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Bal tragique à Argenteuil

posté le 08/09/13 par Musée de l'Europe Mots-clés  antifa 

Quel anti-racisme pour quelles victimes du racisme ? Au prétexte de la "polémique" Carles-Quadruppani...

La Dictature du chagrin, justement dénoncée par Stieg Dagerman (éditions Agone, canal historique), tend à brouiller les esprits. Tout d’abord, la rencontre fatale entre le regretté Clément Méric et son assassin Esteban Morillo s’est déroulée dans une boutique de fringues, ce qui suggère une certaine proximité sociologique entre les deux protagonistes (ils fréquentent les mêmes lieux et se posent en s’opposant dominés par le même référentiel fashion situés dans la même frange consumériste.)

Qu’a-t-elle à voir avec le racisme et l’anti-racisme ? Rien.... Et tout.

C’est effectivement un conflit entre fractions de classe qui s’approprient le langage comme les fringues : « fa™ » et « anti-fa™ », comme ces mots l’indiquent, il ne s’agit pas de luttes politiques, mais de distinction. De sociabilité et de totems. Les principales victimes des modes « fa™ » et « anti-fa™ » sont les victimes du racisme : qui ne fréquentent pas ces magasins de fringues. L’anti-racisme a été transformé en mode par SOS Racisme, il vise à se distinguer des racistes, qui eux visent à se distinguer des anti-racistes. La meilleure preuve que l’anti-racisme est inconséquent, mais non sans conséquence, est que la veille de la manifestation pour Clément Méric (dans un lieu « chic », la place de la Concorde) avait lieu la manifestation d’Argenteuil suite à l’agression, raciste celle-là, d’une femme voilée qui en perdit son bébé. Qui alla soutenir les organisations locales ce triste samedi ? Pas d’« anti-fa ». Et à vrai dire, à peu près personne. Quelle plus grande fidélité aurait-on pourtant pu manifester aux idées que Quadruppani prête à Clément Méric (qui pas plus que Pierre Carles ne peut être dans sa tête) que d’aller soutenir une vraie lutte anti-raciste : en pratique. Cela a d’ailleurs fortement choqué les organisations en question : battage médiatique pour Méric, à peu près rien pour la victime d’une, forcément, « prétendue » agression raciste.

Tel est le camouflage du principe qui s’effectue avec ce petit mot « prétendu » que nous voyons surgir dans tous les commentaires sur ce qui s’est passé. Il y a des horreurs qui sont commises et dont l’odeur monte jusqu’au ciel, le monde le sait bien sûr et supporte un tel savoir. Mais il jouit aussi manifestement du spectacle d’une endurance morale qui lui offre aujourd’hui encore de « prétendues horreurs » sans se voir signifier : Stop ! Dehors ! Quittez cette planète ! » (Karl Kraus, 3e nuit de Walpurgis, Agone, Canal historique). Peu de temps plus tard, au sujet de Trappes, on lirait ce titre : "la jeune fille se prétendant victime d’une agression raciste s’est défenestrée" . A quand : "la jeune fille se prétendant victime d’une agression raciste s’est prétendûment défenestrée" ? Aux dernières nouvelles (il n’y en a pas), elle n’est pas "prétendûment morte"...

M’interrogeant auprès d’une correspondante du Musée de l’Europe & de l’Afrique au lycée de Brest sur ce paradoxe de l’anti-racisme qui s’en ouvrit à un enseignant anti-fa™ de cet établissement, elle me retransmit la réponse suivante : "Il faut bien dire qu’il y a de plus en plus de femmes voilées en France" . J’ignore si les "fa™" ratonnent en plus de se mettre sur la gueule avec leurs frères ennemis, les "anti-fa™". Mais par contre, je ne suis pas loin de penser que les "anti-fa™" ratonnent symboliquement en se prétendant les principales victimes du racisme et en déniant en pratique cette qualité aux véritables victimes qui ne sont habillées ni à la mode "fa™" , ni à la mode "anti-fa™". L’anti-fascisme serait donc devenu un club, avec sa culture, ses auteurs, ses héros, ses martyrs, ses revues, ses fringues... mais un club privé où les victimes ne sont pas admises : tenue correcte exigée. Clément Méric fut le voile qui cacha Argenteuil.

Clément Méric fut le voile qui cacha Argenteuil

Car les agressions véritablement racistes bénéficient d’une islamophobie qui dans sa forme la plus soft est profondément partagée grâce à des années de racisme d’État exacerbé (le seul qui soit vraiment historiquement dangereux et irréversible) qui peut encore s’appuyer du côté de l’éducation au récit national(e) sur le souvenir illuminé du colonisateur de l’intérieur et de l’extérieur, Jules Ferry [1] (ça vous ne le trouverez pas dans Agone tombé aux mains du CVUH à la sauce Philippe Olivera/Laurence De Cock ! Comme disait Bourdieu : "ah, c’est indigne de moi de citer des noms pareils..."). Ce racisme soft et diffus de l’anti-racisme fashion est effectivement le voile qui cache que les pogroms ont commencé. Puisque, lorsque l’agression survient, tout le monde regarde ailleurs, car la victime, comme la femme violée, est, comme la police le lui fait rapidement sentir, forcément suspecte car éventuellement « prétendue » (d’ailleurs elle est musulmane et défendue par des organisations « musulmanes », comme les homosexuels étaient défendus par des « organisations homosexuelles » victimes du même genre de racisme trans-classe, or comme chacun sait grâce à Caroline Fourest, les musulmans et même les musulmanes sont spécialistes du « double langage »), alors oui, pourquoi se gêner ? Ces agressions se produisent et se produiront de plus en plus car elles sont invisibilisées, notamment par les « anti-fa™ » obsédés par leur rivalité (sans doute de fraction de classe, effectivement) avec les « fa™ », indispensable voile de la gentrification de l’anti-racisme qui permettent encore à un ministre de l’intérieur de cacher son racisme sous la lutte contre le racisme !

Surveillant l’évolution du journal Libération, je fus fort surpris de lire un excellent compte-rendu de la manifestation d’Argenteuil reprenant fidèlement les communiqués des organisations que personne ne lira puisque « musulmanes », donc pratiquant le double langage. Mais au-dessus de l’article en ligne, un robot brouillait le message. « Sortons le racisme de nos rues » clignotait-il de façon orwelliennement hypnotisante. Il s’agissait d’une pub pour une application ipod de la licra (une fausse association « anti-raciste » dénoncée depuis longtemps, notamment par Dominique Vidal, Agone canal historique). Donc un anti-racisme de marché bien fait pour brouiller le message des victimes du racisme arrivé pourtant miraculeusement dans les pages de Libération... [2]

Peut-être que le fritage Carles-Quadruppani, en dernière analyse, relève de la même problématique : chacun d’entre-eux défend une fraction de classe, à y bien regarder. Et cela envahit les journaux de la presse militante : dans le cas de Pierre Carles, puisqu’article XI l’a refusé, dans le journal de Siné, c’est à dire où l’on nous raconte tous les mois qu’une vraie femme libérée est tenue de se promener à poil pour que le vieux puisse la reluquer comme une marchandise (on comprend qu’il soit resté si longtemps à Charlie Hebdo), donc qu’elle ne saurait être musulmane et voilée, donc que ses problèmes, éventuellement d’agression raciste et de perte d’un enfant, ne sont pas vraiment dignes d’intérêt pour un combattant conséquent de l’égalité (tous à poil, partouze générale, communisme de la femme offerte, la voilà la seule liberté qui vaille - DSK n’est pas si loin !)

Il est évidemment immédiatement accusé de relation fasciste coupable "qui prouve bien que..." par les "anti-fa™" sur le forum d’Article XI ("casse-toi tu pues, t’es pas de ma bande"). Ce qui, au moins, à la manière d’un "test projectif" comme disait le savant qui n’a pas eu le temps de vieillir, laisse entendre que Pierre Carles est dans le juste sur l’immense ouverture d’esprit des anti-fa™ qui, s’ils sont incapables d’écouter du Pierre Carles, sont certainement encore moins capables d’écouter un(e) musulman(e)...

Et ce débat, dans la presse militante cette fois, prend la place du vrai débat qui permettrait d’élaborer un anti-fascisme conséquent qui passe par le soutien déterminé aux victimes et à leurs organisations. Quand Mélenchon rend hommage à Méric en « oubliant » de se rendre à Argenteuil... Quand à Tunis il soutient les principaux exportateurs à tendance plus que putschistes de l’islamophobie en France, toujours au nom, si laïc, des « martyrs »... Et ben, on se dit, que oui, les bisous entre petit-bourgeois, même des deux rives, au même titre que les coups de poing dans la gueule, ça « suffa comme si » comme disait une figure de la « cause » de SOS-racisme (soit faire stigmatiser les classes populaires comme racistes, au risque avéré qu’elles en tiennent le discours en renversant le stigmate et tombent dans les pattes de Le Pen, par les classes moyennes qui... au nom de l’anti-racisme, ont ainsi laissé les-dites classes populaires se faire ravager par le « socialisme réel »...)

PS (sic ) du concierge : ça n’a sans doute rien à voir, mais lorsque j’ai pris la fuite des éditions Agone, j’avais préparé un recueil de textes de Chomsky, paru depuis. Le seul texte qui ne fut pas retenu par M. Jean-Jacques Rosat était aussi le seul que Noam Chomsky, en personne, m’avait demandé d’y mettre. Il démontait en détail la rhétorique de l’accusation de « double langage » qu’un historien chien de garde bien en place avait utilisée pour essayer de discréditer les travaux de Chomsky. J’avais dit à Rosat, le petit invité du Collège de France, que c’était important à cause de Tariq Ramadan. Réponse : qui est ce Tariq Ramadan ? - Ben c’est l’intellectuel musulman qui se fait pilonner par Caroline Fourest... - Ah, celle qui fait des éditos dans Le Monde, j’aime bien... « Que faire de la religion (des autres) », comme dirait Jacques Bouveresse... Ben, la Révolution, Grand Jacques ! Tu vois la religion, c’est un truc de révolutionnaires qui devient la caution de leurs descendants, les Bourgeois, jusqu’à ce que de nouveaux révolutionnaires invoquent la pureté des origines pour virer les marchands du Temple... Y’a quand même pas besoin d’avoir tout lu Max Weber pour savoir ça ! Et ça marche aussi très bien avec la République, et pour cause !

Je pris immédiatement la fuite après avoir acquis, en face du Collège de France, des bottes de sept lieues (que je surnomme mes "Jean-Jacques Rosat" lorsque je m’élève vers les cimes) vers des terres plus vertes où continuer le combat, ce qu’un auteur aussi bien installé que Serge Halimi me reprocherait certainement... à grand renfort de citations d’Alain Accardo (Agone, Canal historique). Encore un problème de "classe", parole de bourdieuso-punk !


Notes

[1Lire l’EXCELLENT livre de Jérémie Piolat, Portrait du colonialiste. L’effet boomerang de sa violence et de ses destructions, La Découverte (Bouh le méchant Gèze !), 2011.

[2Le même robot m’envoie des pubs pour des serviettes hygiéniques quand j’écoute Anne Sylvestre : le féminisme™ de marché prend la place du féminisme militant comme l’anti-racisme™ de marché prend la place de l’anti-racisme en actes. Les deux copulent d’ailleurs réactionnairement dans Ni putes, ni soumises.

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