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Contre la mythologie justifiant la libération nationale

posté le 27/07/16 par Le Communiste Mots-clés  réflexion / analyse 

Contre la mythologie justifiant la libération nationale
(1ère partie)

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L’ensemble des idées fausses sur le développement du capitalisme lui-même et sur les formes de luttes nécessaires pour le combattre dominent encore non seulement la majorité des ouvriers, mais aussi de nombreux groupes de militants révolutionnaires qui s’organisent à différents niveaux pour combattre cette société. Le combat contre toute cette idéologie —idéologie qui est une force matérielle qui maintient la division du prolétariat mondial et dont on ne pourra se libérer intégralement que par sa destruction qui ne se réalisera elle-même qu’au travers de la destruction despotique de la base matérielle qui la produit : la société capitaliste— est une tâche essentielle et permanente des communistes.

A chaque fois que le capitalisme montre ouvertement sa vraie nature : la soumission de toute l’humanité à la misère, la barbarie et la tyrannie, l’ensemble des mythes qui prédominent dans la société ont comme commun dénominateur l’attribution des causes de ces calamités à des phénomènes extérieurs au développement propre du capitalisme, à l’existence de "dirigeants archaïques", de "fautes de développement", de "restes de féodalisme", etc.

Même des groupes ouvriers qui se sont retrouvés à l’avant-garde de luttes, limitées régionalement, restent partiellement prisonniers de cette mythologie ; ce qui les conduit en permanence à des pratiques contradictoires qui ne contribuent pas du tout à la victoire de la révolution communiste, au contraire. L’emprise de cette idéologie s’exprime au pire, dans la vision communément admise de la misère extrême des dits "pays pauvres", "dépendants", "retardés", de la "paysannerie", etc., termes qui cachent, maquillent, distordent la réalité. Cependant, cette vision (qui est celle de l’ensemble du capital) amène à justifier des "tactiques spécifiques" pour telle ou telle région, pour la "paysannerie", pour les "pays pauvres", etc. telles les "réformes agraires", les "tâches démocratiques", les "révolutions par étapes" ou "permanentes", les "assemblées constituantes", etc. qui ont toujours divisé le prolétariat et l’ont même conduit au massacre. Et cette vision est au moins aussi enracinée chez les révolutionnaires qui habitent les puissances impérialistes que chez les révolutionnaires qui seraient directement impliqués par cette politique. Ainsi, le mythe d’une Amérique Latine (d’une Afrique ou d’une Asie) moitié capitaliste, moitié autre chose, est plus fort aux Etats-Unis et en Europe qu’en Amérique Latine même (en Afrique ou en Asie) où la confrontation directe à la réalité de tous les jours se charge de le combattre. Mais en contre-partie, en Amérique Latine, Afrique ou Asie, le mythe selon lequel l’ouvrier européen et nord-américain est embourgeoisé est plus fort qu’aux Etats-Unis ou en Europe où la confrontation directe à la réalité quotidienne se charge aussi de le démentir. Ces mythes se complètent pour entraver la solidarité internationale de classe : dans les dénommés "pays développés", on ne comprend pas le caractère directement communiste de la lutte du prolétariat de ces continents "peuplés presqu’exclusivement de paysans" (!) ; dans les dénommés "pays sous-développés" (!), on ne comprend pas non plus le caractère révolutionnaire de la lutte prolétarienne en Europe, aux Etats-Unis,... "menée par des ouvriers réformistes" (!).

Pour combattre les mythes plus enracinés et contribuer à la tâche indispensable d’affirmation du programme communiste, nous avons lancé cette série de textes, chacun d’eux présentant dans la forme la plus exacte possible quelques-uns de ces mythes/thèses, les critiquant de façon brève et concluant avec une contre-thèse. Systématiser de cette façon l’idéologie de libération nationale, pour la critiquer, ce n’est pas facile et dans beaucoup de cas, il y aura des réitérations d’une thèse à l’autre, l’une pouvant inclure partiellement ou totalement l’autre. Cela est dû à ce qu’elles sont étroitement liées et que toutes peuvent se résumer à une incompréhension du développement du capitalisme et de son antagonisme : le communisme ; à ce que chaque thèse dominante est une condensation de mythes. Le lecteur qui a suivi attentivement nos publications comprendra que cette série de textes donne suite en la concrétisant, au texte "La libération nationale : couverture de la guerre impérialiste" publié dans Comunismo n°2 et 3 et que nous publierons prochainement en français.

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THÈSE 1 : La misère est due à une pénétration insuffisante du capitalisme (ou de la civilisation). Et encore, cet énoncé ne rapporte que l’aspect du mythe qui est ouvertement proclamé. Le complément nécessaire, moins ouvertement proclamé, c’est l’identification entre capitalisme et richesse, capitalisme et développement des forces productives.

Cette thèse réactionnaire est une clé de toute l’idéologie de libération nationale parce que d’elle va découler, de façon plus ou moins consciente, presque toutes les autres. Elle imagine la société bourgeoise sans les calamités inhérentes et nécessaires à la société bourgeoise, elle imagine le capitalisme sans la "désagréable" existence du prolétariat, du prolétariat en chômage, du prolétariat en haillons (lumpenprolétariat), de la "prole" (1) décimée par la malnutrition.

Non seulement le capitalisme ne peut exister sans exproprier de façon permanente une masse toujours plus grande de producteurs, ne leur laissant d’autre moyen d’existence que la vente de leur force de travail, mais, de surcroît, son propre développement engendre fatalement le développement de la production mondiale dont une partie sans cesse croissance ne peut se procurer ses moyens de subsistance. Les destructions massives de la population excédentaire, qu’elles soient permanentes (famines, maladies... curables,...) ou cycliques (guerres), sont le produit le plus pur du mode de production capitaliste qui, depuis son origine et de manière toujours accrue, requiert, pour son développement, la destruction des forces productives tant existantes que potentielles de l’humanité.

Toutes les sociétés d’exploitation ont connu la misère et l’extermination, mais aucune ne les a connues avec autant de férocité que la société bourgeoise. Sous le capitalisme, "réapparaît la barbarie, mais engendrée dans le propre sein de la civilisation inhérente à elle ; de là, la barbarie lépreuse, la barbarie comme lèpre de la civilisation" (Marx). Quand la bourgeoisie présente le capitalisme comme synonyme de richesse et de développement, les communistes dénoncent ce mythe face à la classe, dévoilant ce que le capitalisme a toujours été et qu’il est à chaque fois de façon plus brutale : richesse pour les uns, misère pour le reste, développement et destruction des forces productives.

Nos ennemis présenteront toujours comme modèle exclusif de la société que nous vivons, telle ou telle réalisation de l’industrie européenne, telle ou telle "grandiose réussite" américaine, telle ou telle réalisation de l’industrie soviétique ou chinoise (dans la mesure où c’est l’apologie de la société capitaliste qui est faite, il est indifférent de parler de "socialisme", d’"Etat ouvrier",... ou de pays "occidentaux") et ils cacheront que le capitalisme, c’est aussi l’accroissement de la misère relative et même, dans de nombreux cas, absolue des ouvriers du monde entier.

Du point de vue communiste, la société "du bien être" des exploiteurs du monde entier est tout autant un modèle du capitalisme que l’extermination à laquelle sont soumis les prolétaires du monde entier. L’industrie de guerre et l’industrie spatiale de l’URSS et des USA sont tout autant des exemples des modèles du capitalisme que les cadavres des enfants du Cambodge, d’Inde ou de Bolivie morts de sous-alimentation pour le capital. La mort de malnutrition et la faim chronique sont les frères jumeaux de l’abondance et du gaspillage ; leur géniteur commun est le capitalisme.

CONTRE-THÈSE 1 : Le capitalisme est en même temps richesse et misère, accroissement et destruction des forces productives, civilisation et barbarie, barbarie de la civilisation.

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THÈSE 2 : Il existe des pays pauvres, retardés ou sous-développés et des pays riches, avancés ou développés. Les raisons qui les ont conduits à ces situations sont nécessairement distinctes et donc, les changements ("révolutionnaires" ou non, selon les variantes) à inciter sont distincts.

La terminologie est déjà intégralement mystificatrice et tend à occulter l’histoire de la société, le présent du capitalisme et avec lui les perspectives de destruction de la société bourgeoise. En niant la clé du capitalisme, unification de l’histoire de l’humanité, les lois uniques qui expliquent le développement contradictoire du capitalisme mondial, on estompe les perspectives de destruction du développement capitaliste et de ses antagonismes sans cesse croissants, l’on divise le prolétariat mondial, on le fait courir comme un âne derrière des carottes inaccessibles qui ont pour noms : "progrès", "richesse", "développement", "capitalisme pur",... Pays "pauvres" et pays "riches", "retardés" et "avancés", "développés" et "sous-développés", ces expressions sont non seulement la plus grossière négation moraliste, religieuse, raciste de la réalité de la richesse et de la pauvreté existant dans tous les pays comme expressions des classes sociales antagoniques, mais en plus, elles occultent brutalement l’histoire de la pauvreté et de la richesse dans une région comme produit social, pour la présenter comme un phénomène naturel, racial, climatique, divin ou encore "politique" (2), soluble par le développement du capitalisme qui amènerait la richesse, le progrès, la civilisation. Pour démasquer ce mensonge, il suffit de rappeler quelques vérités historiques :

* Dans les zones où actuellement le prolétariat meurt de faim, ses ancêtres vivaient dans des sociétés d’abondance.

* C’est la brutale accumulation "primitive" du capital qui a détruit toutes les formes de subsistance qui ne servaient pas directement à la production/reproduction de la force de travail qui valorise le capital, ou à conserver et reproduire la force de travail que le capital maintient comme armée industrielle de réserve.

* Beaucoup de zones géographiques où, aujourd’hui, la misère absolue du prolétariat atteint des niveaux des plus spectaculaires, constituèrent, dans le passé (sous les modes de production tribale, esclavagiste ou féodal), des zones de concentration de la tellement renommée richesse.

* Lorsque l’on se réfère à la richesse "naturelle" (des mines, des terres arables,...), certaines régions, qui sont actuellement les plus pauvres du monde, ont constitué, des siècles antérieurs durant, des pôles d’accumulation capitaliste et leur pauvreté actuelle s’explique par leur richesse passée.

* Depuis que le capital unifia l’humanité en un système social unique (au XVIème siècle), aucune "richesse", aucun "progrès", aucun "développement" dans une région, pas plus qu’un "retard", une "pauvreté", un "sous-développement", ne peut s’expliquer par des raisons autres que les lois du capital (la recherche de la plus grande rentabilité).

* Cette "pauvreté", ce "retard", ce "sous-développement" actuels sont abattus avec incomparablement plus de brutalité sous le capitalisme que toutes les misères ont pu l’être auparavant et cette brutalité se renforce avec le développement du capitalisme.

* Dans beaucoup de zones, la "richesse" a précédé la "pauvreté", le "développement" manufacturier, bancaire, culturel, commercial a précédé le "sous-développement", le "progrès" a précédé le "retard", autant de réalités tout à fait niées par toute cette phraséologie sur l’évolution linéaire d’une région en accord avec le "modèle de la civilisation".

* Le capitalisme cherche à obtenir la plus grande valorisation possible, c’est-à-dire le profit le plus élevé. Comme c’est de cette valorisation que dépend le développement et comme par définition la valorisation la plus rapide ne peut s’obtenir partout à la fois, elle sera nécessairement plus élevée dans certains lieux, les capitaux tendent à s’y concentrer et donc à déserter les lieux où leur valorisation est moindre. Cela explique que le développement du capitalisme tend à être polaire. En améliorant les conditions infrastructurelles —transports, etc.—, la technologie producctive et en concentrant des masses humaines à la recherche de travail, le capital abaisse les coûts de production en une zone par rapport à d’autres zones (en langage bourgeois : le coût du facteur travail, les économies externes, etc.)... et le capital attire le capital. Le développement se fait de façon toujours plus polarisée, contradictoire, comme nous pouvons le constater dans le monde entier, du Brésil à l’URSS, de la Chine aux USA.

* Pour cela, aucune administration d’Etat bourgeois, d’un pays "développé" ou d’un pays "sous-développé", d’une "économie libérale" ou d’une "économie planifiée" (3), n’a pu et ne pourra (quelle que soit sa bonne volonté philanthropique) éviter cette polarisation croissante du développement du capital, ni dans le monde ni dans des régions particulières.

* La décadence d’un pôle, son "sous-développement", peut être ralenti par des solutions politiques, mais jamais évité ; nécessairement le capital rencontrera des possibilités d’investissements alternatifs plus intéressantes dans d’autres pôles d’accumulation. Cela peut provenir soit de l’épuisement des conditions "naturelles" (4) qui ont favorisé son surgissement (ce pôle cessant d’être rentable relativement à des travaux ou à des recherches "artificielles"), soit à une crise de suraccumulation particulièrement concentrée en une région, un pôle, qui pousse des masses de capitaux à chercher une sortie (c’est-à-dire une autre possibilité d’investissements rentables en rapport avec la rentabilité de l’ensemble des investissements) en un autre point. Dans tous les cas, le pôle se "sous-développe" parce que le capital rencontre des possibilités supérieures d’inversion et de concentration dans d’autres pôles.

* Le développement polaire n’autorise en aucun cas une description en terme de pays qui, non seulement, occulterait l’antagonisme de classes qui fait que dans beaucoup de cas, au plus est riche un pays, au plus est misérable son prolétariat, mais de plus, occulterait que le développement du capital est "développement du développement et développement du sous-développement" et ce, simultanément (5), et qui, enfin, suggérerait que le présent des pays dits sous-développés est similaire au passé des pays développés, ce qui est intégralement faux !

* Il est utopique et réactionnaire de croire qu’il puisse y avoir, sous le capital, un "développement" sans "sous-développement", un accroissement des forces productives sans destruction, que les pays "sous-développés" ont un chemin, des étapes à parcourir pour atteindre le modèle des pays "développés".

* Le capitalisme est progressif par rapport à tous les modes de production qui l’ont précédé, non pour avoir "développé" tous les pays (utopie réactionnaire), mais pour avoir établi une base productive qui permettra le développement de l’humanité, non pour avoir développé les aberrations, contradictions propres à sa forme de développement, non pour avoir contenu un modèle de développement des forces productives en extension sur toute la planète (de la ville à la campagne, d’un pays "avancé" aux pays "retardés"), mais justement, sur base d’un développement toujours plus antagonique, parce qu’il a unifié l’histoire de la planète et la pousse lui-même à sa propre destruction, dissolution, parce qu’il a fortifié et concentré dans de monstrueux pôles de concentration urbaine et industrielle une partie sans cesse croissante de la force sociale —le prolétariat— qui immanquablement balayera le capitalisme et tous ses antagonismes.

* C’est la contradiction exacerbée du capitalisme entre forces productives et rapports de production qui, non seulement, fera sauter en morceaux les rapports de production et de distribution capitalistes (et toutes ses superstructures), mais aussi, toutes les contradictions inhérentes aux forces productives actuelles (qui ont surgi et se sont développées avec l’empreinte des rapports capitalistes de production et qui ne sont donc pas neutres). Ainsi, par exemple, ce qu’il y a de plus progressiste dans le développement capitaliste (parce que préparant sa destruction), la concentration de millions de prolétaires dans des villes où l’on ne peut plus voir le ciel, ne persistera dans la première phase du communisme que comme réminiscence réactionnaire à combattre.

* C’est seulement la dictature révolutionnaire mondiale des producteurs (principale force productive) qui pourra abolir les rapports de production capitalistes avec toutes ses conséquences et parmi elles le développement irrationnel, atrophié des forces productives qui a comme corollaire l’unité indissociable entre gaspillage et pénurie, entre surproduction et sous-consommation.

CONTRE-THÈSE 2 : Toutes les contradictions s’expliquent en tant que contradictions au sein d’une même unité : le développement contradictoire du capital, des lois qui régissent sa valorisation. Il n’existe pas une ligne évolutive de développement par pays —étapes par lesquelles chaque pays devrait passer—, mais une ligne de développement du capital qui est la fortification et la concentration du prolétariat dans certains pôles et l’exacerbation de tous les antagonismes de ce développement. Face à cela, il n’y a pas différentes solutions, il n’y a que la révolution prolétarienne à mener dans le monde entier.

(à suivre)


Contre la mythologie justifiant la libération nationale
(2ème partie) : http://gci-icg.org/french/lc16_liberation_nationale2.htm

Contre la mythologie justifiant la libération nationale
(3ème partie) pdf : http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/gci/lecommuniste/lecommuniste20.pdf


Notes :

1. Proletariat signifie originairement celui qui n’a que ses enfants, sa progéniture.

2. Appartiennent sans doute à ce type d’explication celles qui prétendent que le "sous-développement" est dû à la volonté ou à l’incompétence des administrations des Etats "sous-développés" ou à la mainmise des Etats "développés".

3. Toute la terminologie est mystificatrice y compris toutes ces catégories. De fait, la "planification" du capitalisme par les technocrates est un mythe en soi. L’anarchie capitaliste est implanifiable. Que ce soit en Russie ou dans n’importe quel autre pays, ce ne sont pas les planificateurs qui planifient l’économie, mais l’économie, le capital qui "planifie" l’activité et des gouvernements et des planificateurs ; plus encore, c’est la crise du capital qui les oblige à rectifier leurs perspectives et tâtonnements.

4. En réalité, il n’y a rien qui soit strictement naturel, la nécessité même de l’or et du pétrole est strictement déterminée par un type spécifique de développement social à une étape historique précise.

5. Pour désigner ce phénomène par lequel existe un développement unique du capitalisme, celui qui engendre des pôles d’expansion à l’intérieur d’un corps en putréfaction croissante, nous avons utilisé des expressions telles que "développement du sous-développement". Si bien des expressions similaires ont été utilisées par le matérialisme bourgeois, de la "grande patrie" ("Amérique Latine une nation", "Etats-unis socialistes d’Asie", d’Afrique ou d’Amérique latine), cette expression a le mérite de mettre en évidence qu’il s’agit d’un processus contradictoire. Evidemment, elle exprime seulement la moitié de la réalité, mais nous n’en avons pas trouvé de meilleure,... encore un exemple de la domination idéologique de la bourgeoisie : tout le langage est idéologique.

SOURCE : LE COMMUNISTE N°15 - Novembre 1982


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