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Coup de gueule d’un travailleur social en situation de pandémie

posté le 21/03/20 par ankermag Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  logement / squats / urbanisme  sans-papiers 

Cet article est une contribution externe à la rédaction d’Anker-Mag, elle nous a été transmise par un travailleur social devant faire face à la crise du COVID-19 depuis le travail de première ligne.

Aujourd’hui, je suis un travailleur social en rogne.

Pour contextualiser, j’exerce dans le public de la grande précarité et encore une fois, les personnes sans-abris (qu’elles soient toxicomanes, sans-papiers, handicapées, âgées, avec des pathologies psy ou non) seront les premières touchées par la crise engendrée par le COVID 19.

Évidemment, les années de désintérêt des pouvoirs décisionnaires et la saignée des services qui tentent tant bien que mal de les soutenir n’auront pas aidé (et c’est un euphémisme).

La crise sociale et sanitaire engendrée par le 7ème coronavirus révèle toute l’ignominie et toutes les contradictions du système capitaliste ainsi que son incompatibilité avec un travail social qui veut placer l’humain au centre de ses préoccupations.

Actuellement, où en est-on ?

Depuis l’arrivée de l’épidémie en Belgique, une bonne partie des services entourant la grande précarité sont fermés ou fonctionnent à régime réduit. Par exemple, en l’état, presque tous les abris de jours et autres points de chutes en journée sont fermés. Pour assurer le minimum vital, certains font par exemple de la distribution de nourriture avec un système de “drive in”. Hélas, c’est clairement insuffisant au vu de la demande existante. De plus, ça ne règle pas la question de l’endroit où devrait se trouver les sans-abris en journée.

Pour vous donner une idée de l’ampleur du problème, une piqûre de rappel s’impose. voici le nombre de sdf dans deux grandes villes de Belgique : 4175 sdf sur Bruxelles (basé sur un comptage de la strada) et 540 sur Liège (pour ce dernier on ne compte que les bénéficiaires du revenu d’intégration du CPAS, ce qui fait que le chiffre est clairement en deçà de la réalité).

Pour les autres villes, il est peu aisé de trouver des chiffres sur internet car beaucoup de communes sont assez réticentes à l’idée de faire un recensement clair et précis. Cependant, partout, les services constatent une augmentation des demandes (selon le réseau Wallon de lutte contre la pauvreté, le nombre de sdf aurait quadruplé en 10 ans !).

Maintenant, concernant le logement, on pourrait penser qu’en période de quarantaine les décideurs prendraient leurs responsabilités pour trouver une solution digne aux personnes à la rue mais nous allons visiblement au devant de lourdes déceptions (pour changer).

Dans beaucoup d’endroits, les abris de nuits et maisons d’accueils ont fermées ou tournent avec le minimum d’usagers possibles (en refusant par exemple les nouvelles candidatures et les nouvelles entrées).

Pour beaucoup de services encore ouverts, il y a encore pas mal de zones d’ombres concernant les solutions qui seront proposées mais l’on peut supposer, comme le montre encore la « gestion » policière du sans-abrisme à Bruxelles, que rien de véritablement sérieux, et encore moins adapté à la question sanitaire, ne sera fait, ni pour les travailleurs et les travailleuses du secteur, ni pour les usagers des services.

Pourtant, des solutions existent déjà.

En effet, afin d’éviter que les personnes restent à la rue, les logements vides devraient être
réquisitionnés et mis à disposition (au moins le temps de la quarantaine). Ensuite, une fois les personnes relogées, la tâche des travailleurs/travailleuses pourrait, par exemple, être de s’occuper, de préparer et d’acheminer à domicile des colis alimentaires pour ces personnes (entre autre choses possible).

D’ailleurs, la réquisition des logements vides et abandonnés est une revendication du front commun des sdf depuis des années !

Hélas, la loi Onkelinx, qui permet cette réquisition, est une loi morte-née. Voilà 26 ans qu’elle existe et elle n’a été utilisée qu’une seule fois par des autorités communales (sans doute par peur de vouloir trop fâcher)…

Maintenant, concernant mes collègues du secteur : Je ne peux que comprendre leur désir de rester chez eux. En effet, le public avec lequel nous travaillons est souvent à la fois fragile et à risque (beaucoup sont immuno-déprimés et vu qu’ielles sont dans l’impossibilité de respecter quarantaine, ielles sont particulièrement exposé.es).

Pour moi, les travailleurs et travailleuses sociales seraient aussi plus en sécurité si une opportunité de logement étaient donnée au public de nos services. Nous devons faire notre cette revendication de réquisition des logements vides.

D’ailleurs, cette dernière ne devrait pas en être une uniquement en période de quarantaine. Le droit au logement est un droit fondamental et une société qui ne fait pas tout pour le garantir est une société malade.

Voilà, je pense avoir assez résumé les raisons de mon coup de gueule. Mais maintenant, que faire ?

Cela fait des années qu’une politique d’austérité néo-libérale fait des ravages tant au niveau social (ce qui génère de plus en plus d’exclus qui se retrouvent à la rue) qu’au niveau de notre secteur (qui se retrouve à devoir faire de plus en plus avec de moins en moins de moyens). Ce-faisant, même si nous devons continuer à réclamer au politique de prendre des mesures qui permettront de diminuer cette exclusion et d’augmenter les moyens du secteur, ce n’est guère suffisant (et je vous avoue que je n’y crois plus trop). En outre, l’urgence de la situation actuelle nous oblige à agir maintenant.

Du coup, nous devons bon gré mal gré prendre les devants. Cela passe entre autre par le fait de sensibiliser tout le monde à cette question mais surtout de pousser les initiatives citoyennes à se multiplier afin que ces personnes aient au moins de quoi se nourrir et se loger durant cette crise sanitaire. Le confinement entraîne aussi le fait qu’il y a moins de personnes dans les rues. Souvent déjà délaissé, les sans-abris se retrouvent de plus en plus précarisés par ces absences de personnes qui représentent une source de revenu non-négligeable.

De plus, pour nous en tant que travailleurs et travailleuses du secteur, c’est le moment de faire montre de solidarité et de prouver aux usagers de nos services qu’on ne les oublie pas une fois passé le pas de la porte de notre domicile.

Il ne s’agit évidemment pas ici de critiquer mes collègues qui font ce qu’ils/elles peuvent dans un contexte extrêmement compliqué. Seulement, il s’agit surtout de prouver par le fait que notre solidarité va aux personnes de la rue et cela malgré des politiques désastreuses qui nous mettent fréquemment en porte à faux vis-à-vis de notre public.

Pour ma part, malgré des différents d’analyse sur le pourquoi du comment de la situation, je constate bien souvent un dégoût croissant des travailleurs et travailleuses du social pour le système et les politiques qu’ielles doivent appliquer. C’est pourquoi il est à mon sens nécessaire de commencer à s’organiser concrètement autour de ces questions et de montrer notre solidarité indéfectible à l’égard de notre public et cela afin de lui prouver que nous sommes avec eux contre ce système qui broie des vies et n’a de cesse d’exclure les plus précaires.

Je sais que les restrictions et la quarantaine rendent la tâche difficile mais beaucoup d’associations et d’initiatives citoyennes tentent de continuer leur travail d’aide aux personnes de la rue, n’hésitez pas à vous renseigner auprès d’elles et tentez d’aider comme vous le pouvez (même si ça peut sembler peu, je pense que c’est important). N’hésitez pas non plus à vous organiser entre vous pour aider (à ce niveau, l’imagination est au pouvoir mais comme dit précédemment, il est pertinent de demander l’avis des associations actives dans le secteur).

Une fois la quarantaine passée et les choses calmées, il ne faudra pas oublier ce qui s’est passé en amont de l’épidémie et pendant. La mobilisation des professionnel.les du secteur et usagers des services sera nécessaire afin que ce type de situation, en période d’épidémie ou non, ne se reproduisent plus.

Cela est d’autant plus important qu’en temps “normal”, l’aide aux plus démunis est surtout un cache-misère qui sert de caution morale au système. Même si notre travail reste vital et qu’énormément de travailleurs et travailleuses y mettent une énergie de dingue, nous savons pertinemment que la marge de manœuvre qui nous est laissé par nos institutions est plus qu’insuffisante. Cela doit changer. Dès à présent, et surtout après le confinement, nous forcerons ce changement.

Le droit au logement est fondamental, c’est une question de justice sociale.

Signé un travailleur social qui en a ras-le-cul.

Sources :
comptage des sans-abris et mal-logés de bruxelles :
https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/bruxelles-le-nombre-de-sans-abri-a-quadruple-ces-dixdernieres-
annees-5cd2d152d8ad586a5a06d50e
Comptage des sans-abris de Liège :
https://www.rtbf.be/info/regions/liege/detail_pourquoi-philippe-sdf-a-liege-dort-en-rue-quand-ilgele ?
id=10414257
Article sur la loi Onkelinx :
https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-loi-onkelinx-sur-la-requisition-d-immeubles-enterreedevant-un-couvent-bruxellois?id=10113005
http://frontsdf.be/pages/048-videos-enterrement-de-la-loi-onkelinx-fr.php

Concernant les abus policiers à l’égard des sans-abris de bruxelles depuis le début du confinement : voir la page FB du collectif 8 mars Bruxelles. d

Pistes de réflexions pour aller plus loin :
Suivre la page FB de la “Commission de Mobilisation du Travail Social Ile-de-France.”
Suivre la page FB du “Réseau Wallon de lutte contre la Pauvreté”.
Site du “Front commun des sdf” : http://frontsdf.be/index.php


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