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Eldridge Cleaver et les Black Panthers

posté le 25/08/18 Mots-clés  antifa 

Dans l’Amérique des années 1960, la contestation s’accompagne d’une lutte contre le racisme. Eldridge Cleaver, leader des Black Panthers, associe l’antiracisme à la critique globale du capitalisme.

La trajectoire d’Eldridge Cleaver incarne toute une histoire des Etats-Unis. Dans les années 1968, Eldridge Cleaver devient une figure incontournable de la contestation. Dirigeant des Black Panthers, il devient un ennemi d’Etat, comme Angela Davis. Son autobiographie, Un Noir à l’ombre, en fait même une icône de la contre-culture. Mais, dans les années 1980, Eldridge Cleaver rejoint la nouvelle mode conservatrice des années Reagan. Régis Dubois se penche sur cette trajectoire étonnante dans son livre Eldridge Cleaver. Vies et morts d’une Panthère noire.

En 1968, Martin Luther King sait que les luttes afro-américaines rejoignent la question sociale. Le combat contre la ségrégation doit s’accompagner d’une lutte contre la misère. Il soutient désormais les révoltes des ghettos urbains et les grèves de travailleurs noirs. C’est à ce moment qu’il est assassiné. Sa mort provoque un important mouvement de révolte. Eldridge Cleaver, leader des Black Panthers à Oakland, est bien décidé à venger la mort de Martin Luther King et à en découdre avec l’Amérique raciste.

Conscience politique et contestation

Eldridge Cleaver grandit dans le Sud ségrégationniste. Il connaît la misère et surtout la violence de son père. Il fréquente les gangs durant son adolescence à Los Angeles et plonge dans la délinquance. A sa majorité, il est immédiatement enfermé en prison.

Les rencontres et les nombreuses lectures au cours de ses séjours en prison permettent à Eldridge Cleaver de se forger une conscience critique. Il se tourne vers le groupe des Black Muslims qui exprime une solidarité et lutte pour les droits des prisonniers. Il admire particulièrement Malcolm X, également délinquant qui se tourne vers l’Islam. Les discours du porte-parole des Black Muslims proposent une critique implacable de l’Amérique blanche. Malcolm X s’éloigne des Black Muslims et se tourne vers un discours anticapitaliste. Eldridge Cleaver suit la même trajectoire.

Il sort de prison et découvre un climat contestataire. Les hippies et le LSD, Herbert Marcuse et Wilhelm Reich, le rock et la guerre du Vietnam secouent l’Amérique. « Les jeunes Blancs expulsaient brutalement l’Amérike bourgeoise de leurs esprits et de leurs corps par la drogue, le sexe, la musique, la liberté », témoigne Jerry Rubin. Mais Eldridge Cleaver reste attaché aux révoltes des ghettos noirs. Les émeutes de Watts expriment la colère des classes populaires noires. Les crimes policiers et le racisme restent des motifs de révolte. Eldridge Cleaver rencontre alors des nationalistes noirs. Mais ce sont des intellectuels culturalistes qui préfèrent les bavardages à l’action. Eldridge Cleaver reste avant tout un communiste révolutionnaire. C’est sa rencontre avec les Black Panthers qui l’impressionne. Ces hommes en cuir brandissent des armes au nez de la police pour les tenir en respect. Eldridge Cleaver décide alors de rejoindre les Black Panthers.

En 1966, deux jeunes Noirs du ghetto d’Oakland, Bobby Seale et Huey Newton, créent le Black Panthers Party (BPP). Ils entendent poursuivre le combat de Malcolm X et du marxisme révolutionnaire. Eldridge Cleaver devient Ministre de l’Information du BPP. Il rédige le journal. Il dirige même le mouvement lorsque Huey Newton est arrêté pour avoir tué un policier pendant une fusillade. Eldridge Cleaver lance une véritable campagne pour sa libération. Ce mouvement dépasse le BPP et devient une cause emblématique pour la jeunesse contestataire des sixties. « Free Huey » devient un slogan mythique. Eldridge Cleaver devient un écrivain célèbre avec la publication de son livre Un noir à l’ombre. Il est invité à la télévision et soutenu par des écrivains comme Norman Mailer. Il devient une figure de la contre-culture.

Répression et divisions

Une fusillade éclate à Oakland après la mort de Martin Luther King. Un jeune militant des Black Panthers est tué par la police. En 1968, la contestation devient plus intense. Les Diggers incarnent une radicalisation du mouvement hippie. Les étudiants du SDS passent à la lutte armée et fondent le Weather underground. A Chicago, des émeutes éclatent au moment de la convention démocrate. Les Black Panthers parviennent alors à fédérer les différents mouvements contestataires. J. Edgard Hoover, le puissant patron du FBI, considère même les Black Panthers comme la menace la plus importante aux Etats-Unis.

Eldridge Cleaver risque de retourner en prison. Mais il ne renie pas son engagement politique pour se plier à la volonté des autorités. Il devient fugitif et s’exile à Cuba. Mais Castro ne veut pas entretenir de mauvaises relations avec le voisin américain. Eldridge Cleaver ne s’enthousiasme pas pour le modèle cubain. Il découvre la bureaucratie communiste. Surtout, il observe que les Noirs n’accèdent pas à l’égalité des droits. Le racisme et les inégalités restent importants à Cuba. Eldridge Cleaver s’exile ensuite en Algérie. Mais il désire continuer la lutte aux Etats-Unis.

Huey Newton sort de prison. Mais il est devenu une icône et ne correspond pas à son image devenue mythique. Ce n’est pas un grand orateur. Surtout, les Black Panthers ont changé depuis son époque. C’est devenu une puissante organisation qui s’est lancée dans la guérilla urbaine. Huey Newton reste attaché à la démarche réformiste du début, avec les actions sociales et les petits déjeuners gratuits. Mais les Panthers subissent la répression et préfèrent suivre Eldridge Cleaver et la perspective de la lutte armée. Le Weather Underground pose des bombes pour détruire des bâtiments symboliques. Le BPP subit alors des divisions. Huey Newton s’enfonce dans la drogue et la paranoïa. Il veut concentrer le pouvoir et se recroqueville sur un petit groupe de proches. Ensuite, le FBI lance le programme de contre-espionnage CONTELPRO. De fausses lettres sont envoyées pour renforcer les divisions et les rivalités au sein des Panthers.

En 1973, Eldridge Cleaver arrive en France. Il souhaite rentrer aux Etats-Unis. Mais il n’est plus le bienvenu. Les Black Panthers se sont effondrés à cause de la répression et des rivalités internes. Surtout, la contestation semble s’essouffler. Les anciens camarades ont renié leurs convictions. La mode revient au conformisme. Eldridge Cleaver lui-même renforce son patriotisme américain, ce qui s’explique par l’éloignement de sa terre natale.

Au cours d’un nouveau passage en prison, Eldridge Cleaver se convertit au christianisme et devient évangéliste. Durant les années 1980, le contexte évolue. C’est le début des années Reagan, du fric et de la réussite. Jerry Rubin et des membres des Weather Underground rejoignent le camp conservateur. L’utopie des sixties s’effondre et Eldridge Cleaver s’adapte également à cette nouvelle période. « L’esprit communautaire avait fait long feu et les idéaux politiques appartenaient à un autre temps. Tout le monde ne vivait dorénavant que pour la société de consommation et son petit bonheur personnel », observe Régis Dubois.

Black Panthers et contre-culture

Le livre de Régis Dubois permet de découvrir une figure de la contestation des sixties. A partir de la trajectoire d’Eldridge Cleaver, il décrit l’histoire tumultueuse des Black Panthers. Ce mouvement de lutte reste mythique et nourrit un imaginaire de révolte. Mais Régis Dubois évoque également les zones d’ombres de la personnalité d’Eldridge Cleaver, violent et mégalomane. Il revient également sur les limites du Black Panther Party.

Il semble important de démystifier les grands mouvements qui nourrissent l’imaginaire. Le recul critique doit permettre de sortir du folklore et de la propagande. Les Black Panthers s’affirment comme une force révolutionnaire. Ce mouvement s’oppose au nationalisme noir, plus bourgeois et culturaliste. Les Black Panthers viennent des quartiers populaires et expriment la révolte des ghettos noirs. Ils insistent sur l’auto-défense, notamment face à la police. Leur discours permet de rompre avec la posture de victime et de défense des droits. Ils luttent pour la liberté et contre le capitalisme. Leur démarche politique encourage également l’auto-organisation depuis les quartiers noirs.

Néanmoins, les Black Panthers reproduisent les travers de la culture des gangs et du marxisme-léninisme. Ils diffusent un culte de la virilité, avec des poses martiales. L’auto-défense peut prendre des formes militaristes et autoritaires. La culture marxiste-léniniste permet également d’imposer une hiérarchie, avec des ministres et des chefs. Les Black Panthers se structurent comme un gang et même comme un Etat. Cette forme d’organisation autoritaire alimente logiquement les rivalités entre chefs. L’opposition entre Eldridge Cleaver et Huey Newton recouvre des débats politiques. Mais c’est avant tout une rivalité entre deux chefs politiques. Les débats ne sont pas tranchés par des réflexions collectives, mais par des scissions brutales.

Il semble également important de relativiser l’importance politique des Black Panthers. Ce mouvement reste considéré comme très dangereux pour l’Etat et le FBI. Mais le BPP reste surtout implanté dans les quartiers. Contrairement aux ouvriers du DRUM, ce mouvement reste peu présent dans les usines et les entreprises. Sa capacité à bloquer la production économique reste limitée. Néanmoins, les Black Panthers s’inscrivent dans un mouvement de contestation global. Attaché à l’autonomie des luttes des Noirs, il participe à un mouvement révolutionnaire bien plus large. Les émeutes contre la convention démocrate à Chicago en 1968 montrent l’importance de cette contestation. D’autant plus que les Black Panthers tentent de relier les différents mouvements anticapitalistes.

Les Black Panthers ont surtout créé un imaginaire révolutionnaire. Les écrits d’Eldridge Cleaver alimentent une contre-culture. Les Black Panthers restent considérés comme un modèle pour les luttes actuelles contre les violences policières. Le retour sur l’histoire et sur les mouvements du passé permet de critiquer les erreurs à ne pas reproduire, mais peut aussi inspirer les luttes d’aujourd’hui. Les Black Panthers estiment à juste titre que la libération des Noirs passe par une rupture avec le capitalisme.


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