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Depuis Barbès, ils ont marché “dignement” sur la Bastille

posté le 02/11/15 Mots-clés  luttes sociales  antifa  Peuples natifs 

Ce samedi 31 octobre 2015 à Paris, ils ont été plus de 10 000 manifestants, « racisé-e-s » mais aussi « blancs », à répondre à l’appel du collectif de la Marche des femmes pour la dignité (Mafed), pour dénoncer le « racisme d’État », les violences policières, les discriminations « islamophobes, négrophobes et romophobes » et soutenir la cause palestinienne comme celle des sans-papiers ou des habitants des quartiers populaires. Retour en images. En noir et blanc.

Amal Bentounsi peut être fière. L’appel qu’elle a lancé à « marcher pour la dignité » a réuni ce samedi 31 octobre 2015 à Paris plus de 10 000 manifestants (les organisateurs en annoncent 20 000, la police 3 500). Un succès relatif, mais interprété par beaucoup comme « le début de quelque chose ».

Depuis le départ de la manifestation, dans le quartier populaire et immigré de Barbès, le cortège n’a cessé de grossir, voyant converger militants de divers collectifs antidiscriminations, coordination de sans-papiers ou de soutien à la cause palestinienne, ou familles et proches de victimes de violences policières, aux côtés de simples citoyens.

Tout l’après-midi, Hanane Karimi scandera sur son mégaphone les slogans de la tête de cortège. La porte-parole du collectif « Les femmes dans la Mosquée » se relaiera avec une dizaine d’organisatrices du Mafed pour assurer l’ambiance, à la fois revendicative et festive. « Première, deuxième, troisième génération… » L’hymne des manifs antiracistes des années 1980 a vu sa chute détournée. Le consensuel « Nous sommes tous des enfants d’immigrés ! » a été remplacé par un plus radical « On s’en fout, on est chez nous ! ». Les noms Valls, Hollande, SOS-Racisme, comme ceux de la famille Le Pen, de Sarkozy ou Morano, mais aussi de Onfray, Finkielkraut ou Fourest sont repris par la foule, accompagnés d’un définitif : « Ta race ! »

L’étudiante-écrivaine Nargesse Bibimoune, l’historienne Françoise Vergès et la sociologue Nacira Guénif entonneront quatre heures durant, en tête de défilé, les divers refrains de la marche. « On n’oublie pas, on ne pardonne pas ! » « Au nord, ils expulsent, au sud, ils bombardent. Qui sème la misère récolte la colère ! » « Pas de justice, pas de paix ! » Et bien sûr, de tous les endroits du monde (de Centrafrique aux Antilles, d’Algérie à Baltimore, de la Palestine à Clichy, etc.), « Dignité ! »

Tout au long de la marche, des proches de victimes de « crimes policiers » se succéderont au micro de la camionnette ouvrant le cortège. Les larmes coulent à plusieurs reprises, suivies d’applaudissements. La famille de Wissam el-Yamni, mort lors d’un transfert au commissariat après une interpellation, a raconté son combat judiciaire pour connaître la vérité (lire nos articles).

La multiplicité des luttes et des héritages revendiqués et représentés sur les trottoirs de la capitale laisse entrevoir une France dominée mais qui entend ne plus l’être.

La sociologie est un sport de combat, pour Saïd Bouamama, qui n’aura cessé d’haranguer ses troupes du Front uni de l’immigration et des quartiers populaires (FUIQP). En chanson, la petite centaine de militants entonne : « Lèèèèèèèève-toi, c’est la lutte pour tes droits. » Puis : « C’est la France de demain qui commence, toi Français, rejoins-nous dans la lutte »…

La brigade antinégrophobie est en bonne place dans le défilé. Elle s’était récemment mobilisée face à la tenue de la pièce de théâtre Exhibit B, qui se voulait pourtant antiraciste, mais reproduisait un « zoo humain » (lire notre article).

La cause palestinienne occupe une bonne place du cortège. Des militants d’Euro-Palestine comme de l’Union juive des Français pour la paix (UJFP - ici, Jean-Guy Greilsamer) et du comité BDS (mouvement de boycott d’Israël) battent le pavé. Durant la manif, un slogan résonne : « Première, deuxième, troisième intifada, nous sommes tous des enfants de Gaza »…

Au long du défilé, on croise le groupe de « mamans toutes égales », qui se bat pour l’abrogation de la circulaire Chatel interdisant aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires. Mais aussi des écologistes « tendance Zad », derrière une banderole « De Zyed à Rémi, désarmons la police ». Quelques « antifas » sont aussi de la partie, derrière la coordination des groupes antifascistes (CGA).

Ancien marcheur en 1983, porte-parole d’ACLeFeu à Clichy-sous-Bois en 2005, puis de la coordination « Pas sans nous » depuis un an, Mohamed Mechmache se réjouit. « Tout le monde a mis son ego de côté, et il y a un cadre politique qui est posé. » Il sourit : « Le plus dur, ce sera comme toujours l’étape d’après… »

Le fait que la circulation n’était pas vraiment interrompue par la préfecture, ajouté à la relative inexpérience et au manque de moyens des organisateurs, font que le défilé a parfois des airs de déambulation militante, où l’on passe d’une cause à une autre. Mais avec le sentiment que l’addition des revendications « minoritaires » font sens toutes ensemble.

La playlist de la journée aura aussi divergé notoirement des bandes-son de manifs syndicalo-traditionnelles. Aretha Franklin, Stevie Wonder, Tracy Chapman… et Bob Marley. Après un premier Get up, stand up (for your rights) enjoué, c’est aux sons de Buffalo soldiers puis de No woman, no cry que les marcheurs investirent un bon tiers de la place de la Bastille.

En queue de cortège, plusieurs partis de gauche ont répondu à l’invitation, parfois sans avoir signé le texte de l’appel du Mafed. C’est le cas d’Éric Coquerel, responsable du Parti de gauche, ici sur la photo. Le Front de gauche, les écologistes d’EELV, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ferment la marche. Dans la foule, on croise plusieurs élus municipaux issus de quartiers populaires et ceints de leur écharpe tricolore, mais aussi les parlementaires écologistes Esther Benbassa et Sergio Coronado, l’ancien candidat du NPA à la présidentielle Philippe Poutou, la porte-parole d’Ensemble, Clémentine Autain, ou le député PS Pouria Amirshahi. Mais cette mobilisation des partis n’a réuni qu’une poignée de militants.

À la baguette du début à la fin de la marche, la porte-parole du collectif « Stop le contrôle au faciès », Sihame Assbague. Avant d’arriver sur la place, elle lançait au micro son dernier chant : « Les tirailleurs, c’est nous ! La libération, c’est nous ! Les autoroutes, c’est nous ! Les impôts, c’est nous ! » Après un court temps d’inspiration, elle improvise : « Le swag, c’est nous ! Le style, c’est nous ! Le futur, c’est nous ! L’égalité, c’est nous ! La dignité, c’est nous ! »

(Textes : Stéphane Alliès)

Revoir notre débat organisé lors de la soirée « En direct de Mediapart » du 22 octobre 2015 sur les nouveaux militantismes dans les banlieues

Tous nos articles dans le dossier : Quartiers populaires et politique de la ville

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