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Combattre l’influence néfaste des sous-produits politiques du postmodernisme, du postcolonialisme et des « études subalternes »

posté le 25/03/15 par Yves Mots-clés  réflexion / analyse 

VII. Combattre l’influence néfaste des sous-produits politiques du postmodernisme (36) , du postcolonialisme et des « études subalternes »

Même si ces courants sont d’origine différente, et ont emprunté des directions diverses voire opposées, ils convergent dans les cercles universitaires et dans les médias de gôche. Sous une forme très simplifiée et simpliste, ils ont influencé des générations de militants de gauche, d’extrême gauche ou libertaires qui se sont inspiré de conceptions philosophiques au départ plutôt cryptiques, du moins chez les intellectuels français.

Les post-modernes ou post-structuralistes français qui venaient de la gauche (Deleuze, Baudrillard, Derrida, Foucault, Lyotard) avaient pour objectif, en critiquant les différentes interprétations du marxisme (37) qui les avaient – pour la plupart – fortement influencés dans leur jeunesse, de développer une critique qui se voulait plus radicale, plus exhaustive, du capitalisme et de la société modernes.

Ils prétendaient offrir une vision plus complexe et subtile que la détermination directe des phénomènes sociaux et politiques par « l’économie », les rapports de production ou les rapports sociaux. Influencés par la linguistique (38) , les post-structuralistes ont tendu à réduire les réalités sociales, comme les grandes philosophies, à des discours ou à des « textes » qu’on devrait « déconstruire ». Les post-modernes de gauche ont contribué à diffuser des conceptions très relativistes de la lutte politique et des combats sociaux qui ont influencé directement leurs lecteurs militants ou même simplement ceux qui lisaient des articles ou des ouvrages de vulgarisation expliquant ces théories ; il ne faut donc pas s’étonner que, pour les « activistes » actuels, les religions ne soient plus une source d’aliénation politique et sociale, une source d’obscurantisme qu’il faille combattre, comme elle l’était pour l’ancien mouvement ouvrier.
Aujourd’hui, les religions représentent seulement un « discours » parmi beaucoup d’autres qu’il faut analyser et décortiquer, généralement avec beaucoup plus de bienveillance que les autres « discours du pouvoir » (il suffit de se rappeler l’enthousiasme initial de Foucault pour les mollahs iraniens).

Dans le même courant on peut ranger le lobby médiatico-intellectuel des Indigènes de la République et leurs alliés universitaires de gauche : le PIR se transforme de plus en plus en une officine de propagande religieuse qui dénonce une « hostilité croissante au sacré, laissant la place à une rationalité strictement instrumentale, dépourvue de sens et méprisant toute forme de transcendance » et pour qui « L’une des rares figures qui nous réhabilite et sur laquelle nous projetons notre “nous” positif et digne est celle du prophète. Il nous permet de rester debout car il est justice, droiture et bonté. Il est notre reflet positif (39). » En quelques années, le PIR et sa porte-parole sont clairement passés de l’empathie pour les croyants (formulant au passage un diagnostic civilisationnel qui peut satisfaire aussi bien les catholiques, les protestants que les juifs) à l’apologie de la foi et de la religion musulmanes.

En s’attaquant aux « discours universalistes », les postmodernes de gauche se sont attaqués aussi aux Lumières et au rationalisme scientifique ou philosophique, considérés comme illusoires, « eurocentrés (40) » quand ils ne les ont pas présentés comme le produit du cerveau d’hommes-blancs-hétérosexuels-occidentaux (traduire : consciemment ou inconsciemment racistes, colonialistes et homophobes). Les postmodernes se sont attaqués aux universalismes marxiste ou anarchiste pour les mêmes raisons.

Il est normal que les partisans des études postcoloniales (soucieux de démontrer que les sociétés capitalistes occidentales fonctionnent encore sur un modèle « colonial » et que leur traitement des minorités ethniques s’inspire des modèles esclavagistes et coloniaux) se soient sentis des affinités avec les postmodernes de gauche.

Dans un tel cadre de pensée, il ne faut pas s’étonner que l’islam devienne la « religion des pauvres », des dominés, des « non-Blancs », et que (presque) tous les musulmans deviennent des prolétaires ou des « sans ». Le tiers-mondisme, combiné au relativisme dominant dans les milieux académiques, a ainsi retrouvé une nouvelle jeunesse comme on a pu le constater dans les mouvements altermondialistes, par exemple, depuis une vingtaine d’années et comme on peut le constater dans le soutien acritique au Hamas ou au Hezbollah sur toute la planète.

Vivek Chibber dans une interview à la revue Jacobin (41) (apporte quelques précisions sur la façon dont ces mouvements intellectuels post-coloniaux et les études subalternes sont nés dans les pays du Sud et ont influencé l’intelligentsia de gauche et les étudiants des pays du Nord.

Comme il le souligne, nous assistons depuis une trentaine d’années, à la plus grande offensive internationale jamais coordonnée tentant de nous faire croire que les catégories scientifiques issues du foisonnement des Lumières (des notions comme le capital, les classes sociales, la rationalité et l’objectivité) s’appliqueraient au monde « occidental » mais pas au monde « non occidental ».

Pire, on veut nous faire avaler que les catégories critiques forgées au sein de ce monde occidental (le marxisme mais aussi l’anarchisme) feraient partie intégrante de l’offensive coloniale et de l’idéologie impérialiste.

On retrouve ce discours dans la bouche des Indigènes de la République qui expliquent qu’ils ne sont « ni de droite ni de gauche », parce qu’ils pensent ( ?!) avec des catégories non occidentales... « Pourtant, la Oumma est traversée de mille contradictions et nos clivages sont innombrables. Mais historiquement, nous ne connaissions pas cette séparation radicale entre les Églises et l’État, comme nous ne connaissions pas ce type de distinction entre le profane et le sacré, la sphère publique et la sphère privée, la foi et la raison. Il aura fallu l’avènement de la modernité capitaliste, occidentale et son narcissisme outrancier et arrogant pour universaliser des processus historiques – la laïcité, les Lumières, le cartésianisme – géographiquement et historiquement situés en Europe de l’Ouest. C’est une spécificité qui s’est auto-déclarée universelle par la force des armes et des baïonnettes (39). »

Et d’ajouter à propos des caricatures de Mahomet republiées dans « Charlie Hebdo » : « Sur l’instant, j’avais pensé à « Tintin et les sept boules de cristal ». De retour d’Amérique du sud, les sept membres d’une expédition consacrée aux Incas sont victimes, les uns après les autres, d’une malédiction et plongés dans une profonde léthargie, victimes d’une malédiction. Durant leurs fouilles, les chercheurs ont profané la tombe et souillé des croyances ancestrales. La vengeance des Incas ne s’est pas fait attendre. Voilà où conduit la froide rationalité des Lumières. Au fanatisme de la raison marchande et capitaliste (39). »

Puisque Mme Bouteldja semble si sensible aux atteintes portées au sacré, on aimerait qu’elle nous explique le caractère « rationnel » et « capitaliste » des multiples profanations commises par les talibans, Boko Haram, Daesh et tous ces « damnés de la terre » si respectueux du sacré... Et qu’elle nous explique aussi son opinion sur le caractère « sacré » de la vie humaine prôné par le Hamas et le Hezbollah qu’elle soutient...

On remarquera que Mme Bouteldja nous offre une curieuse histoire de l’islam ; en effet, à la lire, on pourrait croire qu’il n’y aurait eu aucune réflexion sur la « distinction entre le profane et le sacré, la sphère publique et la sphère privée, la foi et la raison » avant l’intrusion occidentale dans les sociétés arabo-musulmanes. Or, il me semble que les écrits d’Averroès (XIIe siècle) et sa réflexion sur les rapports entre foi et raison sont bien antérieurs à ceux de Descartes (XVIIe siècle) et aux Lumières (XVIIIe siècle)... A trop vouloir prouver, on se tire souvent une balle dans le pied.

Depuis deux cents ans tous ceux qui ont voulu changer le monde et le rendre meilleur ont défendu des conceptions universalistes ; ils ont soutenu que les ouvriers et les paysans avaient des intérêts communs, même s’ils vivaient sur des continents différents et dans des « cultures » différentes. Paradoxalement, alors que les mouvements altermondialistes ont regroupé, au cours des vingt dernières années, des centaines de milliers de militants du Nord comme du Sud pour des actions et d’innombrables réunions contre le « néolibéralisme », s’est répandue l’idée baroque selon laquelle les peuples du Nord et du Sud n’auraient rien en commun, que les prolétaires du Nord vivraient sur le dos de ceux du Sud, et que, dans les grands pays occidentaux, les prolétaires « blancs » tireraient leurs « privilèges » de l’exploitation des prolétaires « non blancs ».

Chibber explique cette nouvelle conjoncture de la façon suivante :

– après le déclin du mouvement ouvrier et les défaites de la gauche, dans les années 70, les universitaires n’ont pas continué à produire des théories centrées sur l’exploitation capitaliste, la classe ouvrière et la lutte des classes, et c’est un processus « normal » ; les intellectuels n’accordent jamais beaucoup de crédit à la critique du capitalisme en dehors des périodes de soulèvements sociaux et d’émeutes à grande échelle ; comme le dit, dans une formule choc, Walter Benn Michaels dans une interview à Jacobin (42) , « nous, les universitaires, nous sommes un peu le département Recherche et développement du Capital » ;

– les universités ne sont plus des tours d’ivoire mais des institutions de masse qui se sont ouvertes à des catégories qui, auparavant, en avaient été écartées : les minorités ethniques, les femmes, les immigrés du Sud. Ces nouveaux étudiants et étudiantes étaient, et sont, beaucoup plus sensibles aux différentes formes d’oppression qu’à l’exploitation de classe et souhaitent ardemment mettre des concepts sur leurs maux pour mieux les comprendre et les combattre. On a donc vu apparaître, d’un côté, une « base de base de masse pour ce que nous pourrions appeler des études sur l’oppression », aux motivations certes radicales mais déconnectées des luttes de classe ; et de l’autre côté, une intelligentsia de gauche (amputée de ceux qui avaient tourné leur veste) a voulu continuer à défendre un discours radical, mais en abandonnant toute orientation de classe. Ce « sommet » de l’intelligentsia a donc fourni à la « base » étudiante les théories sur l’oppression que celle-ci attendait.

YC, Ni patrie ni frontières, février 2015

(à suivre)

Notes

36. Janine Booth (2005) : « Les différences culturelles peuvent-elles excuser le sexisme ? » (Compil NPNF n° 6).

37. Foucault fut membre du PCF pendant plusieurs années puis proche de la Gauche prolétarienne, groupe maoïste ; Lyotard fut membre de Socialisme ou Barbarie et Pouvoir ouvrier, groupes marxistes antistaliniens ; Derrida n’a jamais été stalinien, et tous ses amis étaient de gauche ; Deleuze n’a jamais adhéré au PCF même si tous ses amis y militaient durant sa jeunesse ; quant à Baudrillard, il ne fut pas membre du PCF mais traduisit plusieurs livres pour les Editions sociales, y compris avec le très stalinien Gilbert Badia, ce qui suppose de solides liens d’amitié à gauche, du moins dans sa jeunesse...

38. La genrisation à la mode dans les milieux de gôche et libertaires n’est qu’un sous-produit du structuralisme. La croyance selon laquelle, en féminisant l’orthographe et en inventant des mots mixtes du types « illes » ou « celleux », on changera les rapports entre les sexes non seulement relève de l’idéalisme le plus crasse, mais ne permet pas d’expliquer pourquoi dans les sociétés où les langues utilisées (chinois, coréen, thai, japonais, etc.) n’ont pas de masculin et de féminin, les rapports de domination entre les sexes n’en sont nullement affectés...

39. Houria Bouteldja : « Du sacré des Damnés de la terre et de sa profanation » http://oumma.com/219681/charlie-hebdo-sacre-damnes-de-terre-de-profanation

40. Michel Foucault, par exemple, critiquait « les limites de la rationalité occidentale ».

41. https://www.jacobinmag.com/2013/04/how-does-the-subaltern-speak/

42. https://www.jacobinmag.com/2011/01/let-them-eat-diversity/

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