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Exaspération et indignation : les limites de la contestation citoyenne

posté le 06/04/16 par Gustavo Rodríguez Mots-clés  luttes sociales 
    • Il est indéniable que la contestation citoyenne elle-même a été essentiellement télévisée. Les campements et marches des “indigné-e-s” dans l’Etat espagnol et le slogan “Estamos hasta la madre” [1] et la souffrance citoyenniste qui s’est manifestée dans ces latitudes, ont bénéficié d’une couverture médiatique plus que suspecte.
  • Tous les médias, de la presse papier ou électronique, commerciaux ou alternatifs ont indifféremment pris note de la mobilisation. Mais bien entendu, ce n’est pas le seul parallèle que l’on peut établir entre ces manifestations spectaculaires.
  • Au delà des différences apparentes -focalisées sur les particularités des revendications qu’incarnent chaque manifestation- se profile un discours commun qui vise à liquider toutes les tentatives d’élaboration d’une critique du pouvoir de laquelle découle, radicalement, la nécessaire reformulation de stratégies contre le système de domination présent, et qui se traduisent en de véritables luttes conduisant à la rupture définitive avec tout ce qui existe.

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Les processions des indignés, à la manière de processions funèbres, -chapeautées par le poète Javier Sicilia- ont réussit à éteindre préventivement tous les foyers de l’incendie insurrectionnel, remplacé par un pacifisme chronique qui révèle ainsi ses véritables objectifs et explique pourquoi la domination tolère (et justifie) ces protestations édulcorées.

Toutes ces manifestations, dans la démonstration de leurs misères s’adressent à un interlocuteur commun : le système de domination. A cette fin, elles circonscrivent leurs actions dans la portée des droits et devoirs politiques, prétendant prolonger la main d’un Etat « protecteur », censé interagir et répondre à leurs suppliques citoyennistes.

Si nous fouillons un peu les antécédents de l’indignation citoyenne dans l’État espagnol, connue aujourd’hui sous le nom de 15M (15 mai), nous pouvons retrouver les discours qui l’animent. Ainsi, nous trouvons, en premier lieu, “Democracia Real, Ya !”, Un regroupement d’activistes virtuels qui prêchent l’abstention contre le bipartisme (PP / PESOE – Parti de droite / Parti Socialiste), faisant la promotion d’une « nouvelle loi électorale proportionnelle » qui soutient la « participation démocratique et le pluralisme au travers de candidatures citoyennes et l’inclusion des partis minoritaires » dans le cirque électoral.

En second lieu, nous allons rencontrer des jeunes sans avenir, un réseau de jeunes “indigné-e-s” prétendument anti-capitalistes, réclamant du « travail » et que, pour une raison obscure, Toni Negri tente de situer dans le giron de la « gauche autonome » en les reliant à la “Izquierda Unida “ (Gauche Unie) – révélant ainsi des informations privilégiées concernant les rapprochements « tactiques » entre ce parti électoraliste et le léninisme post-moderne qui intègre cette nouvelle formation de parti auto-baptisée “Izquierda Anti-capitalista” (“gauche anticapitaliste”).

D’autre part, nous avons les différents candidats d’associations pour un « logement décent », comme l’évoque “V por Vivienda” [2] et la plateforme de Barcelone des « hypotecados » (“Les hypothéqués”). Enfin, le corps massif de la protestation est composé d’un conglomérat de citoyens « libéraux » regroupés autour de leur “indignation” face à la nouvelle crise capitaliste (contre le chômage, la précarité et les bas salaires) et de la gestion de l’Etat selon le système bipartiste au cours des dernières années. Inutile de souligner que c’est ce regroupement hétérogène qui constitue le butin que se disputent les gauchistes qui essayent, contre vents et marées, d’incorporer à leurs sectes en voie de disparition, ces nouveaux partis « citoyens » et les minorités syndicalistes.

Pendant ce temps, sur le sol mexicain, la protestation des « Hartazgo » [3] et la marche nationale “Estamos hasta la madre”, ont trouvé ses plus lointaines origines dans le discours néo-zapatiste et sa volonté de dialogue avec l’État dans la recherche de la « paix avec la justice, et la dignité dans la nation” et de développer une « nouvelle constituante » [un projet de nouvelle constitution].

La dernière raison qui a motivé cette prédication insipide de « paix avec justice et dignité » et a doté les réformateurs constitutionnels de nouvelles illusions, se situe sur la découverte, le 28 Mars, des corps de cinq jeunes, un ancien militaire et une femme, portant des traces évidentes de torture, juste à l’extérieur de la ville de Cuernavaca, dans l’État de Morelos (Mexique).

Juan Francisco Sicilia, 24 ans, qui était l’un des jeunes exécutés, est le fils du poète et journaliste Javier Sicilia, organisateur en chef de la protestation “contre la violence et pour la paix”, qui a eu lieu à partir du 6 Avril dans au moins une vingtaine de villes à travers le Mexique et d’autres parties du monde.

Exigeant que le gouvernement reconsidère sa stratégie de sécurité nationale, Silicia réalise un appel, déclarant : « Nous en avons marre de cette merde […] parce que dans leurs luttes de pouvoir le tissu de la nation s’est déchiré”, sommant les “activistes”, groupes et organisations désignées comme la « société civile » – enjoignant, avec les honneurs, “L’Autre Campagne” des néo-zapatistes -, y compris les parodies de collectifs” anarchistes ” pour appuyer les analogies faites avec la “révolution espagnole”.

Le campements (accampadas) des “Indignés” de l’État espagnol, et les marches et caravanes de “Estamos hasta la madre”, sont le fondement privilégié des nouvelles courroies de transmission du dialogue avec le pouvoir. Le “citoyennisation” de la contestation implique ses propres limites. La « citoyenneté » pondérée est une foule domestiquée : la masse subordonnée à l’Etat.

Donc, aucune contestation citoyenne ne vise à contester le système de domination, et encore moins avec l’intention de le détruire, mais seulement de tenter de travailler à sa mise à jour et sa réorganisation : d’où son insistance obsessionnelle concernant la « participation » et les réformes. Ce qu’elle souhaite, c’est repeindre la devanture du système de domination. Contribuer à changer son apparence, lui donner un visage plus « humain ».

Le mouvement « Democracia Ya » n’est qu’une transformation cosmétique de “la démocratie réellement existante”. Le mouvement “Estamos hasta la madre” est quant à lui une mutation esthétique du spectacle qui ne fait que prolonger le simulacre. La « société civile » est le grand architecte de cette farce.

Elle impose la soumission démocratique. Même plus besoin de détruire le l’Etat-Capital, vous serez secourus par la participation de tous et toutes, encore et toujours, avec la promesse d’un retour au regretté Etat providence. Tout se résume à accroître le développement économique, c’est à dire à nous donner plus de capitalisme et à concrétiser de nouvelles lois : plus de contrôle électoral qui favorise “la proportionnalité et le pluralisme”, les mesures anti-inflationnistes qui empêchent les pénuries, les règlements du code du travail afin d’assurer de meilleurs salaires, les programmes de logement, l’accueil équipé pour les sans-abris, des fonds d’épargne pour alléger le système de santé publique hypothéqué afin d’assurer ses services gratuitement, et les stratégies, les ordonnances et les codes pénaux pour mettre un terme à “l’insécurité”, en finir avec la “délinquance” et confiner dans leurs casernes les soldats jusqu’à nouvel ordre … Bref, donner plus de pouvoirs à l’Etat. Mais, apparemment, ne vous inquiétez pas : nous y gagnerons.

Pour abréger : plus de capitalisme et tous les pouvoirs à l’État, géré par le gauchisme – avec, pour couronner le tout la bénédiction du Négrisme et le soutien inconditionnel de la Chomskymania – parrainant la chimère triomphaliste à travers le dialogue et la participation, et une invitation à l’auto-gestion de l’oppression.

La seule auto-gestion possible, en période de soldes et de récessions, est l’auto-gestion de la lutte. Toute autre proposition “d’autogestion” réaffirme le système de domination, qu’elle provienne de l’idéologie citoyenniste, de la démagogie populiste, du verbiage ouvriériste, ou autres vieilles recettes sous formes de plats pré-cuisinés disponibles au supermarché le plus proche.

Gustavo Rodríguez

Traduction de l’espagnol par Le Cri Du Dodo

Titre original : “Hartazgo et Indignación : Límites de la protesta ciudadana”

[1] “Estamos hasta la madre…”, soit à peu près “On a en marre de cette merde”. Texte sous-titré “Carta abierta a los políticos y a los criminales”, (“lettre ouverte aux politiciens et aux criminels”) de Javier Sicilia, Procession du 3/04/2011. Disponible en espagnol ici : http://www.proceso.com.mx/rv/modHome/detalleExclusiva/89858

[2] “V por vivienda”, signifiant littéralement “L pour Logement”. Le jeu de mot est évidemment une référence à “V pour vendetta”.

[3] “Hartazgo” est un mot essentiellement utilisé au Mexique qui signifie à la fois “satiété” (ou “saturation”) et “exaspération”, et dont la traduction dépend du contexte. Bien que l’ayant traduit dans le titre, nous avons préféré le laisser tel quel dans le texte puisque c’est le nom de leur mouvement. En contexte, ce peut être un synonyme de l’expression “Basta” (“Yen a marre” ou “dégage”).


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