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Démocratie cybersurveillée

posté le 21/10/13 par PCInt Mots-clés  répression / contrôle social  réflexion / analyse 

L’affaire Snowden, cet employé des services secrets américains (NSA) qui a révélé l’étendue de l’espionnage informatique auquel se livrent les Etats-Unis, est extrêmement instructive, dans la mesure où elle montre le vrai visage totalitaire de la démocratie bourgeoise du vingt et unième siècle.

Les prétentions des Etats-Unis à être les champions des « droits de l’homme » et de la « liberté » dans le monde et à l’intérieur de leurs frontières sont sans aucun doute passablement écornés depuis des décennies ; cependant des affaires retentissantes comme celle du Watergate où des organes de presse « courageux » et « indépendants » ont fait éclater la vérité sur les manipulations gouvernementales, provoquant la chute du président qui les avait ordonné (1), seraient la démonstration que, en dépit de toutes ses limitations, la « démocratie » serait bien vivante dans le plus puissant pays capitaliste du monde, au point même d’être un exemple pour d’autres pays plus mal lotis : la liberté de l’information, la liberté de la presse, la liberté de communication, etc. y seraient farouchement respectés, y compris contre les plus hautes autorités, à la différence de ce qui se passe ailleurs, mettons en Chine où la censure surveille l’internet et d’où partent des tentatives d’espionnage électronique du monde entier.

Malheureusement pour les chantres de la démocratie américaine et occidentale, les documents emportés par le « lanceur d’alerte » (whistleblower), comme ses partisans appellent Snowden, démontrent qu’en matière de surveillance et d’espionnage électronique, les Etats-Unis sont, là-aussi, une superpuissance sans égale dans le monde. Par exemple, depuis des années les médias des pays occidentaux sont remplis d’accusations sur l’espionnage électronique d’entreprises ou d’administrations d’autres pays, par les Chinois.

Un professeur américain pouvait ainsi écrire en 2012 que les autorités chinoises avaient mis sur pied « probablement le contrôle le plus sophistiqué du cyberespace », ce qui représentait une menace pour les entreprises américaines et provoquait des difficultés à des moteurs de recherche comme Google ou Altavista. Expliquant que « les régimes autoritaires tendent à faire moins de contrôles et de bilans que les démocraties pour prévenir l’abus de pouvoir », il écrivait que les sociétés informatiques chinoises obéissaient ainsi à des règles qui « différent radicalement de celles d’associations professionnelles du secteur du commerce électronique d’Occident » où sont assurées « la protection des droits des consommateurs et des libertés civiles », alors qu’en Chine c’est l’intérêt de l’Etat qui prime (2).

Sacré professeur ! On a dû bien rire au siège de la NSA – sauf si c’est là que cet article a été décidé...

Au début du mois de juin de cette année, le gouvernement chinois répliquait aux accusations en affirmant détenir des « montagnes de données » sur l’espionnage électronique américain en Chine, mais personne ne donnait aucune crédibilité à ces affirmations. Pourtant les Etats-Unis ont mis sur pied un système massif d’espionnage et de surveillance de l’internet qui laisse très loin derrière celui des autres pays et en particulier de la Chine : les dossiers de Snowden montrent que l’espionnage électronique américain en Chine touchait jusqu’aux plus prestigieuses et plus fermées universités où sont formés les futurs dirigeants du pays (3).

Toutes les grandes entreprises américaines du secteur de l’internet collaborent avec les services de surveillance, foulant au pied leurs affirmations publicitaires de préservation de la vie privée et de la confidentialité des correspondances de leurs utilisateurs : Google, Yahoo, Microsoft, Facebook, Paltalk, Skype, Youtube, AOL, Apple ou Cisco (leader mondial dans la téléphonie sur réseaux IP, routeurs, etc.) sont nommément cités pour leur collaboration à l’interception des communications, y compris au delà des frontières américaines. La NSA utilise divers programmes électroniques pour obtenir une collecte massive des communications électroniques, ce qu’elle appelle les « métadonnées ».
En moyenne au cours du mois de décembre dernier, la NSA américaine, dans le cadre de son programme « Informateur illimité », interceptait quotidiennement en Allemagne environ 15 millions de communications téléphoniques et 10 millions de communications internet (certains jours de pointe cela pouvait s’élever à 60 millions de communications) !

Pendant la même période, le nombre global de communications interceptées quotidiennement par la NSA tournait autour de 4 millions en Italie, 3 millions en France, entre 2 et 4 millions en Pologne, 2 millions en Espagne, etc. L’importance particulière de l’Allemagne tient non seulement à ce qu’elle est la première puissance européenne, mais aussi à ce qu’elle est un centre internet important à partir duquel il est possible de suivre les communications dans d’autres pays, du Mali à la Syrie en passant par l’Europe de l’Est.

En général les métadonnées ne comportent pas le contenu, mais le contenant des messages : adresses IP, n° de téléphone, liens entre correspondants, langue du message, utilisation de telle ou telle fonctionnalité (par exemple google maps), etc., ce qui est jugé suffisant par la NSA. Mais il existe aussi la possibilité d’enregistrer la teneur de la totalité des messages pendant quelques jours, afin d’avoir ensuite le temps de les traiter. Bien entendu une telle quantité d’informations ne peut être entièrement analysée ; des moteurs de recherche font un tri automatique suivant des critères choisis à volonté et à partir de ce tri, il est possible de suivre individuellement les personnes dignes d’intérêts pour les services de police.

Les Etats européens, ou certains d’entre eux, font partie des « cibles à attaquer » selon la NSA (un document de septembre 2010 répertoriait 38 « cibles » parmi les représentations étrangères à Washington et à New-York : non seulement des adversaires traditionnels des Etats-Unis, mais aussi les ambassades de France, d’Italie, de Grèce, du Japon, de Corée du Sud, du Mexique, etc.) et un système particulier d’espionnage cible les institutions européennes à Bruxelles (à partir des installations de l’OTAN) et à New-York.
Tous les pays sont potentiellement des cibles pour les Américains, à l’exception d’une poignée avec qui existe un traité de collaboration dit des « 5 yeux » : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et la Grande-Bretagne. C’est ainsi que Snowden a révélé que les services secrets britanniques ont installé des liaisons directes sur les câbles transatlantiques Grande-Bretagne - Etats-Unis par lesquels transite une grande partie du trafic électronique entre l’Europe et l’Amérique pour procéder sans difficultés aux interceptions voulues ; ou que lors du dernier « G8 » tenu en Grande Bretagne ils avaient monté un faux cyber-café pour espionner les communications des membres des délégations étrangères, tandis qu’ils interceptaient les communications « cryptées » des téléphones portables de leurs dirigeants ; les données étaient ensuite communiquées aux services américains...

Derrière le masque démocratique le totalitarisme de la domination bourgeoise

L’espionnage, y compris entre Etats « alliés », n’est évidemment pas nouveau ; mais la nouveauté tient aux possibilités énormes que l’informatique et les réseaux électroniques donnent aux grands Etats, et surtout au plus grand d’entre eux, pour non seulement espionner les autres Etats, mais aussi pour contrôler l’activité de leurs propres populations.

A l’époque de la démocratie libérale, l’inviolabilité de la correspondance faisait partie de ces principes - qui étaient évidement régulièrement battus en brèche par la police – mais dont le professeur cité plus haut vantait encore l’existence dans les pays occidentaux ; aujourd’hui le principe non proclamé mais bien réel est l’interception de la correspondance !
Tout en maintenant une façade libérale, le démocratie moderne a poussé le contrôle et la surveillance à des niveaux inconnus du totalitarisme fasciste dont elle a hérité la tendance à la centralisation.
Pour rassurer la population américaine lorsque le scandale Snowden a éclaté, le président Obama a affirmé que la NSA n’agissait que dans les pays étrangers et que dans le cadre de la « lutte anti-terroriste ».

Mais les documents montrent le contraire ; rien que pour le mois de mars dernier, la NSA a intercepté 3 milliards d’ « informations » sur les ordinateurs et les réseaux informatiques américains (contre, il est vrai, 14 milliards en Iran, 13,5 au Pakistan, 12,7 en Jordanie, 7,6 en Egypte et 6 en Inde, pour un total de 97 milliards dans le monde entier).
La surveillance des mails aux Etats-Unis aurait commencé il y a une dizaine d’années, après les attentats du 11 septembre ; mais un nouveau système, beaucoup plus performant, est entré en fonction en décembre de l’année dernière : il arriverait à filtrer et à analyser quasiment en temps réel plus de 75% du trafic internet. A la suite d’une décision secrète prise au mois d’avril, la société Verizon, le plus important opérateur de téléphones mobiles américain avec plus de cent millions de clients, fournit chaque jour à la NSA la totalité des données téléphoniques de ces derniers !

Mais les services de surveillance du courrier traditionnel sont toujours efficacement en vigueur, comme on l’a récemment découvert par hasard (4) ; au programme, vieux de plus d’un siècle, de surveillance par les postiers du courrier de personnes suspectées (ce qui représente des dizaines de milliers de courriers par an), s’est ajouté depuis une dizaine d’années un programme automatique plus moderne : la photographie des enveloppes de toutes les lettres et paquets distribués par la poste, soit 160 millions de lettres et paquets !

On comprend qu’après ces révélations, Obama ait eu un peu de mal, lors de sa conférence de presse de début août, à convaincre que la NSA et les autres agences de renseignement américain, ne visait que les « terroristes » et que les programmes de renseignement allaient devenir « plus transparents » : l’administration démocrate d’Obama a en fait accru et intensifié à grande échelle toutes ces pratiques !

Les gouvernements européens ont publiquement manifesté leur indignation face à l’espionnage massif américain – surtout parce qu’il est d’abord économique ! Le gouvernement français a demandé le report des négociations commerciales transatlantiques en cours (les négociateurs européens ayant été espionnés) en attendant des « éclaircissements » des autorités US ; le gouvernement allemand a déclaré qu’il s’agissait de « pratiques dignes de la guerre froide » qui étaient intolérables entre alliés, etc.

Mais ils ont tous refusé d’accorder l’asile politique à celui qui avait révélé qu’ils étaient victimes de cet espionnage ; et après quelques jours les négociations commerciales ont continué comme avant, sans « éclaircissements » américains. Et quand les Etats-Unis les ont averti que Snowden pouvait se trouver dans l’avion présidentiel bolivien, les autorités françaises (suivies par l’Espagne, l’Italie et le Portugal) ont immédiatement interdit le survol de leur territoire, en contravention avec les conventions diplomatiques internationales...

C’est une lourde erreur d’expliquer le comportement des gouvernements européens par leur « manque de courage » ou leur « servilité » devant les Etats-Unis. Un quotidien américain écrit que « les autorités américaines ont averti en privé les autorités françaises à prendre garde à ne pas parler avec trop d’indignation de l’espionnage américain étant donné que les grands pays européens comme la France espionnaient eux aussi, et pas seulement leurs ennemis » (5).

Tous les grands pays européens se livrent en effet à l’espionnage, mais aussi à la surveillance et au contrôle de leurs populations. Le Monde du 5/7 a détaillé l’existence d’un « système clandestin » en France similaire à celui américain, grâce auquel la DGSE (les services secrets français), « collecte les relevés téléphoniques de millions d’abonnés (...). Même chose pour les mails (avec possibilité de lire l’objet du courrier), les SMS, les fax... Et toute l’activité internet qui passe par Google, Facebook, Apple, Yahoo... » (6). En Allemagne, les services secrets travaillent main dans la main avec leurs homologues américains pour contrôler les communications, d’après les révélations de Snowden. En Grande-Bretagne British Telecom, Vodafone, Verizon et d’autres compagnies téléphoniques espionnent secrétement leurs usagers pour le compte de la police, etc. et les autres pays ne doivent pas être en reste. Tous les grands Etats font ce que fait l’Etat américain (avec des moyens plus faibles), et tous sont donc également hostiles aux révélations montrant au grand jour cette réalité, qui met à mal le grand mensonge démocratique. La Russie a fini par accepter d’accorder « provisoirement » l’asile politique à Snowden, mais à la condition qu’il cesse ses révélations sur les agissements de la NSA. Le Washington Post, le grand journal qui avait mené le combat pour faire éclater la vérité sur l’affaire du Watergate, avait refusé de publier les informations que lui avait naïvement proposé le « lanceur d’alerte » ; c’est qu’il ne s’agissait plus comme alors de s’opposer à un gouvernement responsable d’une grave crise politique, mais de jeter un peu de lumière sur les rouages secrets de la démocratie.
Démocrates ou autoritaires, et même s’ils sont rivaux et concurrents, tous les Etats et les classes bourgeoises sont complices et solidaires face aux populations, en dernière analyse, face aux prolétaires, qu’ils s’efforcent de maintenir dans l’ignorance, de duper par la propagande et de mener par le bout du nez.
Il ne sert à rien de gémir sur les violations des libertés, sur la démocratie bafouée, sur les ingérences de l’Etat dans la vie des « citoyens » – Etat que par ailleurs on appelle à la rescousse pour protéger ces mêmes citoyens des excès du capitalisme !

La puissance de cet Etat et de l’ordre social dont il est le pilier armé n’est pas éternelle ; la débauche de moyens de surveillance et de contrôle qu’il met en oeuvre s’explique par la gravité des tensions qui s’accumulent dans la société rendant toujours plus précaire l’équilibre social et provoquant périodiquement des explosions. Aucun de ces moyens ne pourra à la longue empêcher le retour de la lutte de classe anticapitaliste.

Mais celle-ci ne pourra déboucher sur la lutte finale que lorsque, rejetant définitivement les illusions réformistes, légalistes et pacifistes de la mensongère démocratie bourgeoise, les prolétaires dirigés par leur parti de classe, opposeront à la centralisation et au totalitarisme bourgeois, la centralisation et le totalitarisme révolutionnaire : la prise révolutionnaire du pouvoir et l’instauration de la dictature prolétarienne internationale pour liquider le capitalisme.

Parti Communiste International
www.pcint.org

(1) En vue des futures élections présidentielles qu’il abordait en position difficile, le président Nixon avait fait placer des micros dans l’immeuble du Watergate où devait se tenir la Convention du parti démocrate. Après l’éclatement du scandale, Nixon fut finalement contraint de démissionner sous la pression de l’opposition démocrate.
(2) cf http://www.erudit.org/revue/telescope/2012/v18/n1-2/1009262ar.html
(3) Toutes les informations qui suivent sont tirés d’articles du Guardian britannique et du Spiegel allemand, consultables en anglais sur leurs sites internet : www.theguardian.com et www.spiegel.de.
La presse française est restée beaucoup plus discrète sur cette affaire.
(4) New York Times, 3/7/13
(5) International Herald Tribune, 5/7/13
(6) Le Monde écrit que « la France a faiblement protesté (par rapport aux révélations de Snowden]. Pour 2 excellentes raisons. Paris était déjà au courant. Et fait la même chose ». Ces informations n’ont guère suscité d’écho, le gouvernement PS-Verts s’empressant d’étouffer l’affaire. Une nouvelle fois il a de toutes ses forces parfaitement servi les intérêts bourgeois.


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