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Dénoncer la politique migratoire ne suffit pas

posté le 31/10/14 par Groupe de réflexions "Migrations et Luttes Sociales Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  sans-papiers 

CARTE BLANCHE DIFFUSEE DANS LA LIBRE BELGIQUE DU 28/10/2014

Il ne faut pas dénoncer la politique migratoire, il faut lui opposer une résistance.

Quiconque a lu, même distraitement, la presse ces derniers jours aura fait la connaissance de notre nouveau secrétaire d’État à la politique migratoire, Théo Francken, et aura pu se faire sa propre opinion sur la finesse des analyses sociologiques qu’il aime à délivrer sur les réseaux sociaux. Un « humour » que l’intéressé a qualifié de potache, mais que nous préférerons désigner ici d’indigne de la fonction. Les appels à sa démission qui émanent de toutes parts dans les rangs de l’opposition apportent une pugnacité bienvenue au débat démocratique et rappellent, à qui l’aurait oublié, qu’on ne peut si facilement faire étalage public d’une lecture racialiste du monde et prétendre dans un même temps administrer avec justice la politique migratoire.

Oui, Théo Francken a tout d’un personnage détestable ! Et l’unanimité qu’il a rapidement faite contre lui ferait plaisir à voir si nous ne la soupçonnions teintée d’hypocrisie ! Car, en centrant le débat autour de la seule personnalité du secrétaire d’État, on obscurcit le fait que l’accord de gouvernement de la coalition « suédoise » se contente finalement de radicaliser une logique anti-immigré qui avait déjà pris ses quartiers au sommet de l’Etat avec la complicité des partis qui siègent aujourd’hui dans l’opposition.

Ainsi, le monde associatif dénonce, et il a raison de le faire, la très lourde emphase qui est mise dans le nouvel accord de gouvernement sur la lutte contre les abus. Le volet consacré à l’asile et l’immigration peut effectivement se lire comme un catalogue de nouvelles mesures visant à surveiller, contrôler et contraindre les faits et gestes des migrants, qui seraient apparemment tous venus en Belgique avec les pires intentions.

Or, cette logique de la suspicion vis-à-vis des migrants n’est pas neuve. L’orientation répressive de la politique migratoire est en réalité une constante en Belgique depuis la crise économique des années 1970 et la fermeture théorique des frontières. La nouveauté, c’est que cette logique est ici poussée à son paroxysme. La majeure partie du texte se consacre à définir les mesures qui seront mises en œuvre pour maximiser la capacité d’accueil des centres fermés (« camps pour étrangers »), dans lesquels, il est important de le rappeler sans cesse, des personnes n’ayant commis aucun délit sont privées de leur liberté. La liste des mesures désastreuses pour le respect des droits des migrants est longue : privatisation des centres d’accueil, confusion entre « retour volontaire » et retour consenti sous la contrainte, développement assumé des « retours forcés » (et ce, malgré leur potentiel meurtrier), restriction des procédures d’appel, légitimation de la double peine, violation du droit à la vie privée des migrants, surveillance généralisée des personnes, droit de séjour conditionné par des questions d’ordre public et de sécurité nationale... On notera également le peu de considération pour la vie de famille des migrants : ces derniers, au contraire de la majorité du genre humain, ne se marieraient et ne feraient des enfants que dans le but d’abuser du système social belge… Si les « abus » dans le chef des migrants sont au centre de toute la note de gouvernement, rien n’est dit en revanche des « abus » commis par le patronat. Les sans-papiers qui travaillent pour un salaire de misère sur nos chantiers, à la plonge dans nos restaurants, ou au nettoyage de nos grands hôtels sont pourtant bien embauchés par quelqu’un…

Ces mesures, comme si elles ne se suffisaient pas à elles-mêmes, s’accompagnent d’effets d’annonces médiatiques sur la prétendue « nécessité » d’augmenter le nombre de places en centres fermés et d’accélérer les expulsions. Ce show spectaculaire et décomplexé correspond à une volonté de renforcer un discours, déjà bien ancré dans la conscience collective, sur le migrant en tant que menace pour le corps politique et social (on n’oserait dire « pour la nation »), et d’en faire un enjeu de crédibilité politique pour ce gouvernement.

Mais, il est important de le répéter, attribuer l’entière responsabilité de ce glissement vers une politique migratoire envisagée exclusivement sous un angle « policier » à la seule coalition suédoise serait faire preuve d’un manque de discernement. Une lame de fond réactionnaire et xénophobe traverse en ce moment l’Europe toute entière. Et de plus en plus de gouvernements préfèrent flatter l’aile la plus droitière de leur électorat plutôt que de lutter pour déconstruire les argumentaires qui jouent sur la peur des étrangers.

L’exemple le plus marquant est la dernière initiative en date prise par les Etats de l’Union Européenne : Mos Maiorum. Cette vaste opération de police, coordonnée à l’intérieur de l’Espace Schengen par la présidence italienne de l’UE, entre le 13 et le 26 octobre, vise à repérer et démanteler des réseaux d’immigration trans- et intra-européenne. Le but ? Massifier les arrestations de migrants « sans-papiers » sous couvert de lutte contre le trafic d’êtres humains, identifier au moyen d’une gigantesque chasse à l’homme les organisations qui facilitent l’immigration, mais également repérer, identifier et ficher sciemment les parcours, les trajectoires et les outils empruntés par les migrants pour pénétrer sur le sol européen. Il est ainsi explicitement demandé aux pays participants à cette opération de noter, pour chaque migrant-e interpellé-e le profil (nationalité, genre, âge, point et date d’entrée en Union européenne) ; les chemins empruntés pour accéder en Europe ; le modus operandi (faux papiers, demande d’asile, qui est le passeur, nationalité et pays de résidence des facilitateurs, somme versée par chaque immigrant, ...). Les arrestations de ce mois d’octobre fourniront aux autorités européennes de nouveaux outils pour mieux prévoir, anticiper et empêcher toute nouvelle forme d’immigration future.

Le nom donné à l’opération est d’ailleurs révélateur de ses intentions profondes. Mos Maiorum est une expression latine qui évoque les « mœurs des Anciens », c’est-à-dire le code moral de la Rome antique dont la pierre de touche était le respect des aînés et de la tradition. Cette dénomination vend incidemment la mèche. L’opération ne vise donc pas tant à endiguer le trafic d’êtres humains qu’à restaurer en Europe, symboliquement du moins et le temps d’une rafle, un ordre ancien et mythique fait de valeurs communes, de mœurs civilisés (opposées à demi-mots au désordre décadent des Barbares à nos portes) et d’identité traditionnelle.

Les mesures de restriction et de criminalisation de la coalition « suédoise », ainsi que ces opérations de traque et de rafle à l’échelon européen, font partie à notre sens d’une même logique raciste et répressive. Elles exigent de notre part une réaction : pas uniquement une indignation bienveillante, mais bien une prise de position en faveur des processus de résistance qui tentent de mettre à mal de telles procédures. Nous condamnons une politique migratoire nauséabonde et criminelle, mais nous ne voudrions pas que cette démarche se limite à un sermon séculier. Elle doit pour nous aller de pair avec un engagement pratique de tous et toutes, migrant-e-s ou non, qui refusent de cautionner l’intolérable. Contestation, désobéissance civile, solidarité et exigence radicale d’égalité sont les maîtres mots de la résistance indispensable à la politique migratoire.

Nous appelons à intensifier ces mécanismes de résistance : en soutenant les migrants qui luttent, notamment dans les églises et les bâtiments occupés ; en prévenant les familles en passe d’être raflées ; en hébergeant les personnes traquées ou menacées d’expulsion ; en aidant les migrants à franchir les frontières ; en refusant de ne pas voir ; en apportant notre aide aux personnes contrôlées dans la rue et les transports en commun ; en refusant les camps pour étrangers ; en s’opposant physiquement aux expulsions, dans les aéroports ou dans les avions ; en dénonçant tous les complices de la machine-à-expulser...

Mille autres techniques et stratégies, plus ou moins microscopiques, plus ou moins explicites sont encore à inventer et à expérimenter.

Papiers pour tous ou tous sans papiers !

Le Groupe de réflexion « Migrations et Luttes sociales » : Martin Deleixhe (KUL), Leila Mouhib (ULB), Youri Lou Vertongen (USL-B)), Bachir Barrou (SPBelgique), Elsa Roland (ULB), Elisabeth Dubois (ULB), Elodie Francart (ULB), Camille Reyniers (ULB), Nicolas Dekemel (Collectif Créole), Rachida El Baghdadi (Collectif Créole), Martin Vander Elst (Collectif Créole).


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