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Ecologie : piège, mystification et alternatives

posté le 01/07/13 par Un sympathisant du CCI Mots-clés  luttes environnementales 

Le livre « Le mythe de l’économie verte » (1), se présente comme une critique impitoyable de « l’économie verte », car il remet en cause bon nombre de solutions vedettes (le fracking par exemple) de cette soi-disant approche « alternative » : soit parce que celles-ci ne résolvent qu’un problème restreint, sans tenir compte de l’impact écologique destructif à long terme, soit parce que le remède se révèle plus terrible que le mal de par l’utilisation dans le cadre de « l’économie verte » de moyens qui mettent en marche des processus qui sont au moins autant, sinon encore plus polluant à moyen et à long terme.

Une critique apparemment dure de « l’économie verte » …

Dans le premier et le deuxième chapitre, la situation désastreuse est expliquée par le fait qu’on ne peut attendre aucune solution de la part du capitalisme parce que ce système considère la nature comme « un don gratuit » (2), qu’on peut utiliser à son gré.

Les auteurs essaient aussi de rechercher les racines de cette crise écologique et argumentent que celles-ci se trouvent dans l’expropriation du commons, les biens sociaux communautaires. Ils démontrent très minutieusement comment le capitalisme agit dans la dégradation de la nature et n’y porte un certain intérêt que quand elle peut être transformée en valeurs marchandes. Il en découle que tout ce à quoi le capitalisme touche en ce qui concerne la nature est voué à être saccagé ou détruit. Ils montrent enfin que « l’économie verte » elle aussi ne réussit pas à stopper les méfaits de la marchandisation de la nature, bien au contraire.

Avec des faits et des arguments à l’appui, ils décrivent comment toutes les solutions proposées déplacent seulement l’hypothèque qui pèse sur la société et essayent de rejeter la faute sur la population et « les citoyens ». Selon les auteurs, un des objectifs prioritaires est de réduire la consommation de pétrole et d’autres combustibles fossiles en tant que cause de pollution la plus importante qui doit être prise en main avec la plus grande urgence.

Ensuite, le livre porte essentiellement sur l’alternative écologique des commons - qui sont attaqués constamment par la libéralisation de l’économie - et sur l’échec évident du néolibéralisme en matière écologique. Quand il est question d’une nécessaire alternative, une critique est effectivement formulée par rapport au « socialisme réel » de l’USSR et des pays qui s’en inspirent, où la catastrophe écologique est flagrante à beaucoup d’endroits. (3) Mais dès qu›il est fait référence à Cuba, cette critique n’est soudainement plus valable. Cuba serait maintenant un exemple, le pays avec la plus petite empreinte écologique au monde, grâce sans doute à l’arrêt soudain des livraisons de pétrole après l’écroulement de l’USSR. Que Cuba a décimé l’essentiel de sa forêt subtropicale pour la culture de la canne à sucre au début des années 1960 et d’autres catastrophes écologiques, les auteurs apparemment n’en ont jamais entendu parler. Mais ce mythe-là a aussi depuis longtemps été dévoilé par des activistes cubains. (4)

… pour promouvoir la mystification « de la démocratie verte »

D’abord et avant tout, il faut dire que la science peut être une alliée de la classe ouvrière et plus largement de l’humanité. En outre, les études scientifiques qui peuvent se dégager aujourd’hui de la mainmise matérielle ou idéologique du capitalisme et de son sponsoring inévitable, sont plus que bienvenues. Pourtant la question se pose ici : Le livre explore-t-il effectivement jusqu’au fond la contradiction du système capitaliste en ce qui concerne « l’économie verte » ? Une lecture attentive de l’ouvrage permet immédiatement de relever un certain nombre de contradictions dans l’argumentation.

D’une part, il est affirmé, de façon juste, que les solutions qui sont proposées par « l’économie verte », restent strictement dans le cadre de la possibilité de réaliser des profits. D’autre part, il est dit que les commons feraient exactement le contraire. Mais pour rendre aux biens sociaux communautaires tous leurs droits, l’aide d’une régulation par l’Etat (ou par des organes qui sont contrôlés ou promus par l’Etat, comme les syndicats) est pourtant invoquée. Etant donné que la suppression de l’exploitation capitaliste n’est en rien évoquée mais uniquement une autre régulation de la consommation, il s’agit en fait de demander le soutien à l’état bourgeois qui doit être réformé « écologiquement » pour mieux servir « les intérêts du peuple ». La présentation des régimes de Morales et de Chavez et du modèle par excellence Cuba comme des exemples d’une alternative, confirment cette logique d’une régulation de l’Etat, typique du « milieu gauchiste ». Le fait que ces régimes soient non seulement totalitaires, mais aussi qu’ils aient réprimé plus d’une fois la protestation ouvrière avec violence- où des troupes ont été engagées à plusieurs reprises contre les usines en grève et les ouvriers agricoles- n’est pas mentionné.

Sur le plan des revendications, le livre est très ambigu : vanter les commons comme une action écologique créative alternative et en même temps quémander l’aide de l’Etat et des syndicats qui sont entièrement imbriqués dans la société capitaliste, c’est essayer de réconcilier l’eau et le feu. Ces derniers ne sont pas des acteurs neutres dans le contexte capitaliste : l’Etat garantit « l’ordre social global » et veille à ce que le système capitaliste puisse survivre, si nécessaire aux moyens d’élections démocratiques ou sinon par les armes. La structure syndicale s›occupe déjà depuis la première guerre mondiale de la discipline dans l’usine et ne vient jamais avec des exigences qui peuvent menacer l’intérêt national et le système. Les seuls qu’ils menacent sont les ouvriers, quand ils s’engagent dans une grève « sauvage » (comme récemment les ouvriers des sous-traitants de Ford-Genk en ont fait l’expérience).

Dans l’alternative des auteurs, ils avancent sans beaucoup de profondeur « une solution démocratique ». Mais qu›est-ce qu’une solution démocratique ? Parfois elle semble se situer - selon les auteurs –à l’extérieur du capitalisme, à d’autres moments, elle semble devoir passer via des lois rapides car « le temps presse ». Pourtant ils ont eux-mêmes constaté auparavant que toutes les mesures « de l’économie verte » vont dans le sens du système et sont destructrices pour la nature. Il n’est pas clair avec quelles mesures ils vont renverser la tendance. D’un côté ils avancent quelques « succès », comme les cas d’autogestion en Argentine, au Mexique et en Grande-Bretagne, mais plus tard il apparait que ceux-ci ne sont que temporaires… Cela ressemble plutôt à des emplâtres sur une jambe de bois !

Les arguments avancés dans le livre ressemblent parfois à ceux de la partie « réformiste » du mouvement Occupy » et « Indignados » - (Democracia Real Ya - « une véritable démocratie maintenant » - en Espagne), qui par tous les moyens a essayé d’orienter le mouvement de protestation vers des objectifs concrets au sein du capitalisme, tandis qu’au sein de ces mouvements beaucoup de tendances prolétariennes se sont manifestées qui remettaient en question le système capitaliste.

D’autres alternatives sont énumérés : « l’ensemble des pays du Sud », le prolétariat écologique, « les citoyens » conscients, mais qui sont-ils, ces 99% ? Ce qui frappe, c’est qu’aucun mot n’est soufflé à propos de la classe ouvrière. Existe-t’elle encore ? Apparemment, pour les auteurs, elle ne compte pas. A la page192, ils affirment qu’un capitalisme vert fabrique des consommateurs à la place de « citoyens » ! « Aux citoyens conscients », il reviendrait dès lors la tâche d’empêcher la catastrophe écologique. La place centrale de la classe ouvrière dans le processus de production capitaliste a disparu. Seule reste l’indignation morale « du consommateur conscient », « du citoyen ». Toute protestation est de cette façon canalisée vers la sphère de la consommation, elle est retirée de celle de la production. Il devient ainsi impossible d’avoir une compréhension fine des rapports de production capitaliste et du rôle central de la classe ouvrière dans le renversement de ceux-ci.

Finalement, la critique radicale de l’économie verte apparaît n’être qu’un rideau de fumée pour faire avaler les recettes classiques de l’extrême-gauche : l’Etat, la « démocratie populaire », la réforme de la consommation comme une alternative au sein de la logique du /profit capitaliste.

Le marxisme propose-t-il une alternative ?

A la recherche d’alternatives en dehors du capitalisme où il sera mis fin à la production pour le profit (la valeur d’échange des marchandises) et où l’usage (la valeur d’usage) sera posée comme but, nous aboutissons nécessairement chez Marx et Engels.

Deux chercheurs académiques récents en particulier - John Bellamy Foster et Paul Burkett (4) - ont fourni une importante contribution sur la vision que Marx et Engels défendaient réellement concernant le rapport entre l’Homme et la Nature. Le résultat surprend agréablement au profit du marxisme. J. Bellamy Foster avait constaté que les Verts étaient fortement sous l’emprise du philosophe anglais Francis Bacon, un penseur matérialiste, qui était à la base de la fondation de la Royal Society of London (créée en 1660). Il a trouvé cela tellement remarquable qu’il a voulu investiguer plus loin. Par Bacon et sa vision matérialiste sur la nature, exprimée dans son travail « Novum Organum », il a abouti auprès des philosophes matérialistes et Epicure, en Grèce antique, et chez Lucrèce, dans la culture romaine antique. Via ce détour, il a « redécouvert » Marx (dont la thèse traitait d’Epicure). A partir de là, il a mis en évidence que « la critique verte » était au fond « idéaliste » et qu’elle attaquait de manière totalement infondée le marxisme pour son soi-disant « productivisme », sur la base d’une critique des positions de Staline et de beaucoup de partis et de groupes d’extrême-gauches. Son collègue P. Burkett menait une recherche complémentaire et apporta encore plus de données, venant surtout du Capital partie III, Théories au sujet de la plus-value, de Marx et de la Dialectique de la nature, de Engels. Mais par manque de place dans cet article, nous ne pouvons malheureusement pas développer ce point.

Le stalinisme a trahi à peu près tous les principes marxistes possibles : l’internationalisme prolétarien au profit de la patrie « socialiste », la violation de l’art et de la culture subordonnées à l’Etat tout-puissant, l’abandon du matérialisme historique en faveur du matérialisme vulgaire, la croissance monstrueuse de l’Etat au lieu de sa suppression, la mise de côté de l’analyse des rapports de production au profit de celle du mode de production. Cela leur a permis de promouvoir comme du « socialisme » leur système de production de plus-value - et donc d’exploitation. En fait, il s’agissait d’une forme de capitalisme d’état, étant donné que les rapports de production capitalistes continuaient à exister du fait même que la plus-value était réalisée globalement par l’Etat (la conception d’un « socialisme d’Etat » avait déjà été rejetée par Engels).

Dans les années du début de la révolution russe, on s’est basé minutieusement sur les avis de Marx & Engels au sujet de la nature. Lors du développement des nouveaux complexes industriels, il a été calculé quels dommages seraient causés à l’environnement et comment ceux-ci seraient compensés, e.a. par la création de parcs naturels, les zapovedniki (entre 1919 et 1929, 61 parcs naturels ont été créés avec une superficie totale de pas moins de 4 millions d’ha), dans lesquels les régions naturelles étaient protégées comme etaloni (modèles) pour pouvoir les comparer avec les terres cultivées (5). Lors de l’industrialisation forcée sous le stalinisme, les défenseurs de cette politique ont été liquidés au propre comme au figuré, avec toutes les conséquences qui s’en sont suivies pour l’environnement (6).

Au sein de la tradition marxiste, cela a signifié un sérieux coup pour la réflexion créative concernant la nature et l’équilibre écologique. À part Christopher Caudwell (7) et Amadeo Bordiga (8) (dans Le Fil du Temps), la réflexion sur le lien indissociable entre homme et nature s’est presque totalement arrêtée jusque dans les années 1980. Les communistes de gauche autour de Bordiga se basaient sur les idées de Engels concernant la suppression dans le socialisme de l’opposition entre la ville et la campagne : « La suppression de l’opposition entre la ville et la campagne n’est pas plus une utopie que la suppression de l’antagonisme entre capitalistes et salariés. Elle devient chaque jour davantage une exigence pratique autant du point de vue de la production industrielle que de la production agricole. Personne ne l’a défendue avec plus de force que Liebig dans ses ouvrages sur la chimie agricole, dans lesquels il demande que l’homme rende à la terre ce qu’il a reçu d’elle… … » (9). Ils posent aussi : « Nous nous trouvons là en plein dans le cadre des atroces contradictions que le marxisme révolutionnaire dénonce comme propre à la société bourgeoise aujourd’hui. Ces contradictions ne concernent pas seulement la répartition des produits du travail et les rapports qui en découlent entre les producteurs, mais elles s’étendent de manière indissociable à la répartition territoriale et géographique des instruments et des équipements de production et de transport, et donc des hommes eux-mêmes ; à aucune autre époque historique, peut-être, cette répartition n’a présenté des caractères aussi désastreux, aussi épouvantables…la lutte révolutionnaire pour la destruction des épouvantables agglomérations tentaculaires peut être ainsi définie : oxygène communiste contre cloaque capitaliste. Espace contre ciment » (Bordiga, p.124 et p. 155).

Pour l’humanité, il s’agit d’arrêter le Molloch du capitalisme par la révolution prolétaire, la seule qui peut et doit renverser ce système de production. Ce n’est qu’après qu’une autre logique peut se mettre en route qui rompe radicalement avec le principe du profit, qui exploite l’homme et la nature et menace de les détruire. Comme Caudwell l’a formulé : « D’ici le temps qu’une situation révolutionnaire mûrisse, il y aura une toute nouvelle superstructurequi existera de façon latente au sein de la classe exploitée, découlant de tout ce qu’elle a appris du développement des forces productives… C’est le rôle créatif des révolutions… La révolution prolétarienne est une conséquence de l’antagonisme croissant entre la superstructure bourgeoise et le travail prolétarien ». Pour suivre ce chemin, nous avons besoin d’une analyse beaucoup plus radicale que celle qui nous est avancée par les auteurs du « mythe de l’économie verte ». Avec leurs arguments, on continue à rester prisonnier de la spirale descendante de la réflexion au sein des limites d’un système d’exploitation qui détruit tout.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

(1) Anneleen Kennis & Matthias Lievens, « le mythe de l’économie verte », EPO, Anvers, 2012.

(2) Selon Adam Smith, économiste et père de la pensée économique capitaliste.

(3) 20% du territoire immense de l’ex-URSS est gravement pollué d’un point de vue écologique pour des générations entières.

(4) voir les contributions très intéressantes de l’activiste écologique cubain, Gilberto Romero, ’Cuba’s environmental Crisis’, Contacto, Magazine. (c) 1994-96 (c) 1994-96 et deux contributions critiques provenant du milieu anarchiste : Frank Fernández, ’Cuban Anarchism, the history of a movement’, See Sharp Press Arizona 2001 en Sam Dolgoff ’The Cuban revolution, a critical perspective’, Blackrose Books, Montreal 1976.

(5) John Bellamy Foster, ’Marx’s Ecology’, materialism and nature, Monthly Review Press, Nex York, 2000. Paul Burkett, ’Marx and Nature’, a red and green perspective, St. Martins’ press, New York, 1999.)

L’unique limite des deux chercheurs est que, même s’ils partent de points de vue matérialistes basés sur Marx & Engels, ils ne se sont pas référés dans la recherche de perspectives aux expériences effectives du mouvement ouvrier révolutionnaire, entre autre à l’héritage des communistes de gauche. Ceci ne réduit en rien la valeur d’une contribution qui permet la « réhabilitation » de l’analyse marxiste de l’homme & de la nature face aux falsifications staliniennes.

D’autres sources intéressantes à ce sujet sont : J. Grevin, Myth ou the Green Economy, in Revue Internationale 138, 2009 et le scientifique qui a imaginé le concept de la biosphère et qui a aussi souffert des poursuites staliniennes : Vladimir I. Vernadsky ; « The Biosphere », Moscow, 1926, reprint Copernicus-Springer Verlag, New York, 1997.

(6) Arran Gare dans ’Soviet Environmentalism’, The Path not taken’ in ’The Greening of Marxism’, edited by Ted Benton, Guilford Press, New York London, 1996.

(7) Christopher Caudwell, Studies and further studies in a dying culture, Monthly Review Press, 1971, Men and Nature, pp151-2. Un marxiste critique qui est mort jeune pendant le guerre civile en Espagne.

(8) Amedeo Bordiga, in Espèce humaine et croûte terrestre, 341, Petite bibliothèque Payot, Paris 1978.

(9) Friedrich Engels, le problème du logement, SUN, Nijmegen


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