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Élection présidentielle et sentimentalisme

posté le 01/04/17 Mots-clés  alternatives  réflexion / analyse 

Le 16 octobre 2007, s’est tenu un Mardi de Politique Autrement sur le thème :« Élection présidentielle et sentimentalisme », avec Jean-Pierre Le Goff, sociologue, qui a publié : « Catharsis pour un changement d’époque », Le Débat, n° 146, septembre-octobre 2007.
- Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy ont développé, pendant la campagne, des discours étonnants sur la souffrance, la compassion et l’amour. Que signifie l’entrée de ce nouveau pathos en politique ?
- Comment comprendre le style et la méthode de Nicolas Sarkozy en dehors des schémas d’interprétations qui le ramènent à du « déjà connu » ?

Suite à ce Mardi, nous avons reçu ce courrier de Danièle Carsenat. Avec son accord nous le publions avec la réponse que lui a faite Jean-Pierre Le Goff.

Ce fut le 1er débat auquel nous assistions et nous avons apprécié.
A bientôt selon nos possibilités.

Danièle Carsenat-Bernardin

Mes remarques :

Religiosité croisade et pathos
Plus que de pathos il s’agit d’un retour d’une sensibilité religieuse basée sur l’affect et sur l’idée que la raison et la science n’y peuvent plus rien (lié à la perte des idéologies qui prétendaient reconstruire le paradis sur terre)
Au fond on est toujours « contre » le gel, la mort, la souffrance, les inondations et la foudre… Mais il nous manque Jupiter, Jésus et Marx.
Dans cet ordre d’idée, cette perception de souffrance sans remède appelle les miracles effectuées par des personnes charismatiques (NS et SR) mais annoncent peut être aussi croisade et recherche de bouc émissaire. Les vieux schémas peuvent encore fonctionner.

Compassion passion et action du chef de meute
Derrière le registre visible de la compassion les électeurs ont senti chez NS un réelle capacité d’action (pas seulement volonté). Tout navigateur sait que sur un bateau, même si on ne connaît pas le cap, il est bon d’avoir un capitaine qui a de la réactivité, de l’optimisme et du niak. L’énergie de NS est fortement perçue de façon animale. NS est perçu comme un chef de meute apte à sauver la meute quelque soit la complexité du danger et l’imminence du danger. Parfois la meute est sauvée par l’instinct, l’intuition plus que par la raison.

La souffrance fédère. Sa perception a été exploitée par la com mais cela va cesser.
La perception de la souffrance est plus importante que la souffrance. A ce titre la résilience inventée par Cyrulnik viendra en société comme en psychologie. Je prétends que dans peu de temps la société et les médias mettront plus l’accent sur les capacités de réaction, de résilience que sur la souffrance immobile qui vous coupe les ailes et vous scient les pattes.

Pas d’accord
Avec le modèle De Gaulle. Tout homme politique paraît nul devant De Gaulle (aristocratie du dévouement et estime du peuple). Visionnaire, prophétique, stratège désintéressé. La figure est trop forte pour que quiconque lui fasse concurrence. Prendre De Gaulle comme référent c’est s’exposer à noter sur 20 sans jamais mettre 20. L’idéal inaccessible entraîne pessimisme et erreur de jugement puisque le référent est décontextualisé. Même s’il est vrai que NS manque de vision à long terme (de vision historique). Il est victime du manque d’étude d’histoire qui est le pire défaut des nouvelles générations élevées au court terme et à l’économisme. De Gaulle était prof d’histoire et c’est cette dimension là qui était sa verticale de pensée.
Pas d’accord non plus avec l’idée que NS est le « modèle du performant sentimental ». Sarko est le performant « passionné ». En caractérologie le sentimental est un non actif secondaire. Le passionné un actif secondaire ça change tout.
Le schéma de cohérence absent chez les jeunes n’est pas propre à cette génération. Elle est de tout temps et de tout âge. Nous sommes tous incohérents et paradoxaux. Je dirais même que les Français depuis les Gaulois cultivent le paradoxe et l’incohérence. C’est le terreau du pays.

D’accord
Le problème est celui du creuset culturel.
Pour dire que l’essentiel est de réfléchir à la fonction du pouvoir.

D. Carsenat 18 oct. 2007

La réponse de Jean-Pierre Le Goff

Chère Madame,
Merci tout d’abord pour votre participation à notre réflexion et à nos débats. Le temps imparti aux réunions du Mardi ne permet pas d’approfondir vraiment les réponses données à des questions de fond, souvent difficiles, qui relèvent plutôt d’une conférence.
Vos questions nécessitent de plus grands développements que les réponses que j’ai faites mardi. Mais dans le cadre d’un échange par mail, je vais essayer de vous répondre sans plus attendre, de façon succincte et condensée, en m’articulant à chacun de vos points. Prenez ces réponses comme la poursuite d’une réflexion et d’un débat que nous menons, notamment à travers nos conférences.
Bien cordialement

Jean-Pierre Le Goff

Religiosité, croisade et pathos
Je retournerais volontiers votre problématique : les nouvelles formes de religiosité sont imprégnées de la dimension patchwork et sentimentale qui constitue un « nouvel air du temps » qui affecte l’ensemble des domaines. La religion n’y échappe pas.
D’autre part, comme vous le soulignez, nous n’en avons pas fini avec la recherche de boucs-émissaires, mais il s’agit de mieux cerner les formes nouvelles — et si j’ose dire plus « subtiles » — que celles ayant existé par le passé. Le « nouveau » me paraît être un processus de décomposition-recomposition qui intègre des éléments anciens en les recomposant autrement. Les vieux schémas à la fois se décomposent et se recomposent de façon parcellaire sans parvenir à former une totalité idéologique comme par le passé, c’est du moins mon analyse du présent.

Compassion, passion et action du chef de meute
Votre appréciation est claire : « NS est perçu comme un chef de meute apte à sauver la meute quelle que soit la complexité du danger et l’imminence du danger. Parfois la meute est sauvée par l’instinct, l’intuition plus que par la raison. » Mais personnellement je doute que le « sauvetage » soit le terme approprié pour le résultat et je défends une conception de la politique qui, sans en faire le tout, accorde une importance centrale à la raison et à l’« éthique de responsabilité » au sens de Max Weber. Comme je l’ai souligné, sans doute trop rapidement, la « capacité d’action » n’est pas qu’une affaire de « réactivité », elle implique en politique la capacité à prendre en compte une dimension anthropologique et culturelle et une vision plus stratégique qui, dans la conception que je me fais encore de la politique, implique une capacité à se projeter dans les évolutions du monde en essayant de faire en sorte qu’un peuple puisse rester « maître » de son destin. Tel est du moins ma conception de « principes régulateurs » du politique qui gardent, j’en conviens, un caractère d’idéalité et qui, comme tels, ne coïncident jamais totalement avec les faits. Certains estiment que nous en avons historiquement fini avec cette conception. Je ne partage pas ce point de vue et, dans tous les cas, il faut savoir le prix à payer pour l’abandon de ces repères structurants.

La souffrance fédère. Sa perception a été exploitée par la com mais cela va cesser._ Je n’en suis pas persuadé ou, plus exactement, le problème est à relier à la psychologisation actuelle des rapports sociaux et politiques liée à un nouveau type d’individualité. Pour que l’expression de la subjectivité souffrante et son exploitation par la com cessent, il faudrait pouvoir sortir du narcissisme ambiant et de rapports sociaux pensés sur le mode d’une relation duelle sans référents « transcendants », par la prise en compte d’une dimension historique et institutionnelle qui permette de réintégrer l’individu dans une dimension de filiation collective. Comme j’ai essayé de le souligner lors de la réunion, cette dimension ne peut pas être ramenée à la psychologie mais implique une dimension anthropologique, au sens culturel et politique.

Pas d’accord (?)
Je partage avec vous l’idée que « prendre De Gaulle comme référent c’est s’exposer à noter sur 20 sans jamais mettre 20 », avec un aspect souvent mythique du personnage. Mais il me semble quand même utile de mettre en perspective passé-présent pour mieux comprendre comment une certaine conception et une façon de faire de la politique ont changé. La mise en perspective de la politique menée aujourd’hui avec les conceptions de la modernisation et de la fonction présidentielle mises en œuvre aux origines de la vè République permet de mesurer le changement opéré et ce que je considère être la fin d’un cycle politique. Le gaullisme originaire supposait un type d’homme politique plutôt rare : « D’une intégrité qui confine parfois à l’ascétisme, ils sont trop aristocratiques pour nourrir un attachement au pouvoir et un goût de la popularité à bon marché [1]. »
Mon propos n’était pas une appréciation globale sur le gaullisme, certains aspects me paraissent critiquables. Mais la question demeure de savoir ce qui, dans l’héritage (comme chez d’autres grands hommes politiques, de droite comme de gauche, qui ont marqué l’histoire), peut encore servir de repères et non de dogmes. Je reviendrai plus à fond sur cette question et d’autres dans la conférence prévue le 5 avril.

D’accord
Je reprends vos propres termes : « Le problème est celui du creuset culturel. Pour dire que l’essentiel est de réfléchir à la fonction du pouvoir. »

Notes

[1] Giuliano Procacci, cité par Édouard Balladur, Laissons de Gaulle en paix, Fayard, Paris, 2006, p. 64.


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