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Du racisme au racialisme

posté le 10/08/18 par http://inter.culturel.free.fr/textes/racialisme.htm Mots-clés  antifa 

Interrogeons-nous sur la race et le racisme. Il ne s’agit pas ici de discuter de la réalité des catégorisations raciales (ou ethniques) ni de tenter une analyse du phénomène raciste dans sa globalité. Notre but n’est pas de nous interroger sur la réalité matérielle et concrète de la race, ce qui, comme le souligne C. Guillaumin, reviendrait « à se limiter à un statut-quo de la réalité de la race, et se préoccuper de déterminer en quoi cette réalité est fondée ou non ne pose pas de problème sociologique. »

Qu’elle soit concrète ou imaginaire, « la race » joue un rôle dans le processus social et nous sommes obligés de tenir compte de sa réalité sociologique. Il est en effet admis par la plupart des chercheurs, comme par le sens commun, que les caractères physiques jouent un rôle objectivement discriminant permettant la mise en place d’un système classificatoire opérant et donc la construction de catégories (Même si les catégories raciales ne recoupent aucune réalité biologique et génétique). Geneviève Vinsonneau rappelle ainsi que « les caractères anthropophysiques fondent la perception des différences : 23 »

« (…) les caractéristiques anthropologiques s’érigent en construction socioculturelle. Parmi les facteurs phénotypiques possibles, la racialisation de certains traits s’opère sélectivement. Des attributs spécifiques deviennent des indices « raciaux » et servent la catégorisation sociale (couleur de peau, texture et couleur des cheveux, ossature…) jusqu’à fonder des « théories raciales ». 24 »

Nous rappelons évidemment le caractère social et construit du concept sociologique de race, et si nous ne parlons pas ici de « race sociale » pour nous démarquer de toute approche biologisante, comme le préconise Hélène Bertheleu 25 , nous soulignons que les variations phénotypiques sur lequelles ce concept est bâti, à l’instar de différences culturelles, sont historiquement et socialement construites.

Cependant, parce qu’il participe aux catégorisations sur lesquelles se bâtissent préjugés et stéréotypes, et au-delà les représentations sociales, nous sommes conduits à nous pencher sur le racisme, sur ses origines et son évolution. Le racisme, en tant que système opérant et en tant que croyance en l’hétérogénéité absolue et permanente (puisque inscrite dans le gène) participe en effet à la construction des représentations de l’Autre.

Le racisme colonial :
« J’ai devant moi un des porteurs recrutés au dernier village. C’est un Laka. Quelle belle bête, pleine de sang et bien racée. Le poids de la caisse n’a aucune importance pour lui. Il marche à son allure vive, élégante, un peu dansante, très légère et donnant un peu l’impression de l’envol. Pourquoi les humanistes de France ne veulentils pas admettre que la tête du Noir est faite pour porter des caisses et celle du Blanc pour penser ? »
Ernest Psichari, Carnets de route, 1907.

Afin de mieux comprendre les représentations que peut véhiculer la société française sur les populations africaines mais aussi sur les populations françaises issues de ce continent il convient de remonter à l’époque coloniale. En effet, « i ssus pour l’essentiel des pays du Sud et souvent des anciennes colonies françaises, ces migrants s’insèrent dans un contexte où les représentations réciproques se trouvent sensiblement compliquées par le passé colonial et les rapports de domination Nord-Sud qui lui ont succédé. 26 »

Il faut selon Taguieff 27 différencier le « racisme de domination » du « racisme d’extermination », le premier n’ayant qu’une « fonction de diversion et légitimation, au service de la fonction économique. » Contrairement au racisme d’extermination (dont le racisme national-socialiste allemand ou le racisme anti-Tutsi sont de bien sinistres exemples), le racisme colonial, « racisme de domination », ne prêtait pas à l’Autre de supériorité intellectuelle pouvant s’avérer dangereuse (« L’Autre » étant alors perçu comme menaçant, à combattre, à éliminer…). Au contraire, pour pouvoir continuer à « exploiter leurs victimes, [les colonialistes] justifiaient cette exploitation à l’aide d’un préjugé raciste, celui de l’infériorité des exploités. 28 »

En effet, le racisme pour les Africains et les peuples colonisés en général était la justification idéologique de la colonisation européenne 29 et de l’esclavage. Incarnation philosophique d’une science biologique naissante, « l’idéologie raciste est une biologisation de la pensée sociale, encore inconnue au 18e siècle » 30 . Les doctrines racistes à la française de Gobineau, Vacher de Lapouge et Le Bon sont en effet apparues au XIX e siècle 31 . Elles sont fondées sur la croyance en la transmission héréditaire de caractères psychiques attribués à des populations que l’on distingue par des critères divers (couleur de peau, religions, langue, cultures, morphotype, activité économique) 32 . On retrouve jusqu’à la fin du siècle dernier ces « doctrines ethnoraciales de vulgarisation scientifique », sous la plume du professeur Montandon (dans la revue l’Ethnie Française ), de Gérard Mauger, ou dans les thèses sociobiologiques prônant un « arwinisme du gène » défendues par Edward O. Wilson 33 .

Un racisme scientifique 34 :

« En moyenne la masse de l’encéphale est plus considérable chez l’adulte que chez le vieillard, chez l’homme que chez la femme, chez les hommes éminents que chez les hommes médiocres, et chez les races supérieures que chez les races inférieures. Toutes choses égales d’ailleurs, il y a un rapport remarquable entre le développement de l’intelligence et le volume du cerveau. Ainsi l’obliquité et la saillie de la face, constituant ce qu’on appelle le prognathisme, la couleur plus ou moins noire de la peau, l’état laineux de la chevelure et l’infériorité intellectuelle et sociale sont fréquemment associés, tandis qu’une peau plus ou moins blanche, une chevelure lisse, un visage orthognathe [droit] sont l’apanage le plus ordinaire des peuples les plus élevés dans la série humaine. Jamais un peuple à la peau noire, aux cheveux laineux et au visage prognathe, n’a pu s’élever spontanément jusqu’à la civilisation. »
(Paul Broca, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1876)

Afin de mieux cerner l’évolution de l’image du colonisé en France, nous pouvons nous appuyer sur les nombreux travaux qui ont pour objet d’étude l’imaginaire colonial français 35 et les représentations véhiculées sur ces populations dans l’hexagone : Les colonisés africains et maghrébins sont encore représentés dans les « publications scientifiques 36 » du début du siècle 37 comme « sans Histoire », « étranges », « cruels », utilisant des langues présentées comme des « charabias » indigestes. Leur culture est décrite comme un folklore exotique.

Leur religion est un « capharnaüm de cultes barbares et insolites » (en plus du fait que l’Islam est représenté comme l’ennemi de la Chrétienté), leur sexualité est « inhabituelle », « excessive », « archaïque », « pré-sentimentale. » Le noir et le maghrébin sont ainsi fondus dans une « masse indistinctive » où « l’individualité est inexistante. » Tels sont, dans ce « processus de falsification, les neuf grands thèmes qui traversent avec persistance le champ du discours et celui de l’imagerie coloniale : La dépersonnalisation, l’étrangeté, la religion, la langue, la culture, le travail, la sexualité et la psychiatrisation . 38 »

Les grandes expositions coloniales :

« Le Français a la vocation coloniale. Cette vérité était obscurcie. Les échecs passagers du XVIIIe siècle avaient fait oublier deux siècles d’entreprise et de réussite. En vain, depuis cent ans, nous avions retrouvé la tradition, remporté des succès magnifiques et ininterrompus : Algérie, Indochine, Tunisie, Madagascar, Afrique occidentale, Congo, Maroc. Malgré tout, le préjugé subsistait : le Français, répétait-on, n’est pas colonial. Il a fallu l’exposition actuelle et son triomphe inouï pour dissiper les nuées. Aujourd’hui la conscience coloniale est en pleine ascension. Des millions et des millions de Français ont visité les splendeurs de Vincennes. Nos colonies ne sont plus pour eux des noms mal connus, dont on a surchargé leur mémoire d’écoliers. Ils en savent la grandeur, la beauté, les ressources : ils les ont vues vivre sous leurs yeux. Chacun d’eux se sent citoyen de la grande France, celle des cinq parties du monde. »
(Paul Reynaud, ministre des Colonies, in le Livre d’or de l’Exposition coloniale internationale de Paris, 1931)

De 1877 à 1931, grâce notamment à la centaine d’expositions et d’exhibitions à « vocation éducatrice […] l’image de l’Empire est alors composée de toutes les représentations factices, reproductions supposées de la vie quotidienne de l’Autre ayant toutes pour objet la légitimation de la conquête coloniale en présentant le colonisé comme absolument Autre et inférieur sur l’échelle de la civilisation et du progrès. Ancrée dans les esprits, cette assurance de la supériorité de la civilisation européenne en général, et française en particulier, devient de plus en plus visible. 39 » La plus visitée de ces foires fut la Grande Exposition Coloniale Internationale de Paris en 1931 (30 millions de tickets vendus en 6 mois).

Ces exhibitions étaient destinées à renforcer la distance entre civilisés et non-civilisés et « témoignaient de la fascination pour le « sauvage » savamment entretenue » par les promoteurs de ces spectacles qui connaissaient en Europe un succès retentissant. Elles représentaient un premier contact réel entre « l’Autre exotique », l’Africain ou l’Arabe et l’Occident, le « Nous civilisé » tout en popularisant dans les esprits des nombreux visiteurs le concept scientifique de « race humaine » établi par les « avants 40 » de l’époque. « Ces exhibitions ethnologiques vulgarisaient donc l’axiome de l’inégalité des races humaines et justifiaient en partie la domination associée à la colonisation 41 . »

Cependant ces foires et exhibitions n’étaient pas les seuls outils de la propagande coloniale. « En effet, la littérature d’accompagnement de ces expositions, mais aussi la presse, les cartes postales et autres images d’Epinal et des vignettes publicitaires, ont participé à la diffusion et à la construction de ces images de l’Autre. 42 » La propagande coloniale autour de l’Empire et de l’Union Française, principale activité de l’AFOM (Agence de la France d’Outre-mer) est en effet très active jusqu’aux années 1950, dans les journaux ( France Outre-mer , Dakar AOF , AOF Magazine , Togo Cameroun , ...), les brochures, les manuels scolaires, la publicité ( Y’a bon ! ), la bande dessinée ( Tintin et Milou au Congo , Badaboum chez les Bouffetout , Mickey l’Africain , Tarzan l’Arabe blanc ,...) au cinéma ( Prisonniers de la Brousse de Willy Rozier, Le bled de Jean Renoir en 1929, L’Homme du Niger de Baroncelli en 1939, etc...) et bien sûr dans les romans.

La littérature coloniale :

« C’est là un des signes les plus surprenants et les plus incompréhensibles du caractère indigène : le mensonge. Ces hommes en qui l’islamisme s’est incarné jusqu’à faire partie d’eux, jusqu’à modeler leurs instincts, jusqu’à modifier la race entière et à la différencier des autres au moral autant que la couleur de la peau différencie le nègre du blanc, sont menteurs dans les moelles au point que jamais on ne peut se fier à leurs dires. Est-ce à leur religion qu’ils doivent cela ? Je l’ignore. Il faut avoir vécu parmi eux pour savoir combien le mensonge fait partie de leur être, de leur cœur, de leur âme, est devenu chez eux une seconde nature, une nécessité de la vie. »
(Guy de Maupassant, "Allouma", L’Echo de Paris, 1889)
Sur la littérature coloniale :
Alain Ruscio, Littérature, chansons et colonies in Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, Culture coloniale , op. cité. Jean-Marc Moura, L’image du Tiers-Monde dans le roman français , PUF, 1992.

Jusqu’aux décolonisations (au début des années 1960) la majorité des Français ne connaissaient donc de l’Afrique et du Maghreb que des images issues de l’iconographie de propagande coloniale 43 dont Pascal Blanchard nous rappelle « qu’elles entretenaient un rapport étrange entre la fiction, la symbolique et le réel, et devenaient, à force de matraquage, un message de propagande capable de séduire un large public. 44 » Elles étaient, avant tout, le reflet des peurs et des phantasmes de l’occident. « Elles illustrent et mettent en scène le concept du destin civilisateur de la France et son nécessaire corollaire, la négation de l’autre. »

Du racisme colonial au racialisme :

« Les sciences humaines s’attachent souvent au phénomène de persistance des valeurs anciennes au sein de structures nouvelles. C’est précisément une telle situation qui fonde le racisme moderne : L’idéalisme humanitaire de la révolution persiste sous l’intensification des mécanismes d’exploitation (industrialisation, colonisation), créant un conflit que résout la naissance de l’idéologie raciste. »
Colette Guillaumin, L’idéologie raciste , Gallimard, 2002.

On perçoit encore, lorsqu’il s’agit de l’Afrique, cette conception d’identités communautaires stéréotypées, d’identifications ethniques héréditaires. On retrouve actuellement, y compris dans les plus grands médias français ( Le Monde , Libération , …), un « ethnisme scientifique de tradition coloniale » 45 lorsqu’il s’agit de traiter des sociétés africaines.
On peut, par exemple, lire dans Le Monde du 8 octobre 1990 46 , à propos de la région des grands lacs africains (Rwanda - Congo - Burundi) : « Pasteurs nomades de tradition guerrière, les Tutsi se raccrochent à la branche des Nilotiques. On les dit quelque peu sûrs d’eux même et dominateurs*. Les Hutus, eux, appartiennent au monde bantou. Volontairement ou non, ils se donnent l’image de paysans accrochés à leurs terres, madrés mais plutôt rustres, malhabiles en politique*. »

Il est assez révélateur de voir dans ce grand quotidien français, souvent cité comme référence pour ses analyses et la qualité de ses articles, une telle schématisation raciale directement inspirée de Gobineau et de son Essai sur l’inégalité des races . Comme le souligne JP Gouteux, il n’y a guère plus que pour l’Afrique que l’on peut, sans provoquer de scandale, ainsi utiliser une caractérologie raciale, attribuant à une race des caractéristiques psychologiques génétiquement transmissibles et immuables.
(* : souligné par moi)

Mais si les médias semblent utiliser pour les Africains des stéréotypes ethniques et raciaux, les politiques ne sont pas en reste. Frantz Fanon écrivait, dans les Damnés de la terre , au sujet de la déshumanisation du colonisé : « (…) Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, au pullulement, au grouillement, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère au bestiaire. 47 »

N’est-il pas alors significatif qu’un ancien Ministre de l’Intérieur parle de « sauvageons » pour désigner les jeunes des banlieues issus de l’immigration ou que notre actuel Président de la République (alors Maire de la capitale) ait pu, lors d’un meeting électoral, parler « du bruit et de l’odeur » 48 des immigrés. Les propos d’André Deschamps, député du PCF, sont encore moins équivoques : « Quand vous voyez des nègres et des arabes comme des meutes d’hyènes dans les cages d’escaliers des cités... Plutôt que d’agresser les pauvres bonnes femmes, ils feraient mieux de se bouger... On dit qu’ils déconnent parce qu’ils n’ont rien à faire. Mais s’ils n’ont rien à faire, ils n’ont qu’à rentrer chez eux. » (Libération, le 24/03/1990)

On ne peut que constater le rôle des médias 49 et de la classe politique 50 dans la légitimation de stéréotypes négatifs relatifs aux populations africaines et aux populations françaises originaires de ce continent, il ne faut pas perdre de vue que si de tels stéréotypes peuvent voir le jour « en haut » (par opposition au racisme « analphabète » ou « tranquille 51 » décrit par Tahar Ben Jelloun 52 ), c’est qu’ils sont partagés, à la base, par une grande partie des français.

C’est ce que nous rappelle une enquête d’opinion 53 effectuée au cours du printemps 1997 à l’occasion de l’année européenne contre le racisme. On y apprend notamment que les Européens sont 33% à se déclarer « très ou plutôt raciste » et que parmi eux 9% se déclarent « très racistes . » Parmi ceux qui dépassent la moyenne européenne des « très racistes », on retrouve les Belges (22%), les Français (16%) et les Autrichiens (14%). Ces trois pays ont également les scores les plus élevés si l’on additionne les groupes « très racistes » et « assez racistes », respectivement 55%, 48% et 42%.

Malgré la dénonciation depuis plus d’un quart de siècle de la théorie des races par de nombreux biologistes 54 français, dont Jacques Ruffié, André Langaney, Albert Jacquard, Marcel Blanc, pour n’en citer que quelques-uns, il est assez significatif de s’apercevoir qu’en 1997 48% des français se disent « très racistes » ou « assez racistes. »

Il faut cependant noter qu’à partir des années 1970-80 la nouvelle droite française (autour du GRECE et du Club de l’Horloge ) à tout fait pour répandre dans la société (non sans un certain succès) l’idéologie différentialiste (soutenue par certains scientifiques, partisans du « déterminisme héréditariste »).

- « Le polylogisme a remplacé le polygénisme 55 » dans la légitimation savante du racisme diffusé par la nouvelle droite et les psychologues héréditaristes dans cette controverse animant les scientifiques autour du rôle de l’hérédité et du milieu (inné/acquis). Ce « néoracisme culturaliste », comme l’appelle Taguieff, s’est essentiellement bâti autour du déplacement de deux des concepts de base du racisme « traditionnel » (exclusivement construit autour de l’idée de race), il est vrai logiquement décrié dans l’opinion depuis la seconde guerre mondiale et la Shoah : A la place de « race », l’idéologie néo-raciste (ou racialiste) préfère parler de « culture », ou « d’ethnie », et « l’inégalité » à laisser la place à la « différence ». A la même époque on assistait à l’intégration dans le discours nationalpopuliste (Front National) de la thématique de « droit à l’identité des peuples » et de la pensée « identitariste. » Pour reprendre les mots de Taguieff, le discours raciste s’est alors « mentalisé », « culturalisé », ne mettant plus en avant de façon ouverte la supériorité d’une « race » sur l’autre, se contentant « de l’affirmation absolue de la différence », de « l’absolutisation », « de la naturalisation », « de l’essentialisation des différences , qu’elles soient perceptibles ou imagées. 56 »

Ainsi, s’il est admis scientifiquement et par une majorité de Français (C’est du moins théoriquement 57 ce que nous apprend l’école de la République) que tous les humains appartiennent à la même espèce zoologique et qu’il n’y a pas de races humaines, certains auteurs mettent en avant une « cosmologie sociale » occidentale construite autour d’un système de représentation des rapports entre « Nous » et « les Autres » qui distinguerait « de façon inconsciente » deux espèces humaines. Si, comme l’écrivait Christian Delacampagne, le racisme « appartenait aux strates les plus profondes de ce que nous appellerions aujourd’hui la représentation occidentale du monde 58 », le racialisme serait le consensus social actuel qui permettrait « d’utiliser et de transmettre inconsciemment une vision du monde raciste dans une société officiellement antiraciste, en mettant en scène une série de contradictions systématiques qui conduisent à l’unique conclusion logique possible, soit celle, informulée, d’une différence de nature entre ces deux humanités et une supériorité naturelle de l’une sur l’autre. 59 »

Pierre-André Taguieff, reprenant certains discours de Léon Blum ou de Jules Ferry, avance que la III eme République véhiculait déjà « un racialisme ou un racisme idéologique qui ne se percevait pas comme tel, et qui n’appelait ni à la haine, ni à la stigmatisation, ni à la ségrégation, mais qui tirait sa légitimité de la domination et de l’exploitation coloniales, et qui trouvait sa justification dans sa thèse de l’évolution future des peuples inférieurs. »

Depuis la seconde moitié du siècle dernier, on ne parle plus « d’évolution future des peuples inférieurs », mais de développement 60 . Dominique Lecourt, faisant remarquer « (…) qu’au delà de la période coloniale, l’expansion du capitalisme à l’échelle planétaire a incité à ‘ethniciser’ les populations destinées à fournir la main d’œuvre la plus mal payée » se demande si le racisme n’est pas finalement un « phénomène social intrinsèquement lié au développement de ce qu’on appelle la ‘modernité’ 61 . »

Les oppositions entre civilisation et barbarie, dynamique/progrès et immobilisme représentent encore autant d’éléments constitutifs des stéréotypes qui dans tous les pays d’Europe caractérisent les rapports entre notre continent d’un côté et l’Afrique de l’autre (L’Asie et l’Amérique latine aussi, dans une moindre mesure). La référence à « l’Autre », à l’Africain et au Maghrébin, a d’ailleurs joué un rôle essentiel dans l’affirmation de notre propre identité, et dans la représentation de notre modernité depuis un siècle et demi. Jean Robert Henry rappelle par exemple que « l’Afrique du Nord dans son ensemble a été l’espace de référence privilégié où se sont déployés et mis en forme nos phantasmes orientaux (…) Les traumatismes traversés -colonisation, décolonisation, migration - n’ont fait que donner encore plus d’acuité à cette référence. Au feu de cet Orient concret, et à ses hommes, nous avons testé, et parfois forgé nos mythes : Progrès, libéralisme, égalité, laïcité,… nous nous sommes relevés en usant de l’Orient Nord-africain comme d’un miroir. 62 »

Alors que le racisme était la justification des conquêtes et des guerres coloniales 63 , le racialisme serait « une explication et une justification de la domination occidentale du monde 64 », il aurait pour fonction de justifier les inégalités Nord/Sud et ce que certains n’hésitent pas à qualifier de domination néo-coloniale. Selon D. Blondin, seul le vocabulaire pour exprimer cette prétendue infériorité naturelle de « l’Autre » a changé. Plutôt que d’invoquer directement la race ou les gènes comme le font les racistes convaincus, on parlera de la « mentalité », de l’« irrationalité » ou même de « culture. » Le racialisme serait en quelque sorte une version « plus civilisée » et plus acceptable du racisme.

Le racisme diffusé par la propagande coloniale était destiné par essence à nous opposer à des peuples lointains, qui de ce fait peuvent nous sembler parfaitement étrangers (ou étranges). Cependant, les déplacements de populations liés à la période de reconstruction de l’après guerre et le besoin de main d’œuvre des pays occidentaux ont conduit une partie des populations cibles de ces théories raciales à venir s’installer dans les pays d’où elles étaient propagées.

Le racialisme, « racisme sans race », « néo-racisme différentialiste et culturel » véritable « hétérophobie à cible ethnique 65 » aurait-il pour cible privilégiée certains français issus de l’immigration des zones anciennement colonisées ?

Selon ces catégorisations néo-raciales ou racialistes, ces derniers relèvent-ils aujourd’hui d’une « altérité radicale » ?

On peut également se demander quelle est la place de ces nouvelles catégorisations dans l’apparition et la propagation (voir la légitimation) de stéréotypes et préjugés négatifs visant les populations africaines et celles issues de l’immigration de ce même continent.


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