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Conflit frontalier entre la Colombie et le Venezuela : le drame des réfugiés met en évidence la décomposition du système capitaliste

posté le 28/12/15 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  réflexion / analyse 

La population des pays de la périphérie du capitalisme est confrontée au drame des déportations, des déplacements, de la fuite des populations face à des conditions violentes et inhumaines, comme c’est le cas des réfugiés du Moyen-Orient qui fuient vers l’Europe à la recherche de meilleures conditions de vie, terrorisés par l’État islamique, l’État syrien et toutes les bandes armées en conflit. S’y ajoutent les grands déplacements des marées humaines venant d’Afrique et de l’Europe de l’Est. C’est aussi le drame qu’on est en train de vivre à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, où habitent depuis des années des milliers de réfugiés à cause du conflit à l’intérieur de la Colombie, entre l’État, la guérilla et les paramilitaires  ; d’autres ont cherché au Venezuela de meilleures conditions de vie. Ils sont tous victimes d’un système capitaliste qui, depuis un siècle, est entré en décadence et sombre aujourd’hui dans la décomposition 1, en entraînant l’humanité dans la barbarie. Aujourd’hui, la population de la longue frontière colombo-vénézuélienne subit encore une fois les conséquences des conflits d’intérêts des classes dominantes des deux pays.

L’analyse des faits

Le 21 août dernier, le président Nicolas Maduro a annoncé la fermeture de la frontière colombo-vénézuélienne 2, en décrétant l’état d’exception dans 10 municipalités de l’État de Tachira, étendu par la suite à 7 municipalités de l’État de Zulia et 3 de l’État d’Apure, toutes frontalières avec la Colombie 3. La raison donnée a été l’embuscade tendue contre trois militaires vénézuéliens et un civil qui réalisaient des opérations anti-contrebandes. Cette mesure a entraîné l’expulsion et la déportation de plus de 2000 Colombiens et la fuite d’autres milliers d’entre eux, provoquant une situation dramatique, parce que les militaires ont détruit dans la plupart des cas leurs habitations précaires, tout en leur interdisant d’emporter leurs affaires  ; des familles ont été séparées et il y a eu des dénonciations pour les mauvais traitements et les extorsions par des militaires vénézuéliens. Le Procureur général de Colombie a menacé de saisir le Tribunal pénal international pour crime contre l’humanité contre le président Maduro. La ministre colombienne des Affaires étrangères, Ángela Holguín, a signalé que de telles mesures sont contradictoires avec les actions que le gouvernement vénézuélien a mises en place les années précédentes, lorsqu’il octroya des papiers d’identité à des milliers de Colombiens pour qu’ils puissent voter au Venezuela en faveur du régime chaviste, en leur promettant des maisons et des allocations sur le territoire vénézuélien, documents que ce régime considère maintenant comme illégaux.

Entre autres raisons que le gouvernement vénézuélien brandit pour justifier de telles mesures, il y a la contrebande d’essence et de produits alimentaires vers la Colombie  ; et aussi l’approbation d’une résolution de la Banque de la République de Colombie qui favorise un lobby mafieux installé en Colombie qui fixe librement au marché noir les taux de change de la monnaie vénézuélienne (le bolivar) par rapport au dollar, poussant ainsi à la dévaluation de cette monnaie. Ces opérations de contrebande, unies à l’accaparement et à la revente d’aliments et d’autres produits à des prix spéculatifs 4, seraient à la base de ce que Maduro et son régime nomme la “guerre économique” qui est censée être la cause d’une grande partie de la pénurie et du désapprovisionnement dont souffre le pays. Par ailleurs, le gouvernement vénézuélien met en avant une augmentation d’agissements supposés des groupes paramilitaires colombiens pour planifier et exécuter des attentats et des assassinats sur des fonctionnaires vénézuéliens, sous la direction de l’ex-président colombien Álvaro Uribe en accord avec les États-Unis. C’est la quatrième fois en trois ans que Maduro a dénoncé des plans pour l’assassiner, et il affirme même que le dernier plan découvert a été planifié en toute connaissance de cause par le président colombien Juan M. Santos.

La réalité, c’est que les deux gouvernements connaissent parfaitement depuis des années les activités de contrebande, de racket (“cobro de vacuna”), de trafic de drogues, de prostitution et l’existence de bandes criminelles anciennes et nouvelles et de paramilitaires qui sévissent aussi bien en Colombie qu’au Venezuela. Les présidents Santos et Maduro agissent avec le cynisme et l’hypocrisie propres aux classes dominantes lorsqu’ils appellent à la “défense des Droits de l’homme” ou à la “protection de la vie des citoyens”, alors qu’ils essayent de tirer le plus grand profit politique de la situation, comme le font aussi les factions bourgeoises de l’opposition dans l’un comme l’autre des deux gouvernements. Ceux qui sont vraiment affectés par cette situation, ce sont les populations frontalières, des travailleurs pour la plupart d’entre eux, qui y habitent ou qui y sont de passage. Des milliers de personnes, autochtones ou immigrés, cherchent à survivre au milieu des différentes mafias de la contrebande, des cartels de la drogue, de la guérilla et des paramilitaires, coincées dans une dynamique infernale de décomposition sociale qui s’exprime dans l’affrontement entre bandes criminelles qui opèrent dans la région, commandées par des fonctionnaires et des militaires des deux pays.

Cette situation met en évidence le drame vécu dans différentes zones frontalières partout dans le monde, avec l’émigration illégale, les réfugiés, la plupart d’entre eux victimes de la crise économique mondiale et d’une de ses conséquences principales, le chômage  ; poussés par le besoin de survie, supportant des rythmes brutaux d’exploitation, tentant de fuir les guerres et les conflits politiques, harcelés par les autorités, des familles entières risquant leur vie. Le conflit en Syrie illustre le plus crûment cette réalité, avec environ 7 millions de réfugiés à cause de la guerre civile dans ce pays depuis 2011, où des millions de personnes fuient terrorisées et formant des caravanes humaines qui essayent de traverser les frontières des pays voisins et d’ailleurs, subissant la répression policière et les mauvais traitements des trafiquants d’êtres humains, les maladies, la mort souvent pour essayer d’arriver dans les pays de l’Union européenne. De la même manière, plus de 400 000 réfugiés par le conflit en Libye sont venus grossir les chiffres de presque 60 millions de réfugiés dans le monde, selon l’ACNUR (Agence de l’ONU pour les réfugiés). La situation à la frontière colombo-vénézuélienne illustre, quant à elle, le degré d’autonomie des mafias dirigées par des civils, des paramilitaires, des guérilleros, des troupes des armées, et le chaos résultant de la lutte à mort entre elles  ; elle illustre également le fait que les gouvernements de droite comme de gauche des pays pauvres ou développés ne sont nullement intéressés du sort de leurs populations. Ils sont seulement intéressés par la défense de leurs intérêts de classe. Il s’agit là d’une réalité qui montre la décomposition des rapports capitalistes de production, l’impossibilité pour ce système d’offrir la moindre perspective de bien-être à l’humanité.

La bourgeoisie chaviste à la recherche d’un bouc-émissaire face à l’avancée de la crise

Les stratégies développées par la bourgeoisie chaviste pour essayer d’enrayer l’épuisement de son projet politique ont mis le pays dans une situation de détérioration économique et sociale accélérée. La recherche incessante d’un bouc-émissaire, d’un agresseur extérieur, sert à détourner l’attention de la gravité de la crise économique et de la responsabilité des hauts bureaucrates de l’État dans la corruption sans limites qui y sévit. La marge de manœuvre du chavisme s’est réduite au fur et à mesure que déclinait sa capacité à alimenter son populisme politique et idéologique. Selon des chiffres officieux, le PIB pourrait se réduire cette année entre 7 et 10 %  ; le déficit public se situerait autour du 20 % du PIB (très supérieur à celui de la Grèce en 2009 qui est monté à 15 %). La baisse de prix du pétrole a obligé à freiner le flux de devises d’environ 60 %. Plusieurs bureaux de conseil calculent que l’inflation atteindra entre 150 et 200 % à la fin de 2015. D’après les données de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, appartenant à l’ONU), la pauvreté a augmenté de 25 % à 32 % entre 2012 et 2013. La baisse de la capacité à faire face aux dépenses courantes et à l’endettement est évidente  ; à elle seule, la dette du Venezuela envers la Chine dépasse les 56 milliards de dollars. Des institutions financières alertent sur le danger d’hyperinflation et même de défaut de paiement pour 2016 (selon la Bank of America).

La situation n’est pas moins grave sur le plan social. Le Venezuela se retrouve au rang des pays aux niveaux les plus élevés d’insécurité et de violence criminelle 5. Le crime organisé a atteint une telle envergure qu’il tient la population soumise. Les agissements des “Collectifs bolivariens” 6 armés et protégés par le régime chaviste et des méga-bandes criminelles dépassent souvent en puissance de feu et d’organisation les forces de répression de l’État. Un réseau de corruption généralisé et bandes criminelles implique les différentes polices et des fonctionnaires de l’État  ; le gouvernement a favorisé l’action de ces “Collectifs” et des populations lumpenisées dans la répression des manifestations, créant ainsi un monstre à mille têtes qui exige maintenant sa part de pouvoir, en échappant au contrôle de l’État.

C’est la population qui subit les conséquences de l’exacerbation de la crise économico-sociale, une population qui doit faire de longues files d’attente pendant des heures pour acquérir quelques aliments, moment où elle exprime son indignation et sa rage contre les déclarations du gouvernement qu’elle considère non seulement comme mensongères, mais aussi comme une sinistre plaisanterie vis-à-vis de la précarisation de ses conditions de vie. L’usure politique de Nicolas Maduro et du parti officiel (PSUV), selon différentes enquêtes, accumulent plus de 80 % de rejet. Et dans ce contexte, ils sont contraints d’affronter simultanément plusieurs situations  : l’accroissement des contestations sociales, avec des saccages de commerces dans certaines villes et la perspective d’une révolte sociale, la défaite électorale et politique lors des élections parlementaires de décembre prochain, les plaçant face à la possibilité de perdre la majorité à l’Assemblée nationale, ce qui troublerait de façon significative le futur de la faction chaviste au sein de la classe dominante. Face à une telle situation, cette faction utilise tous les artifices et les subterfuges juridiques pour barrer la route aux factions bourgeoises d’opposition, lesquelles accusent le chavisme d’avoir créé un choc avec la fermeture de la frontière pour ainsi suspendre ou retarder les élections parlementaires.

D’un autre côté, le chavisme se retrouve dans une situation où il est de plus en plus affaibli dans le domaine géopolitique parce qu’il a de moins en moins de moyens pour financer son clientélisme populiste basé sur les ressources pétrolières, en plus de la dégradation de son image en tant qu’État capable de garantir un minimum de stabilité gouvernementale et sociale, de ne pas apparaître comme un facteur d’affrontement et d’instabilité dans la région. Les déclarations de l’ONU, de l’Union européenne, de parlements nationaux (celui de l’Espagne récemment), d’anciens présidents et politiciens au niveau régional et mondial sur des sujets tels que les prisonniers politiques, l’exposent de plus en plus aux attaques de ses opposants, minant ses alliances passées et affaiblissant la stratégie impérialiste de la bourgeoisie vénézuélienne dans la région. Un exemple de ceci a été l’échec de ses revendications territoriales face au Guyana, un pays bien plus petit géographiquement et plus faible économiquement.

Dans un tel contexte, Maduro et son gouvernement essayent de renforcer la crédibilité de l’argument d’une “attaque extérieure contre l’économie vénézuélienne”, en tentant de convaincre la population (les secteurs qui ont soutenu le chavisme surtout) de ceci  : ce ne sont pas les politiques économiques du gouvernement (contrôle du change, des prix, affrontement avec le capital privé) qui ont exacerbé la crise, mais “l’obsession de la droite internationale” d’en finir avec le projet du “socialisme du xxi siècle”. Il décide alors de mettre en place une campagne d’affrontement avec la Colombie, pour essayer de polariser la population, en utilisant le nationalisme et la “défense de la patrie”. La gravité de la crise socio-économique et la détermination de la bourgeoisie chaviste à se maintenir au pouvoir l’amènent à cette fuite en avant.

De son côté, le gouvernement colombien justifie ses revendications grâce aux violations des “droits de l’homme” vis-à-vis des réfugiés par les exactions du gouvernement vénézuélien. Mais le fait réel, c’est que tout cela le met dans une situation qui dessert les factions de la bourgeoisie colombienne qui soutiennent le président Santos pour les élections régionales et locales d’octobre 2015, parce que ce sont les forces qui soutiennent l’ancien président Álvaro Uribe qui tirent le plus grand profit politique du conflit frontalier faisant apparaître Santos comme un faible et un incapable pour affronter la “dictature vénézuélienne”.

Le conflit colombo-vénézuélien illustre de la plus claire des façons le fait que pour la bourgeoisie, quelles que soient ses tendances, de gauche ou de droite, d’un pays ou de l’autre, ce qui compte ce sont ses répugnants intérêts de classe, se moquant complètement des souffrances de la population. Nous, les travailleurs, devons rejeter cette exacerbation nationaliste et patriotarde promue par les bourgeoisies vénézuélienne et colombienne. Le prolétariat, dans des moments forts de son histoire, a su se dresser face au chaos nationaliste en défendant l’internationalisme prolétarien qui se fonde sur la nature internationale d’une classe qui a entre ses mains la possibilité de détruire le régime capitaliste et construire une nouvelle société communiste. L’établissement de l’État-Nation fut l’instrument principal de la bourgeoisie mondiale pour développer le capitalisme et instaurer l’exploitation des salariés  : c’est la plate-forme sur laquelle la bourgeoisie structure la concurrence et règle ses conflits. Aussi, tel que les marxistes l’ont toujours défendu, le prolétariat n’a pas de patrie à défendre  ; la lutte pour son émancipation se fait en dehors des intérêts de classe de la bourgeoisie. Par ailleurs, les relations capitalistes de production (celles que défendent Santos et Maduro) ne sont en rien humaines  ; bien au contraire elles sont devenues antihumaines, niant aux êtres humains toute possibilité future de bien-être, condamnant les travailleurs et le reste des couches sociales à vivre dans une société dans laquelle ils ne possèdent pas le moindre contrôle de leur vie, soumis à l’exploitation, aux guerres, à une vie de misère.

La “défense des Droits de l’homme” n’est qu’une fumisterie utilisée par toutes les bourgeoisies, pour semer l’illusion selon laquelle l’État serait une entité capable de protéger l’intégrité et le bien-être des personnes. Nous, les travailleurs et leurs minorités révolutionnaires, devons développer une profonde réflexion et mener un débat politique qui permette de transformer l’indignation que nous ressentons et exprimons un jour après l’autre contre le chaos, la précarité et la barbarie auxquels le système nous soumet, en un renforcement de notre conscience de classe, en une plus grande compréhension de la nécessité de développer une lutte unie et internationale, qui permette d’intégrer les autres couches non-exploiteuses dans la tâche historique de démolir les relations capitalistes de production, seule possibilité pour construire une société véritablement humaine.

Internacionalismo, organe de presse du CCI au Venezuela - http://fr.internationalism.org

1 Voir nos thèses sur “La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme”, Revue Internationale no 62 (1990).

2 Qui s’étend sur plus de 2200 km.

3 Cet état d’exception a été décrété pour 60 jours renouvelables.

4 Ces produits sont revendus en Colombie de 10 à 100 fois plus chers. Selon les dires d’un journaliste pro-chaviste français en poste à Caracas dont les propos sont relayés sur le Web par une association tiers-mondiste (www.lecalj.com), “un jerrican d’essence qui coûte un bolivar au Venezuela est revendu 15 000 bolivars et même 60 000 depuis la fermeture de la frontière et un litre de lait qui coûte 200 bolivars est revendu 14 000 bolivars en Colombie.”

5 Sur ce sujet, on peut lire notre article en espagnol “Incremento de la violencia delictiva en Venezuela – Expresión del drama de la descomposición del capitalismo”.

6 Milices composées de civils fortement armés, utilisées pour maintenir l’ordre du régime et assurer la répression.


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