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Ce soir, camarade, tu iras manifester contre la guerre

posté le 03/09/13 par Nad Iam Mots-clés  réflexion / analyse 

Quand on est de gauche, anti­ca­pi­ta­liste, on mani­feste contre les guer­res. On refuse les bom­bar­de­ments, les mas­sa­cres des popu­la­tions civi­les , la course à l’arme­ment. Quand on est de gauche, anti­ca­pi­ta­liste on se doit de ne pas cau­tion­ner le bel­li­cisme de sa bour­geoi­sie. Alors bien sûr, tu seras là ce soir, sûr d’être au bon endroit, au bon moment. Tu vas à toutes les manifs contre la guerre, d’ailleurs.

Toutes ? En fait, non. La semaine der­nière , par exem­ple, tu n’étais pas à la mani­fes­ta­tion contre la guerre en Syrie. Oui, il y avait une mani­fes­ta­tion, contre tous les mas­sa­cres commis par un dic­ta­teur depuis trente mois, contre le mas­sa­cre à l’arme chi­mi­que commis à la fin du mois d’août, pour la soli­da­rité avec les démoc­rates et les pro­gres­sis­tes de Syrie.

Tu n’y étais pas, parce que ton parti n’y était pas. Parce que les sites que tu consul­tes pour savoir quel­les mani­fes­ta­tions sou­te­nir ne l’annonçaient pas.

Tu n’y étais pas et pour­tant toutes les rai­sons qui te font être contre la guerre étaient là : un dic­ta­teur qui a été sou­tenu et porté par ta bour­geoise des années durant, et qui l’est encore par sa frac­tion réacti­onn­aire et fas­ci­sante. Des morts par cen­tai­nes de mil­liers, tués par des armes que ta bour­geoi­sie et d’autres lui ont ven­dues. Des morts, des blessés, des réfugiés, tués dans le silence com­plice de toutes les bour­geoi­sies du monde.

Tu n’as pas mani­festé contre la guerre, mais tu mani­fes­te­ras ce soir, et les jours pro­chains.

Si tu es sincère, pour­tant, tu ne ren­tre­ras pas content de ta mani­fes­ta­tion. D’ailleurs tu y vas avec une cer­taine appréh­ension. Tu n’en parles pas, parce que ton parti, ton orga­ni­sa­tion n’en parle pas, mais tu as vu sur inter­net que toute l’extrême droite est aussi mobi­lisée « contre la guerre impér­ial­iste ». Avec les mêmes mots et les mêmes argu­men­tai­res. Tu vou­drais bien balayer ça, comme Mélenchon l’a fait avec un « On a bien le droit d’avoir un point de vue FRANCAIS ». Sauf que cette phrase de Mélenchon, elle te laisse gêné aux entour­nu­res. Parce que toi, tu penses mani­fes­ter contre le capi­ta­lisme français, entre autres, alors com­ment pour­rais-tu avoir un « point de vue FRANCAIS », en commun avec l’extrême droite, la pointe la plus dure des capi­ta­lis­tes ?

Bon, tu pour­rais ne plus penser à la phrase de Mélenchon, sur­tout si tu n’es pas au Front de Gauche. Seulement voilà, ce soir et les jours qui vien­nent, tu sais déjà que cer­tains aspects de la mani­fes­ta­tion vont t’y rame­ner.

Cette lourde insis­tance de cer­tains mili­tan­tEs sur Israël, les « lob­bies » qui mani­pu­lent les chan­cel­le­ries dans l’ombre, le « Nouvel Ordre Mondial de l’Oligarchie qui ne dit pas son nom ».

Ces tracts, qui affir­ment que les mas­sa­cres ne sont pas ce que l’on en dit, et que peut-être ils n’ont jamais existé, comme « d’autres avant dans l’Histoire ». Ce voca­bu­laire dont tu sais bien qu’il n’est pas celui de la gauche, ces insi­nua­tions dont tu sais très bien qu’elles ne font pas seu­le­ment référ­ence à la guerre d’Irak. Ces mili­tants, qui vont t’accos­ter, et qui te diront au bout de cinq minu­tes que Bachar El Assad n’est pas du tout le mons­tre que l’ « Occident amé­ri­cano sio­niste » décrit, ou que Kadhafi était un grand homme pour son peuple. Ce qui t’emmer­dera plus que tout, c’est que les cama­ra­des, dans leur immense majo­rité feront sem­blant de ne pas enten­dre ce que disent et écrivent ces mili­tants. Ou te diront, au mieux, de lais­ser tomber, qu’il y a « tou­jours des connards par­tout, mais que ça n’est pas représ­en­tatif ».

Et puis, il y aura aussi, rentré chez toi, cette ques­tion qui te pèsera sur l’esto­mac : admet­tons que pour une fois, la mobi­li­sa­tion fonc­tionne, et qu’il n’y ait pas « la guerre »....Mais qu’est ce qui se pas­sera en Syrie, où tu sais très bien qu’il y a déjà la guerre ?

Oh bien sûr, Mélenchon et les autres ont une rép­onse en bas du tract. « Nous sommes aux côtés des démoc­rates syriens pour une solu­tion poli­ti­que et l’arrêt des mas­sa­cres ».

Seulement, ils n’étaient pas à la mani­fes­ta­tion de samedi der­nier, avec les démoc­rates syriens pour l’arrêt de la guerre et des mas­sa­cres. Bien sûr, il leur est arrivé d’en parler, de la Syrie, à la page douze du jour­nal, il leur est même arrivé quel­que­fois de dif­fu­ser une vague pro­tes­ta­tion contre un mas­sa­cre par­ti­cu­liè­rement massif, ces trois der­nières années. Les pro­tes­ta­tions ver­sion « mini­mum syn­di­cal », celles où il n’y a aucun rendez-vous concret à la fin. Celles assor­ties de rés­erves, sur les mani­pu­la­tions pos­si­bles de l’opi­nion, sur les intérêts des « Occidentaux et d’Israël » qu’il convient quand même de dén­oncer dans cette affaire, sur l’oppo­si­tion syrienne qui est loin d’être com­posée uni­que­ment de gen­tils (non, vrai­ment ?). Le genre de pro­tes­ta­tions, qui après les avoir lues , te don­nent sur­tout le sen­ti­ment qu’il ne faut pas se mêler de cette affaire...

Aujourd’hui, cama­rade, tu vas donc t’en mêler. Pour com­bien de temps ? Pour com­bat­tre quelle guerre et lais­ser fina­le­ment faire quelle autre guerre ?

En d’autres temps, en d’autres occa­sions, pour­tant, tu agis et pense différ­emment.

Combien de fois as-tu vitupéré contre ce syn­di­cat bidon qui mani­feste une fois tous les deux ans « pour de nou­veaux droits », mais refuse de par­ti­ci­per aux grèves quo­ti­dien­nes ?

Combien de fois as-tu répété qu’il fal­lait se méfier de ces partis poli­ti­ques qui déb­arquent en pér­iode élec­to­rale, pour t’entraîner sur une mobi­li­sa­tion sym­bo­li­que ayant pour but non avoué de pro­mou­voir tel ou tel parti, dont il convient de faire oublier la pas­si­vité lorsqu’il était au pou­voir ? Et qu’il fal­lait plutôt , tou­jours, être avec ceux qui mènent les com­bats sur la durée.

Dans toute la France, depuis trente mois, des gens mani­fes­tent et se bat­tent contre la guerre en Syrie, sur la durée. Toutes les semai­nes, tous les jours, en lien avec des pro­gres­sis­tes syriens, avec celles et ceux qui se sont révoltés contre le dic­ta­teur il y a trente mois.

Ce soir, et dans les jours qui vien­nent, vont se mêler dans les rues celles et ceux qui ne com­bat­tent concrè­tement que cer­tains bom­bar­de­ments et cer­tains capi­ta­lis­tes, et celles et ceux qui sou­tien­nent, ouver­te­ment ou impli­ci­te­ment la dic­ta­ture syrienne.

A toi de voir où est ta place, toi qui n’aimes pas la guerre.

Nad Iam

(contri­bu­tion extraite du site Memorial 98, http://memo­rial98.over-blog.com/)


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