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Boycotter les productions culturelles de l’État d’apartheid à l’export, c’est aussi défendre les droits des artistes israéliens

posté le 21/10/18 Mots-clés  luttes sociales  médias  répression / contrôle social  antifa 

Bien que les actions BDS soient d’abord et avant tout destinées à soutenir la lutte des Palestiniens, l’article qui s’adosse à la campagne de boycott d’un spectacle soutenu par le ministère de la culture israélien au théâtre municipal Jean Vilar à Montpellier, aborde – une fois n’est pas coutume – la question du boycott culturel du point de vue des intérêts des artistes israéliens.
« L’art et la culture n’ont rien à voir avec la politique ». Tel était jusqu’à présent le principal argument contre le boycott culturel opposé au BDS. La politique de violations incessantes du droit international et des droits humains par l’État d’ Israël et la décision du président des États-Unis à propos de Jérusalem ont singulièrement terni l’image d’Israël et rendu sa défense difficile. Si bien que les opposants au boycott culturel ont opté pour le registre de la « liberté d’expression des artistes israéliens » et brandissent désormais la défense des œuvres dites « critiques ». Dans ce contexte certains-nes n’hésitent pas accuser BDS de « censeur », de « prendre en otage la culture » (les terroristes ne sont pas loin) et d’être « contre-productif » et pourquoi s’en priver … « de desservir la cause palestinienne » (sic).
Cet article rappelle les conditions d’application – mal connues – du boycott culturel et examine la nature de la liberté d’expression accordée par Israël aux produits culturels exportés. Il conclut que contrairement aux apparences, le boycott de ce type de produit culturel, défend la liberté d’expression des artistes israéliens face à la propagande d’État (hasbara).

Tout produit ou événement culturel soutenu à l’exportation par un organisme officiel israélien doit être boycotté

(Comité Palestinien pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël – PACBI).

A Montpellier, au cœur du quartier populaire La Paillade (40 000 ha), le théâtre municipal Jean Vilar a programmé pour les 20-21 mars 2018 un spectacle israélien du chorégraphe Illel Kogan intitulé « We love arabs ». L’auteur est présenté comme « engagé », la pièce « porteuse d’un message de coexistence et de paix (…) une entreprise (réussie) de démolition du mur des préjugés (…) l’aboutissement d’un parcours indépendant, engagé et salutairement provocateur ». Bref, une pièce qui analyserait et dénoncerait les rapports de domination israéliens sur les Palestiniens.

Le directeur du théâtre déclare : « Concernant ‘We love arabs’, je n’ai pas pensé un instant que son financement par des subventions publiques israéliennes pouvait signifier une approbation de la politique du gouvernement israélien. Il faut avoir vu le spectacle pour comprendre à quel point ce n’est pas le sujet. Les démocraties, si imparfaites soient-elles, financent des projets artistiques qui parfois les remettent en cause (…) »

En deux phrases ce directeur déclare qu’Israël est une démocratie et par là même évacue la responsabilité politique et morale de la collaboration du théâtre municipal avec un État d’apartheid tout en affirmant que le contenu du spectacle s’oppose à la politique israélienne.

Dans un courrier adressé au même directeur dès le 10 octobre 2017, BDS France-Montpellier écrivait : « (…) ce ne sont ni l’artiste, ni le spectacle qui sont en cause dans notre démarche, pas plus que la sincérité probable de votre positionnement critique à l’égard de la politique israélienne.(…) » et d’ajouter dans un tract diffusé aux spectateurs-trices du théâtre : « Ce n’est pas la citoyenneté israélienne de l’artiste et encore moins sa « nationalité juive » (1), qui motivent notre réaction, mais le fait que ce spectacle soit soutenu par le ministère de la culture israélien. » (2) Ce soutien est l’élément déterminant qui a conduit la Campagne BDS France – Montpellier à déclencher, après consultation et accord du BDS palestinien, la demande d’annulation et le boycott de ce spectacle.

Le boycott culturel ne s’oppose ni aux produits culturels, ni aux artistes mais à la « hasbara » de l’État d’apartheid israélien

En effet, le BDS palestinien, boycott culturel inclus, : « (…) souscrit à la définition acceptée internationalement de la liberté d’expression, telle que stipulée au pacte international des Nations Unies relatif aux droits civiles et politiques ». Contrairement au boycott culturel sud-africain, « il est institutionnel et ne cible pas les personnes en tant que telles » « il rejette par principe les boycotts des personnes basés sur leur identité (comme leur citoyenneté, race, sexe ou religion). » (Directives PACBI.). Ainsi, le financement à la production de produits culturels par l’État d’Israël n’est pas en soi cause de boycott. Par contre le financement et le soutien à la diffusion, distribution de ce produit culturel à l’exportation par un organisme d’État est cause de boycott (point 3 des « directives du PACBI).

Pour la bonne raison que le soutien d’un organisme officiel israélien signifie que le produit culturel exporté est intégré dans la « Hasbara » gouvernementale. Le terme hébreu d’hasbara signifie « explication » et désigne l’ensemble de la propagande israélienne destinée à l’étranger.

Début 2009, juste après l’agression militaire israélienne contre Gaza, Arye Mekel du Ministère des Affaires étrangères déclarait : « Nous enverrons à l’étranger des romanciers et des écrivains connus, des compagnies théâtrales, des expositions… Nous montrerons ainsi une meilleure image d’Israël, pour ne plus être perçus comme un pays en guerre. »

De même, Nissim Ben Sheetrit, haut responsable des Affaires étrangères : « Nous considérons la culture comme un outil de premier ordre pour la hasbara [propagande]. En ce qui me concerne je ne fais aucune différence entre la hasbara et la culture. »

Tout récemment le même Ben Sheetrit définit ainsi le rôle de la Division des Affaires Culturelles et Scientifiques du ministère des Affaires étrangères (DCSA) qui est : « (…) d’utiliser les productions culturelles israéliennes pour atteindre les objectifs politiques de l’État d’Israël. C’est d’autant plus nécessaire face aux défis auxquels doit faire face l’État d’Israël confronté à l’expansion des actions de délégitimation et de boycott (…) Utiliser la culture israélienne comme un reflet positif de l’État d’Israël est un moyen pour développer et renforcer les liens diplomatiques. Pour nous, renforcer une image positive d’Israël est un but en soi (…) ».

La hasbara est désormais orchestrée par un dispositif interministériel directement sous les ordres du premier ministre. « Au printemps 2015 B. Netanyahou a créé pour le ministre de la Sécurité Intérieure, Gilad Erdan, le poste supplémentaire de ministre des Affaires stratégiques et de Diplomatie publique, chargé de la lutte contre le BDS. » (3) Doté de 30 millions d’euros pour 2016, Gilad Erdan s’est alors engagé à mener une « stratégie de défense et d’attaque » contre le BDS, caractérisé, au même titre que l’Iran, de « menace stratégique de premier ordre », de « menace existentielle ».

A ces fins, les événements, produits culturels et artistes sont instrumentalisés pour promouvoir une image attrayante destinée à masquer le visage hideux de l’apartheid, du racisme, de la colonisation, des crimes de guerre, des emprisonnements d’enfants, de la torture, du blocus inhumain de 2 millions d’habitants-tes de la Bande de Gaza, des violations du droit et des droits humains depuis plus de 70 ans… Le boycott culturel s’oppose à cette instrumentalisation, à cette vaste opération de propagande bien planifiée.

Une liberté d’expression « conditionnelle » des artistes est la rançon du financement et du label : « soutien de l’État israélien »

Dès 2008, un article du quotidien israélien Haaretz dénonçait les dessous de l’affaire. Il révèle que les artistes qui demandent le soutien du ministère de la culture pour l’exportation de leurs réalisations à l’étranger doivent signer un contrat spécial et très confidentiel avec le ministère de la culture. Ce contrat stipule « (…) qu’il ne devra pas se présenter comme un agent, émissaire ou représentant du ministère » mais qu’il s’engage en tant que prestataire « à fournir des services de qualité au ministère » pour « promouvoir les intérêts politiques de l’État d’Israël à travers la culture et les arts, en contribuant à créer une image positive d’Israël ».

Cela signifie que le gouvernement israélien détermine très précisément les limites de la liberté d’expression des artistes à l’étranger. On peut dès lors légitimement s’interroger sur « l’indépendance », « l’engagement » et même l’« éthique » des artistes qui acceptent de se produire dans ce système de « liberté d’expression conditionnelle » tout autant que sur la nature du contenu « critique » des œuvres qui toutes ont été validées par les services de la propagande d’État, de la censure d’État. Bon gré, mal gré, ceux-celles qui signent ce contrat en échange de soutiens financiers et du label « soutien par le ministère de la culture » acceptent de rentrer dans ce système de liberté d’expression « conditionnelle ».

Aussi quand les opposants au boycott de « We love arabs » mettent en avant le fait que la pièce est critique par rapport à la politique israélienne il est aisé de répondre que c’est une critique conforme aux seuils fixés par le gouvernement. Mieux encore, c’est justement ce genre de produit culturel d’apparence – critique- qu’affectionne tout particulièrement la Division des affaires Culturelles et Scientifiques du ministère des affaires étrangères (DCSA). Quelle meilleure image de « démocratie » et de « liberté artistique » pour Israël que de pouvoir se vanter de subventionner une production culturelle qui critique le gouvernement et sa politique ! C’est ainsi que l’État d’Israël transforme une œuvre culturelle en un produit de propagande et un artiste contestataire en un vecteur de la propagande officielle d’un État colonial et d’apartheid.

Israël attaque les œuvres exportées à l’étranger qui le dérangent

L’exemple est récent. Le ministère des affaires étrangères israélien vient d’ordonner à son ambassadrice à Paris de boycotter l’inauguration du 18 ème festival du cinéma israélien qui se tiendra à Paris du 13 au 23 mars 2018. Motif : le film choisit pour l’ouverture du festival, « Foxtrot », du réalisateur israélien Samuel Maoz. Film qui a pourtant obtenu le Lion d’argent Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise en 2017. Foxtrot avait déjà déchaîné la colère de la ministre de la culture Miri Regev car il montre un soldat israélien abattre un Palestinien à terre et désarmé rappelant l’événement réel survenu en mars 2016 à Hébron. Un jeune infirmier franco-israélien faisant son service militaire en Israël a abattu de sang froid un Palestinien blessé et déjà au sol. Ce meurtre odieux dénoncé par les médias internationaux avait contribué à dégrader un peu plus l‘« image positive » d’Israël que la hasbara s’efforce tant de promouvoir à l’étranger.

La même Miri Regev, a entrepris depuis sa nomination en 2015, la mise au pas des artistes « déloyaux » à l’égard d’Israël. « Un État sain doit délivrer un message clair sur ses valeurs ainsi que sur sa culture, et ne doit pas financer ceux qui travaillent à le renverser » a-t-elle conclu son intervention commencée par « arrêtez-vos conneries » lors d’une conférence pour artistes et intellectuels organisée par le quotidien Haaretz en mars 2016.

Il y a critique et critique et les apparences sont parfois trompeuses !

Le film Foxtrot aborde également les difficultés émotionnelles de deux générations de jeunes Israéliens ayant participé à l’occupation des territoires palestiniens durant leur service militaire. Ce volet en apparence « antimilitariste », « critique » à l’égard d’Israël et dont le public européen est friand, n’est pas pour déplaire au pouvoir israélien. En 2009, juste après la guerre contre Gaza, Shimon Peres déclarait aux professionnels du cinéma israélien : « (…) Malgré le boycott culturel international, des films réalisés après la guerre du Liban, comme Beaufort, Valse avec Bashir, ou Lebanon (même réalisateur que Foxtrot, ndlr) ont obtenu de grands succès, non pas en tant que films de guerre, mais en tant qu’œuvres relatant des histoires personnelles qui soulèvent des dilemmes humains difficiles ». La directrice de l’école de cinéma de Maale, pourtant proche des milieux nationaux religieux, défend également ces films souvent accusés d’anti-patriotisme en Israël : « Les intrigues de ces films montrent que nos soldats aussi ont des sentiments. On voit des être humains et pas des bourreaux. Ils sont humanisés. Ainsi les spectateurs étrangers comprennent les dilemmes de nos combattants. Montrer les incertitudes de nos soldats, ça sert la cause d’Israël. » (4)

C’est ainsi que se retrouvent piégés des directeurs-trices de salle qui, croyant ouvrir la porte à une saine critique de la politique israélienne ou au soutien du peuple palestinien, se retrouvent instrumentalisés-ées au service de la hasbara israélienne. Piégés-ées également les spectateurs-trices dans un débat gauche/droite israéliennes, toutes deux sionistes, opposées au BDS et à mille lieux, l’une comme l’autre des intérêts du peuple palestinien. En témoigne cette interview de Samuel Moaz, réalisateur de Foxtrot dans « Los Angeles times » du 19 septembre 2017 où on peut lire : « (face à) Miri Regev, qui le condamne comme acte de trahison. Moaz s’est moqué de la condamnation et a déclaré que le gouvernement de droite ferait mieux d’embrasser le film, qui a été financé par le fonds de film officiel du gouvernement. « Elle a dit que je fais de la mauvaise publicité, mais il n’y a rien de mieux pour le gouvernement israélien que de montrer qu’il est prêt à se critiquer », a déclaré Maoz ». Confirmant ainsi la stratégie de la hasbara gouvernementale.

S’opposer au boycott culturel revient à soutenir la censure israélienne

Se pose la question de la responsabilité de celles et ceux qui persistent à passer convention et programmer des spectacles ou autres événements culturels soutenus par des organismes officiels israéliens.

N’est-ce pas tromper le public que de promouvoir ces produits labellisés en mettant l’accent- comme c’est le cas avec « We love arabs »- sur son contenu prétendument critique à l’égard d’Israël ?

Distribuer ces produits, n’est-ce pas cautionner, voire se rendre complice de ce système d’État qui organise et planifie l’atteinte à la liberté d’expression des artistes israéliens-nes ? qui en fait des instruments de sa propagande ?

Pourquoi ne pas refuser systématiquement tout produit ou événement culturel soutenu par un organisme officiel israélien et inviter les artistes israéliens-nes indépendants-tes, les produits culturels hors contrat avec les organismes officiel israéliens ?

Ce boycott bien ciblé serait à la fois un formidable soutien à la lutte palestinienne et tout autant un soutien à une réelle liberté d’expression des artistes israéliens muselés par le système des contrats à l’export du ministère de la culture.

Notes :

(1) La nationalité israélienne n’existe pas en Israël qui se définit en tant que « nation juive ». La « nationalité juive » est réservée aux juifs, elle leur accorde des droits « nationaux » spécifiques, dont ne bénéficient pas les citoyens –non juifs – d’Israël (La loi du retour par ex.). C’est une des discriminations caractéristiques du système d’apartheid.
(2) Le soutien est mentionné en toutes lettres dans le programme : « Spectacle soutenu par le ministère de la culture israélien ».
(3) « Un boycott légitime, pour le BDS universitaire et culturel de l’État d’Israël ». E. Sivan, A. Laborie. La fabrique2016, p. 29.

(4) Un boycott légitime, p.101.


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