« De l’emploi du terme « islamophobie »
- « La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire.
« La question, riposta Humpty, est de savoir qui sera le maître … Un point c’est tout ».
(Lewis Caroll).
Selon la presse, Recep Erdogan, Président de la Turquie, représente « un islam modéré ». « Modéré » l’homme qui, en novembre 2014, déclarait « Notre religion a défini un statut pour les femmes, la maternité ». Et d’ajouter : « L’égalité entre les hommes et les femmes est contraire à la nature humaine ». Quant à Rached Ghannouchi, dirigeant tunisien du parti Ennahda, il a appelé, après les attentats du musée du Bardo, à « la rencontre et au travail des islamistes modérés et des laïques modérés ».
D’où vient-il ? Qui l’emploie ? Avec quels contenus, quels objectifs ? « Islamophobie », un mot clé, ouvrant sur des mondes fluides, complexes, variés, qui par la seule force de ce mot, prennent de la solidité, de la consistance.
Ce terme, qui s’est répandu surtout à partir des années 2000, recouvre en effet des significations fort diverses. Il peut servir à dénoncer les discriminations, les préjugés bien réels dont sont victimes, en France, des personnes de religion ou de culture musulmanes. Mais son emploi vise aussi à opérer un brouillage entre la critique de la religion, qui fait partie de la liberté d’expression, et, d’autre part, des manifestations de racisme. C’est à quoi s’emploie une fraction de la gauche et de l’extrême gauche qui prétend dicter aux intellectuel-le-s progressistes d’origine musulmane ce qu’iels doivent dire ou ne pas dire.
La mise en mots peut être une mise à mort, réelle ou symbolique. C’est ce qu’a vécu l’écrivain et journaliste Kamel Daoud. Déjà victime d’une fatwa en Algérie, il a été cloué au pilori en France par un groupe d’historien-ne-s et de sociologues suite à ses articles concernant les agressions contre des femmes à Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre. La méthode fait d’ailleurs penser à celle utilisée (pendant quatre siècles) par le Vatican qui avait élaboré un index des livres interdits : elle consistait à relever des termes considérés comme licencieux ou diaboliques. Simple et efficace : hop, voilà toute l’œuvre de George Sand engloutie dans l’index. Revenons au présent. Kamel Daoud est loin d’être le seul à subir la vindicte de ceux qui prétendent représenter « le vrai islam ». Il y a quelques années, Ayaan Hirsi Ali, députée néerlandaise d’origine somalienne, a été vilipendée par des intellectuels anglo-saxons pour avoir eu l’audace de critiquer le Coran et de ne pas faire corps avec « sa communauté ». C’est souvent à l’exil que sont condamnés toutes celles et tous ceux qui osent exercer leur esprit critique sur leur propre religion, qui ont la force de soulever des chapes de plomb pour tenter d’y voir clair ; « tous des renégats, des hérétiques, des traîtres ! ». Ce ne sont pas les mots qui signifient, mais des groupes qui se servent des mots pour signifier, instaurer des rapports de domination.
N’oublions pas que les premières victimes de l’Islam politique sont des hommes et surtout des femmes de religion ou de culture musulmane.
Ouvrir un champ immense au mot islamophobie contribue à brouiller les repères, à semer la confusion. Bien plus, il renforce le pouvoir des islamistes qui, par leur prétention à suspendre le cours du temps, à figer l’histoire dans un passé largement fantasmé, vise à la pétrification des esprits, à la mise sous tutelle de la liberté d’expression, dans un monde jonché de cadavres. Assez de diktats, d’oukases et de fatwas ! Rappelons-nous ce que scandaient les femmes iraniennes qui manifestaient contre l’obligation du port du voile : « La liberté n’est ni occidentale, ni orientale : elle est universelle ».