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Critique de l’anti-impérialisme et critique de l’antisionisme

posté le 06/05/16 par Camille Boudjak Mots-clés  histoire / archive 

[Ce texte a servi de topo d’introduction à une discussion sur la critique de l’anti-impérialisme, lors de la rencontre d’été ICO / UPC, les 2 et 3 août 2014. Il a été suivi d’une riche discussion. Il constituait la première partie d’une discussion dont la seconde partie portait sur l’expérience du conflit en ex-Yougoslavie.]

Notre courant, le communisme-ouvrier, est né, entre autre, de la critique radicale du nationalisme de gauche et de cette forme particulière qu’est la gauche anti-impérialiste. Par gauche anti-impérialiste, nous appelons l’ensemble de cette gauche qui, au nom de la « libération nationale », de l’anti-impérialisme (qui est le plus souvent limité à un anti-américanisme), en arrive à gommer les antagonismes de classes. En gros, la vision du monde de la gauche anti-impérialiste est de voir comme antagonisme principal non pas le prolétariat et la bourgeoisie, mais les « nations dominées » et l’impérialisme. Né en Iran puis en Irak, notre courant a eu à lutter très concrètement contre cette gauche anti-impérialiste et ses différentes tendances.

En France, lorsque nous nous sommes organisés comme Initiative Communiste-Ouvrière, cette critique de la gauche anti-impérialiste était au cœur de notre volonté d’exister comme courant séparé. Lors des mobilisations du début des années 2000 contre les interventions en Afghanistan puis en Irak, il nous semblait fondamental de nous opposer à la guerre, aux dirigeants occidentaux, mais aussi aux États dictatoriaux et aux bandes réactionnaires type Talibans en Afghanistan, islamistes et résidus de l’appareil baathiste en Irak. Avant comme après la fondation d’ICO, nous avons critiqué et dénoncé sur bien des aspects cette gauche anti-impérialiste, comme l’idolâtrie par un certain nombre de gauchistes du régime anti-ouvrier de Chavez ou Morales ou le relativisme culturel d’une gauche post-moderne concernant les droits humains universels en général et les droits des femmes en particulier.

Cette position est certainement notre différence la plus visible avec une grande partie de l’extrême-gauche française actuelle, et en particulier lorsqu’il est question d’Israël et de la Palestine. Toute une partie de l’extrême-gauche défend en effet un anti-sionisme hystérique, oublie toute analyse de classe lorsqu’il s’agit de cette région du monde, et se met à la remorque du nationalisme palestinien voir de ses fractions les plus réactionnaires comme le Hamas. Une partie des courants et groupes de l’extrême-gauche va jusqu’à considérer les prolétaires nés à Haïfa et à Tel Aviv comme des « colons ». Si les bombardements meurtriers de l’État d’Israël sur Gaza et les images atroces des conséquences de la guerre peuvent expliquer une certaine émotion, il est à noter que l’hystérie anti-sioniste existait au sein de l’extrême-gauche bien avant la dernière opération de Tsahal.

Ainsi, des organisations d’extrême-gauche comme le NPA ou la CNT participent à la campagne « Boycott, Désinvestissement, Sanctions ». Cette campagne BDS d’ailleurs ne se limite pas à un boycott économique, mais défend même un boycott universitaire et culturel d’Israël, ce qui ne fait que renforcer encore plus des barrières entre des êtres humains dans cette région qui n’en connaît que trop. Un universitaire ou un artiste qui veut lutter contre la guerre et l’occupation en Palestine est-il plus utile en refusant de se rendre en Israël ou en profitant d’une tribune pour dénoncer le militarisme et renforcer le camp de la paix et du progrès ? Dans plusieurs villes, comme à Montpellier lors du festival du film méditerranéen, des actions ont été menées par cette campagne contre la projection de films israéliens. Le fait est que le cinéma israélien, en particulier celui qui s’exporte, porte bien souvent un regard critique sur la société israélienne, dénonce le racisme et interroge les fausses identités nationales, et cela même s’ils n’entrent pas dans la catégorie des « films militants ». « La visite de la fanfare », dont une des trame principale est un amour platonique entre une jolie Israélienne et un officier de la police égyptienne perdu avec sa fanfare dans un petit village d’Israël, est par exemple porteur d’un message de paix et d’amitié entre les peuples, de l’universalité du genre humain, au-delà des nationalismes. Mais finalement, qu’importe le message du film pour les promoteurs de la campagne BDS, ce qui compte c’est uniquement son origine. Ainsi les membres de la campagne BDS de Montpellier répondent à l’organisateur du festival du film méditerranéen qui rappelle la nature critique des films israéliens présentés : « Vous dites présenter des œuvres israéliennes critiques. L’image que voudrait donner Israël comporte une soi-disant liberté d‘expression, y compris critique, ce qui explique des œuvres israéliennes dénonciatrices d’aveuglements et travers israéliens. Ou comment transformer une liberté en arme d’oppression et d’épuration ethnique ! ». Avec une telle logique, manifester à Tel Aviv contre la guerre à Gaza ou au Liban pourrait aussi être « une arme d’oppression » visant à donner l’image d’une liberté de manifestation en Israël ! Et surtout, avec une telle logique toujours, les films de Ken Loach ne viseraient qu’à donner l’image que « la dictature capitaliste contre la classe ouvrière en Grande-Bretagne comporte une soi-disant liberté d’expression », « A l’Ouest rien de nouveau » aurait finalement été un roman au service du militarisme allemand, « La source des femmes » serait en fait un outil pour masquer l’oppression patriarcale, bref tout le cinéma et la littérature critiques, à part peut-être quelques rares productions complètement indépendantes et confidentielles, ne servirait que de justification à l’oppression !

Concernant la musique, la campagne BDS s’en prend particulièrement aux artistes arabes qui se produiraient en Israël, comme la chanteuse marocaine Hindi Zhara. Comble de l’absence totale de réflexion, un blog anglophone se présentant comme « pro-palestinien » est horrifié d’apprendre que la chanteuse Amal Murkus s’est produit à Jérusalem, oubliant que cette artiste arabe, qui a toujours dénoncé l’oppression des palestiniens ainsi que l’oppression des femmes, haïe à la fois par l’extrême-droite sioniste et par l’extrême-droite islamiste, est née en Galilée et a donc la citoyenneté israélienne. Mais peut-être, les nationalistes se rejoignant souvent, faudrait-il, au nom du « refus de la normalisation avec l’Etat d’Israël » et de la campagne « BDS », empêcher toute expression de la culture arabe en Israël, nier le droit à l’expression culturelle de la minorité arabe qui forme 20% de la population, ce qui réjouira certainement l’extrême-droite raciste de ce pays. Et en France, la campagne BDS a dénoncé un concert de musique klezmer du groupe Boogie Balagan, groupe israélien qui chante y compris en arabe, dénonce le « mur de séparation » et rêve d’une ville qui s’appelerait « Palestisrael city ».

Bref, au delà de l’absurde, toute cette campagne pour le « boycott culturel » d’Israël transpire le nationalisme et bien loin d’aider à lutter contre la guerre, l’occupation et le militarisme, si elle était complètement suivie ne ferait que renforcer les barrières entre les peuples et affaiblir ainsi celles et ceux qui, en Israël, luttent pour la paix et la justice. Comme on l’a vu, le « boycott culturel » s’applique finalement uniquement à l’origine d’une œuvre ou d’un artiste, sur une base qui est donc foncièrement nationaliste.

Le PIR, qui contrairement aux organisations de gauche et d’extrême-gauche n’a rien à voir de près ou de loin avec le mouvement ouvrier, a le mérite d’aller au fond de cette logique nationaliste. Ainsi, dans un article intitulé "PCF : Israël ou Palestine, il faut choisir", le PIR dénonce la fête de l’Huma de 2011 en ces termes "Un débat est prévu sur les mouvements d’indignés à travers le monde pour lequel est invité un député israélien. (...) De quel droit, au nom de quel principe obscur le PCF s’emploie il ainsi à briser le boycott politique international de l’Etat d’Israël en invitant un membre de la Knesset ?" Diantre, le PCF en invitant un « membre de la Knesset » serait-il complice du militarisme israélien ? Effectivement, le PCF a osé invité à sa fête... Dov Khenin, député du Parti Communiste d’Israël, qui ne cesse de dénoncer et de lutter contre le militarisme d’Israël, qui a même fait de la prison pour avoir refuser de faire son service militaire dans les territoires palestiniens. Bref, si on peut discuter de la politique du PCI, force est de constater que le « membre de la Knesset » invité a fait beaucoup plus et pris bien plus de risque pour dénoncer le militarisme israélien que les pro-palestiniens français. Pourtant, la logique de la campagne BDS mené jusqu’au bout c’est ça : au nom de "l’isolement" d’Israël, dénoncer l’invitation d’un militant politique, non pas sur la base de son action ou de son programme, mais simplement de sa nationalité. Bref, le nationalisme dans ce qu’il a de pire, et qui est complètement à l’opposé d’une réelle solidarité internationale avec celles et ceux qui, Juifs ou Arabes, Israéliens ou Palestiniens, luttent contre le racisme, le militarisme et la guerre. En mars 2014, au nom de l’anti-sionisme, une dizaine d’étudiants israéliens ont même été insultés et chassés par un groupe d’activistes pro-palestiniens de l’Université de Paris VIII.

Bref ce qui apparaît c’est qu’au nom de l’anti-sionisme, il existe une fraction de l’extrême-gauche qui s’en prend, non pas à l’appareil d’Etat, au militarisme ou à la bourgeoisie d’Israël, mais à l’ensemble de la population israélienne. Plus grave encore, la limite entre anti-sionisme et antisémitisme est régulièrement franchie. Si plusieurs organisations d’extrême-gauche, comme le NPA ou Alternative Libertaire, ont dans leurs récents appels à manifester dénoncé l’antisémitisme, force est de constater qu’elles n’ont pas été capables de faire éjecter des manifestations des éléments qui brandissaient des pancartes ouvertement antisémites.
Sur les réseaux sociaux ou ailleurs, des personnes qui se situent plutôt à l’extrême-gauche, certainement sincèrement anti-racistes, en arrivent, et le pire c’est qu’elles ne s’en rendent peut-être même pas compte, à diffuser des images, des articles ou des slogans qui reprennent les vieux stéréotypes antisémites. Laissez entendre par exemple que ce serait Israël ou le « sionisme » qui dicterait la politique extérieure des Etats-Unis ou la politique intérieure de la France, bref que deux des principales puissances impérialistes seraient soumises à ce petit Etat qu’est Israël, c’est, par exemple, reprendre les vieux clichés antisémites des « Juifs qui contrôlent le monde ». Que pensez-aussi de la comparaison, fréquente, entre l’Etat d’Israël et le nazisme ? Comparer des bombardements, aussi horribles soient-ils, avec l’extermination systématique et industrielle d’un peuple, revient à donner de l’eau au moulin des négationnistes. Le très réactionnaire ministre Erdogan va jusqu’à déclaré que l’État d’Israël serait « pire que Hitler », propos repris également par la clique Dieudonné.

Il convient de remarquer que lorsque l’extrême-gauche avait, à juste titre, organisé en 2004 des rassemblements contre l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire, des mesures avaient été prises pour ne pas être assimilés aux supporteurs du dictateur Gbagbo. Lors des quelques manifestations contre les bombardements de l’OTAN sur la Yougoslavie, tout avait été fait pour éjecter les nationalistes pro-Milosevic. Si demain le FN tente de s’imposer dans une manifestation contre des licenciements, espérons qu’il se fera expulsé manu militari par les militants CGT. Or, dans les récentes manifestations contre la guerre dans la Bande de Gaza, non seulement sont acceptés les soutiens du parti religieux réactionnaire qu’est le Hamas, un parti qui a profité de l’état de guerre pour exécuter froidement une trentaine d’opposants le 26 juillet, mais aucune organisation ne semble avoir les moyens et/ou la volonté d’expulser ceux qui brandissent des pancartes antisémites.

La guerre en Palestine a des répercussions ici-même, dans nos quartiers et nos entreprises. Des réactionnaires de tous bords, de la LDJ aux islamistes en passant par l’extrême-droite franchouillarde, utilisent cette guerre pour attiser des haines racistes et nationalistes. Valls surfe sur l’idéologie sécuritaire et le racisme anti-arabe en interdisant des manifestations, sachant très bien que cela ne peut que conduire à des affrontements et à des débordements. La LDJ, dont l’organisation soeur en Israël, le Kach, est interdite pour racisme et terrorisme, joue la provocation. Islamistes et néo-nazis distillent ouvertement l’antisémitisme. Notons à ce propos, que nous ne pouvons que constater que dans ce contexte un nombre non-négligeable de prolétaires juifs vivant en France ont peur. Fait particulièrement grave, nous avons eu plusieurs témoignages de sympathisants juifs de l’extrême-gauche qui se sentent de plus en plus mal à l’aise dans les milieux militants, qui préfèrent parfois même taire leur origine parce qu’ils craignent d’être pris à partie ou d’être constamment sommés de donner leur position sur Israël.

Nous ne sommes qu’un petit groupe et nous n’avons pas la prétention d’être une internationale qui aurait à déterminer une ligne pour les camarades d’Israël et de Palestine. Par contre et même si notre petit nombre fait que notre rayonnement est forcément limité, nous avons et continuerons de donner notre position. Elle est claire et se base à la fois sur l’internationalisme prolétarien et l’humanisme sans qui le communisme révolutionnaire n’est qu’une théorie désincarnée. Nous nous opposons au militarisme israélien, comme à tous les militarismes. Et nous sommes solidaires des populations d’Israël et de Palestine. Solidaire de la population d’Israël contre le gouvernement Netanyahou, solidaire de la population de Palestine contre le Hamas et les dirigeants de l’Autorité Palestinienne. Et nous pensons important dans le contexte d’utiliser des formules comme « Egalité et paix entre les peuples d’Israël et de Palestine » par exemple, et ce pour une raison simple. Renforcer le mouvement pour la paix en Israël ne peut que se faire qu’en garantissant que nos revendications sont bien la paix, l’égalité, le bien-être tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Certaines fractions du nationalisme arabe, des islamistes et même des gauchistes, ne visent pas cet objectif mais revendiquent, plus ou moins ouvertement, dans le pire des cas de chasser la population juive israélienne.

Et nous avons pu constaté, que notre position, complètement opposés aux appels à la guerre ou à la haine des différents camps en présence, a été appréciée par de nombreuses personnes. Nos informations sur le mouvement pour la paix en Israël ont été très largement reprises, dans un petit milieu d’extrême-gauche, mais aussi, et c’est ce qui nous semble le plus important, par des êtres humains pas forcément très politisés. Mettre l’humanité au cœur de notre politique touche plus que d’illisibles déclarations rédigées pour un petit milieu de convaincu.


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