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Antisémitisme et guerre d’Espagne : l’histoire de Cable Street, une des premières manifs antifascistes

posté le 14/09/18 par Chloé Leprince - https://www.franceculture.fr/histoire/antis%C3%A9mitisme-la-guerre-despagne-lhistoire-de-cable-street-manifestation-antifasciste-historique Mots-clés  antifa 

Découvrez l’histoire méconnue d’une des premières grandes batailles rangées entre fascistes et antifascistes en Europe. C’était le 4 février 1936 à Cable Street à Londres - un sursaut contre l’antisémitisme devenu rampe de lancement pour la Guerre d’Espagne.

Cable Street est une longue rue de l’East End londonien, qui court entre les quais de la Tamise et le quartier de Whitechapel, un peu en retrait de la Tour de Londres. C’est là, au beau milieu d’un quartier populaire où vivait alors une communauté juive nombreuse, que les autorités britanniques avaient autorisé le 4 octobre 1936 Oswald Mosley - le député artistocrate qui avait fondé en 1932 le BUF (Union britannique fasciste) - à faire le plein auprès de ses troupes.

Une pétition avait pourtant circulé, rassemblant plus de 10 000 signatures, pour réclamer l’interdiction de ce rassemblement derrière le leader du parti fasciste. A cette époque où l’hitlérisme se répandait sur le continent, Oswald Mosley déclarait par exemple : “Le fascisme est en mesure de l’emporter en Grande-Bretagne.” Trop peu manifestement pour que le gouvernement ne fasse rempart : non seulement le défilé de chemises brunes sera autorisé, mais pas moins de sept mille policiers seront même missionnés pour escorter le cortège derrière Mosley.

Car en 1936, les fascistes ne menaçaient pas de “débarrasser le quartier de Whitechapel de sa vermine et de ses rats juifs” sans rencontrer quelque résistance. Moins du côté des autorités, mais plutôt d’un adversaire politique de plus en plus structuré : les antifascistes. Ce 4 octobre 1936, ils sont ainsi plusieurs centaines de milliers à se masser sur Cable Street pour faire bloc contre les hommes de Mosley, qui s’annonçaient cinq mille. Parmi eux, sur le bitume de ce quartier populaire qui est encore loin de la gentrification qu’il connaîtra au début du XXIe siècle, une forte proportion de Juifs et d’Irlandais, dont des militants travaillistes et communistes viennent grossir les rangs.

De l’East end jusqu’à la Guerre d’Espagne

Dans l’édition qui paraîtra une semaine plus tard, le Time Magazine documentera ainsi la contre-manifestation : "Ignorant les consignes du Labour Party et des chefs de file travaillistes proéminents, un demi-million de prolétaires britanniques parsemé de Juifs se sont rendus au déchaînement anti-fasciste de la semaine dernière, qui s’est révélé être la plus grosse émeute à Londres depuis des années."

Quatre-vingt dix ans plus tard, la date du 4 octobre 1936 reste chevillée à l’imaginaire d’une vaste union populaire, dans l’histoire britannique. Bien qu’elle soit finalement très méconnue en France, la contre-manifestation de Cable Street demeure aussi un marqueur de la culture antifasciste en Europe. Notamment parce qu’elle arrimera des milliers de militants insulaires britanniques au combat continental contre l’extrême-droite en marche sur le reste de l’Europe, de Berlin avec Hitler à Rome avec Mussolini en passant par Franco à Madrid.

Richard Baxell, historien à la London School of Economics (LSE) voit même dans Cable Street "le point de départ de la route pour l’Espagne” pour des centaines de militant-e-s britanniques qui s’enrôleront dans la foulée de l’affrontement du 4 octobre 1936 aux côtés des Républicains dans la Guerre d’Espagne. Dans les rangs des Brigades internationales, ces Britanniques enrôlés volontaires pour se battre contre le franquisme paieront un lourd tribut. Partis un peu moins de 2 500 grossir les rangs des Brigades internationales qui compteront jusqu’à 40 000 volontaires internationaux, pas moins du quart des Britanniques seront tués et une bonne moitié, blessés.

- Outre-Manche, on entend encore régulièrement dire que ces volontaires étaient pour la plupart des intellectuels ou des artistes engagés. Or, chiffres à l’appui, Richard Baxell soutient le contraire, et affirme que l’écrasante majorité de ces quelque 2000 engagés étaient issus de milieux populaires et urbains, pour beaucoup des travailleurs dans l’industrie. Dans ces bataillons, une majorité de jeunes hommes âgés de 29 ans en moyenne, dont les trois-quarts étaient membres du parti communiste, et un cinquième étaient issus de familles juives, précise encore l’historien britannique. En cela, la mobilisation contre la manifestation explicitement antisémite du 4 février 1936 peut être regardée comme un catalyseur.

Jack London et George Orwell, deux lectures antifascistes

Jim Brown sera l’un de ces membres des Brigades internationales. Aux historiens britanniques qui l’interrogeront beaucoup plus tard sur ses motivations à s’embarquer en Espagne, ce natif des quartiers populaires de Londres citera trois jalons :

  • l’extrême pauvreté d’une enfance rythmée par onze expulsions d’appartements aux loyers impayés
  • le choc dans lequel l’a plongé la lecture de Le Peuple de l’abîme, de Jack London (un témoignage de 1903 sur la vie dans ces quartiers de l’East end, où l’auteur avait vécu), et Dans la dèche à Paris et à Londres, le récit autobiographique que George Orwell venait tout juste de faire paraître en 1933
  • et, enfin, cette rixe du 4 octobre 1936 à Cable Street

Sur le sol britannique, la contre-manifestation antifasciste sera durement réprimée. Dans ses travaux, le même Richard Baxell raconte par exemple l’histoire d’un certain Charlie Goodman, l’un de ses enquêtés. Goodman, issu de la communauté juive de ce quartier de l’East End, participait à la contre-manifestation contre les hommes d’Oswald Mosley. Ce 4 octobre 1936, il grimpera en haut d’un lampadaire pour exhorter ses congénères antifascistes à résister aux assauts de la police, qui tentera longuement de sécuriser au leader d’extrême-droite et à sa cohorte un passage dans la foule. Reconnu coupable d’avoir grimpé au lampadaire en question par la justice, il sera envoyé en prison et écopera de trois mois de travaux d’intérêt général.


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