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Être ou ne pas être « décolonial » ?

posté le 11/04/17 par Les amis de Juliette et du printemps Mots-clés  antifa 

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Les ""racialistes"" et leurs ami-e-s s’échinent à utiliser le terme « décolonial », et cherchent manifestement à l’imposer en dépit de toute logique. Pour s’opposer à « colonial » ou à « colonialisme », on pourrait simplement utiliser « anticolonial » ou « anticolonialiste », comme d’ailleurs c’était le cas lors des luttes d’indépendance et jusqu’à il y a peu, avant que les novlangueurs ne s’y mettent. Fièvre de la communication, quand tu nous tiens... Mais que peuvent-ils bien gagner à cette substitution de termes ?

On peut formuler une première hypothèse : puisque la prise de pouvoir principale qu’ils tentent d’opérer concerne la gestion des identités, et donc le registre de l’assignation, ils cherchent à mimer, encore, le courant américain, et ses « dé-constructions » qui commencent toujours par le bétonnage des identités figées. Le « dé- » de « décolonial », c’est donc d’abord chic et choc, smart, made in USA. On « déconstruit » au lieu de comprendre, de transformer, de s’opposer, bref de lutter contre. Et puisqu’on trouve la justification de son existence et la source de son commerce dans les oppositions binaires, on ne voudrait sûrement pas que la donne change, que l’équilibre se brise. Les identitaires ont toujours besoin de leurs doubles mimétiques pour prospérer.

Et puis c’est mensonger. On joue, en le mettant en scène, un processus fictif qui se substitue à des conflits qui pourraient être bien réels pour les remplacer par une « attitude », un way of life. Un attribut passif, une façon d’être - ou « forme de vie » comme on dit parfois à La Fabrique quand on ne parle pas de la Palestine ou de Robespierre - remplace alors la lutte. D’un positionnement forcément en devenir, travaillé par le conflit dans lequel il prend place, on fait un état permanent. Là aussi, encore et toujours, on essentialise, on se bricole une identité politique anhistorique, décontextualisée et à la prétention mil-lénaire. Ce faisant, on ne parle plus de grand-chose, mais c’est pas grave puisqu’au royaume du blabla universitaire les bavards qui brassent de l’air sont rois.

- Pourtant, pour qui s’intéresse au passé, pas si ancien, de la guerre d’Algérie, à la lutte de libération nationale qui s’y est développée, ses différents acteurs politiques et ses différents épisodes peuvent et doivent justement poser question. Prenons les porteurs de valises par exemple. À la page 15 du livre, une indigente note les identifie comme les « militants blancs qui aidèrent matériellement le FLN algérien »...Voilà que tout ce qui pouvait mériter questionnements et recherches quant à cette démarche active de solidarité concrète, est clos, avant même de pouvoir éclore, en une petite phrase stupide, à l’aide d’une qualification """ racialiste""", qui s’accompagne, bien sûr, d’une disqualification politique.
Si même à ce stade du livre, on n’a pas encore compris, ne serait-ce que grâce au titre, que « blanc » c’est pas bien, c’est à désespérer de la sagacité des lecteurs de La Fabrique.
D’ailleurs « aider », en l’occurrence, ne veut rien dire. Les appuis et aides logistiques dont il est question mériteraient tout de même qu’on y regarde de plus près. Qu’ont-ils soutenu, ces « porteurs de valises » ? De quoi se sont-ils faits les porteurs justement ?

Comment et pourquoi sont-ils intervenus dans le conflit ? Que s’est-il passé ? Quelles étaient les différentes formes d’organisations ?

Quelle place pour les questions politiques ? Quelles pratiques étaient à l’œuvre ? Où passait la frontière entre soutien et solidarité ?...

Non, rien de tout ça, on préfère, dans la droite ligne de la lecture d’État algérienne, depuis que le pouvoir politique est détenu par le FLN, continuer à jouer de la fascination anti-impérialiste, à faire encore miroiter les vieux mirages d’un peuple en lutte derrière quelques combattants courageux. Les couleurs passées des images d’Épinal panarabes trouvent donc toujours preneurs ?

Aucune subtilité dans l’analyse. Pas une ombre au tableau.

On ne s’occupera pas non plus par exemple d’épisodes moins glorieux du décolonialisme réel, comme celui baptisé ensuite « bleuite » ou « complot bleu ». Sous ce nom étonnant se niche un épisode particulièrement terrible : à partir de 1957, les services secrets français (SDECE, ancêtre de la DGSE) ont réussi à faire croire que des militants avaient été retournés, et ont pu opérer ainsi une intoxication massive auprès de responsables du FLN. Ils ont fait considérer comme traîtres un grand nombre de combattants, et particulièrement tout un pan de la jeunesse urbaine et lettrée qui avait rejoint les maquis. Les purges ont été massives et ont éliminé, entre autres, nombre de ces filles hautaines et désobéissantes, plus émancipées que ne le voulait la norme et le machisme écrasants.

- Cet épisode ignoble aurait provoqué plusieurs milliers de morts, ainsi que de nombreuses défections. Le colonel Amirouche, bigot à souhait, a bien employé ses moudjahidinesà décimer les rangs des « traîtres » que sa chasse aux sorcières produisait, promettant déjà un avenir très émancipateur pour l’Algérie bientôt indépendante.

- Rien sur ce qu’a pu être véritablement la lutte contre le colonialisme et la décolonisation chez nos « décoloniaux ». Il y aurait pourtant à dire et à comprendre, sur la place du religieux, par exemple, dans l’affaire de la « bleuite » et plus généralement dans le FLN, comme outil de répression et de contrôle social, qui pouvait passer, entre autres choses, par le fait de couper le nez des buveurs d’alcool par exemple. Pendant et après la guerre, la religion, - et c’est un rôle qui lui va bien, c’est même à ça qu’elle sert, en général -, a été un outil important dans la mise au pas de toute la population algérienne pour que le pouvoir finisse, vite, tôt, et fermement, entre les mains de quelques militaires et affairistes.

- Rien à propos de tout cela, et rien non plus sur la torture ou sur ces stalineries tardives, sans doute parce qu’on n’y connaît rien, et que ce sont, évidemment, des problèmes de « blancs ».

À la place, le « swag décolonial », dont on peut s’affubler et que l’on peut dénier aux autres, dans une crétinerie autosatisfaite.


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