le droit d’utiliser tous les moyens à leur disposition, y compris la lutte armée, pour obtenir le démantèlement de l’apartheid.

  • Ce droit que l’on refuse encore aux kurdes est totalement conforme aux droits internationaux étant donné qu’ils sont sous le joug d’un État qui les opprime. La lutte du PKK, comme celle des branches armées de la résistance palestinienne ou de n’importe quelle autre résistance indigène, s’inscrit dans une légitimité au regard des faits et du droit.

Bien sûr ce n’est pas beau, bien sûr que cela est triste. C’est même un putain de crève cœur. Mais le responsable ce n’est pas l’insurrection et ses moyens. Le seul est unique responsable c’est le fascisme porté par un État qui a décidé de dénier tous ses droits à un Peuple.

Il est donc impardonnable aujourd’hui que les médias continuent de faire l’amalgame entre le mouvement de libération kurde et un groupe terroriste comme Daesh, à l’heure où le monde ferme les yeux sur les massacres des Kurdes à l’Est de la Turquie.


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