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Fatma Oussedik : « Lorsqu’on observe le statut fait aux femmes en Algérie, on ne peut qu’être féministe »

posté le 27/11/18 par http://www.reporters.dz/thema/item/104356-fatma-oussedik-sociologue-et-feministe-lorsqu-on-observe-le-statut-fait-aux-femmes-en-algerie-on-ne-peut-qu-etre-feministe Mots-clés  féminisme 

Par Wafia Sifouane, 26 novembre 2018

Reporters : Chaque 25 novembre, l’Algérie célèbre la Journée mondiale de lutte contre les violences à l’égard des femmes. Quelle est votre appréciation générale de la condition féminine en Algérie ?

Fatma Oussedik. Cette journée est importante, car elle est une journée de rencontre et de réflexion commune pour les féministes algériennes, car elles existent. Je pense pourtant que la position féministe reste difficile à assumer en Algérie, alors qu’elle est une nécessité pour les femmes et pour l’ensemble de la société, une société qui n’en peut plus du surplace ! Et, concernant les changements nécessaires, lorsqu’on observe le statut fait aux femmes, on ne peut qu’être féministe. Car comment accepter toutes les violences qu’elles subissent, dans la famille, dans la rue ou au travail sans se sentir bouleversé, sans s’engager que l’on soit homme ou femme.

Pour autant, je ne pense pas que la situation des jeunes hommes soit enviable, aujourd’hui. Plus précisément, je considère que le code du statut personnel, cet infâme code de la famille, leur donne un sentiment de puissance sur les femmes qui masque leur statut social réel, car ils n’ont pas accès à la citoyenneté et un grand nombre n’accède pas davantage à l’emploi, au logement, pas même au statut d’individu responsable.

Dans le même temps, les femmes étudient, certaines travaillent, leur position dans la famille change. Je crois qu’il y a là un nœud de contradiction central pour la société algérienne : une société qui change, des hommes et des femmes qui aspirent à des transformations et un statu quo pesant. Cela ne présage rien de bon, car les réseaux sociaux informent la population algérienne des conditions de vie ailleurs. Aussi, être féministe aujourd’hui en Algérie, c’est tenter d’accompagner les pulsations de sa société et se battre pour la redéfinition d’un être femme. Il s’agit donc, dans ce contexte, de nécessaire changement, de refuser la violence comme seule modalité d’action.

A observer ce qui se passe dans notre société, nous constatons que nous faisons face à un véritable paradoxe. D’un côté, on affirme que l’Algérie est bien située en matière de protection des droits de la femme et, d’un autre, on retrouve sur terrain des femmes victimes de toutes les formes de violence. Quelle explication donnez-vous à cela ?

Je dois dire que nous sommes soumises, par ces discours, à des effets de représentation, à ce que, déjà par le passé, j’avais défini comme « le Palais du Vent », que l’on voit à Jaipur. Un édifice. Ici des textes de loi qui ont l’apparence d’être l’expression d’une volonté de l’Etat de combattre les violences contre les femmes, alors qu’une lecture attentive des textes montre que l’Etat n’assume pas son rôle de protecteur des plus faibles.
C’est ce que montre, dans la dernière loi, l’article sur le pardon accordé par la victime. Cet article doit être amendé.

En effet, la rationalité voudrait, comme partout ailleurs, que la victime donne son pardon après que justice ait été rendue.
De même si la femme se désiste, l’Etat doit poursuivre l’action et se constituer partie civile.

Notre association avait défendu cette position avant le vote de la loi, car nous connaissons, au quotidien, les conditions des femmes victimes de violences.
Chez nous, la famille, la société, les policiers, les juges parfois, pressent la victime à pardonner avant tout procès. Cette victime est souvent une femme dépourvue de moyens, qui n’a nulle part où aller car les familles ont changé et donc, avec, la solidarité familiale. Confrontée au fait d’être socialement démunie, parfois bien qu’elle ait travaillé durant des décennies, cette femme ne peut que pardonner. Cet article sur le pardon vide la loi de son contenu.

A propos des violences faites aux femmes, beaucoup considèrent les femmes comme complices soit de par leur silence ou bien par le fait de cautionner ces violences. Qu’elle lecture faites-vous de ce fait ?

Il faut rappeler que les femmes, bien qu’ayant largement bénéficié de l’effort de scolarisation, ne sont que 17% de la force de travail. De même, alors qu’elles redoublent moins que les garçons, elles abandonnent davantage l’école. Nous ne parlerons pas du logement tant elles sont peu présentes dans les programmes de distribution. Je ne vais pas rajouter qu’alors que nous voyons nos amies tunisiennes avoir des acquis, dans le sens de l’histoire, nous voyons notre statut social se précariser. Comment alors ne pas comprendre qu’aujourd’hui encore, le seul projet offert aux filles est de s’attacher à un homme. Ceci dans n’importe quelle condition.

Les luttes des femmes y compris dans le champ universitaire sont aujourd’hui en recul... Vrai ou faux ? Vous militez depuis des années auprès du réseau Wassyla. Quelle est votre appréciation du travail qu’effectue cette association ? Pourquoi, selon vous, les voix des associations paraissent si peu audibles ?

Votre question montre que vous n’avez pas observé que depuis quelques années des jeunes femmes ont rejoint et même créé de nouvelles associations féministes. Les formes de lutte changent aussi et c’est bien.

Je crois sincèrement, en effet, que le mouvement associatif, dans son ensemble, doit s’interroger sur ses moyens d’action. Je considère, à titre personnel, que le système politique a réussi à « digérer », d’une certaine façon, la société civile. Il lui a désigné des lignes rouges, des modalités d’action, des lieux d’action et nous devons redéfinir nos modalités d’action pour être entendues par la société.

Nous pêchons d’abord par absence de concertation. D’autre part, il faut signaler la notion « d’expert » qui a réussi à vider la notion de militante de tout sens, à « désinnerver » les luttes.
Nous tentons, au réseau, de conserver une dimension de réflexion en plus d’engager des actions, mais cela est difficile.

L’Algérie est aujourd’hui dotée d’un véritable arsenal juridique pour protéger la femme de la violence, ces textes de lois sont-ils suffisants pour dissuader les éventuels agresseurs ?

Je crois avoir en partie répondu à cette question précédemment, mais je dois vous dire que je ne crois pas, si on lit régulièrement les faits divers dans la presse, que les agresseurs soient dissuadés.

L’Etat doit affirmer plus nettement, plus clairement, son engagement auprès des victimes. Alors que ce qu’il fait aujourd’hui, c’est prétendre réaliser les engagements internationaux auxquels il a souscris, alors que, par ailleurs, il sait que de tels textes accompagnent un accès à la citoyenneté, une citoyenneté qu’il n’accorde pas plus aux Algériens qu’aux Algériennes.

De plus, ces textes montrent, dans leur libellé, qu’il ne souhaite pas s’aliéner les forces les plus radicales. Il compte sur elles pour tenir la famille, c’est-à-dire la société.

En Tunisie, le Conseil des ministres vient d’adopter la loi sur l’égalité successorale entre l’homme. Une première étape avant qu’elle ne soit débattue au Parlement dans les prochaines semaines. Quelle est votre appréciation de ce qui se déroule dans ce pays voisin ? L’Algérie peut-elle en faire de même ?

Attendons le vote de la loi en Tunisie. Nous espérons que cela sera fait. La Tunisie dispose de dirigeants éclairés qui, dans la situation difficile dans laquelle ils sont placés, défendent un héritage, dont un capital sympathie à l’international que nous ne possédons pas. Dans ce pays, les femmes constituent de plus une force sociale qui a une conscience aiguë de ses acquis.


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