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[Garap] La famille, berceau du capital

posté le 26/10/17 par Groupe d'Action pour la Recomposition de l'Autonomie Prolétarienne - Communiqué 63 - Septembre 2017 Mots-clés  réflexion / analyse 

La vie dans la famille n’est pas la vie pleine ; les jeunes gens se sentent frustrés, diminués, distrait d’eux-mêmes quand ils sont dans le cercle de la famille. [...] Il faut sans doute que les individus soient déjà chacun une architecture pour que l’ensemble qu’ils composent ne soit pas une absurde caricature.

    • Robert Musil, L’homme sans qualités

Pour la plupart des gens, la famille est un petit cocon, rassurant et douillet. Abondamment porteur de chaleur, de soins et d’attention, ce cocon s’affiche comme un refuge protecteur face à un monde qui menace, qui demeure extérieur et incompréhensible.

En réalité, la famille c’est l’enfermement. Étroite et close, repliée sur elle-même, elle est une véritable prison affective et idéologique. Son ciment, c’est l’amour exclusif. Angoissé, étalé avec fièvre, il colle comme de la boue et retient les individus à l’intérieur de son nid protecteur. L’environnement familial constitue dès lors l’horizon ultime (aussi immédiat soit- il), la totalité de la vie (aussi bornée soit-elle). La famille devient le centre de l’existence individuelle, la valeur qui mesure toutes choses, une fin à elle toute seule1. La société n’existe plus que comme extériorité froide et hostile ; les autres êtres humains ne sont plus que de grisâtres et lointaines silhouettes, tantôt neutres tantôt suspectes. La peur de l’Autre est entretenue par le flux continu de l’ «  info  », la bêtise s’accroît à mesure que la vie se replie sur du vide.

La famille est une communauté organique bien ordonnée. Chacun de ses membres y trouve une place, figée et réifiée. L’habitude, devenue nature, les rassure. Leur conscience bornée fait écho à leur vie quotidienne. Répétant les mêmes gestes, tous les jours, inlassablement, comme un éternel retour du même, les individus se laissent passivement porter par le rythme plat de la mort. Enchaînés à leur quotidienneté, ils en oublient le bonheur. Résignés, les adultes trouvent un sens dans la gestion de leur petit ménage, tandis que les enfants se replient sur leur petite individualité qui, détournée de la vie, se sclérose et s’assèche. Affairés à leurs petites occupations, satisfaits de leur petit pavillon, ils abandonnent les chemins enchanteurs de l’avenir et du rêve, et délaissent les étincelles créatrices qui sommeillent au fond d’eux. En apparence dégagés des souffrances aiguës infligées par la vie, ils ne font que refouler une frustration infinie.

La famille enserre les individus qui la constituent. Elle serre ses griffes sur leurs ailes sensibles, qu’elle lacère et mutile. Quand, lasses de la domestication, les passions se soulèvent pour partir à la conquête des possibles, elles se heurtent au solide couvercle qui pèse sur elles. Alors elles s’assombrissent et retombent tristement sur le sol stérile de leur malheur. L’oiseau épris de liberté se change en une chauve-souris solitaire, qui s’enfonce et s’égare dans d’obscurs dédales tapissés d’angoisse et d’idéologie. Et elle tourne en rond dans sa caverne d’ennui, jusqu’à ce que la bêtise l’assomme ou que la folie l’aliène.

Loin d’être un refuge protégé du reste de la société, la sphère de l’intime et de la vie privée est au contraire la complice la plus servile de la conservation de ce monde : elle en est non seulement le pur produit, mais aussi l’instigatrice. Contrairement à l’idée répandue selon laquelle Mai 68 aurait causé le déclin des vieilles institutions (comme l’école ou la famille), l’institution familiale subsiste toujours, seule sa forme a changé2. La famille traditionnelle ou patriarcale a en effet, à partir des années 60-70, laissé place à d’autres modalités d’existence de la famille : nucléaire, monoparentale, homoparentale ou recomposée3. Il n’y a pas aujourd’hui de déclin de la famille car, à travers son changement de forme, sa fonction demeure plus que jamais : la famille est toujours le regroupement humain premier qui, indissociable de la propriété privée et du travail aliéné, a pour fonction matérielle la reproduction de la force de travail et des rapports sociaux, et pour fonction idéologique le conditionnement et l’encadrement des individus.

Parce qu’elle est l’un des fondements matériels du capitalisme, la famille est l’outil privilégié de l’acceptation du travail aliéné. L’idée que l’on doit fonder un foyer, «  gagner sa vie  » (c’est- à-dire en être dépossédé) en travaillant et ne plus rien demander à personne est aujourd’hui une évidence, et même un pur précepte moral rigoureusement sanctionné. Considérée comme le point de départ et la finalité de la vie, la famille muselle toute critique du travail4 (et donc du capital) et trace le cercle de l’aliénation généralisée. Subsister et parvenir, l’ambition et la concurrence, telles sont les valeurs qui président à la vie familiale. Si la bourgeoisie se délecte de cette réalité sociale qui ne fait que servir ses propres intérêts, le prolétariat lui, y perd toute son humanité. Le cercle mortifère famille-travail-famille se referme sur lui, et enferme les individus dans ses petites cellules séparées, juxtaposées comme les appartements ou les pavillons qu’ils habitent, seulement reliées entre elles par l’identité de leur fonction et de leur condition, et non par le développement d’une conscience et d’une solidarité de classe qui, en reliant de manière concrète les parties atomisées du prolétariat, dépasserait la conception bourgeoise de la liberté individuelle et menacerait la subsistance de ces cellules. Assignés à résidence derrière les quatre murs de leur isolement, complètement séparés de la sphère politique dont s’est emparée l’État bourgeois, n’ayant plus que le travail aliéné et l’étroite famille pour tout horizon social, les prolétaires demeurent extérieurs à leur rôle historique. Ils abandonnent l’aspiration à une vie universellement ouverte et concrète, ils occultent les chemins de liberté que les prolétaires en lutte défrichèrent au cours de l’Histoire et qu’ils nous offrirent en héritage. Par leurs rêves d’ascension sociale et le désir de voir leurs enfants «  réussir  », les parents, prêts à tous les sacrifices pour atteindre ce but, dressent leur progéniture à l’acceptation totale de leur servitude, la mettent en concurrence avec celle des autres familles (de la même manière que les individus atomisés sont mis en concurrence les uns avec les autres5), et tracent pour elle la droite route qu’elle devra suivre avec docilité : arrivés au seuil de l’âge adulte, les enfants quitteront le chemin des écoliers pour emprunter celui qui les mènera le plus directement possible jusqu’à la sainte Entreprise, laquelle est aussi dénommée «  Grande famille  ». Le patron s’affichera comme un généreux bienfaiteur, un bon père de famille, et, recouvert du masque mystifiant de la Bienveillance, continuera pour notre salut à tous d’entretenir la réalité crue des rapports d’exploitation.

Aujourd’hui la famille – ou les ménages, comme aiment à le répéter les experts – est le lieu par excellence où s’écoule la marchandise, où les produits sont consommés. Les nouvelles formes de la famille sont l’expression de l’adaptation de cette institution à un monde désormais intégralement imprégné de valeur marchande, un monde de mort où l’Homme, irrésistiblement emporté par le tourbillon totalitaire d’une production qui lui reste extérieure, n’est plus rien. Complètement structurée par l’être social capitaliste dont elle est une partie et qu’elle est destinée à servir, la famille aujourd’hui est une véritable école de la consommation, où l’on apprend à considérer comme naturels l’humiliation et l’abrutissement que nous impose la société spectaculaire-marchande. Dans notre monde renversé, tous les individus sont la propriété du capital et les parents, en éduquant leurs enfants en vue non pas de leur autonomie mais de leur dépendance aux choses, se mettent au service du phénomène de réification (et donc de la domination de classe qui lui est sous-jacente). Une des fonctions de la famille est de générer des êtres standardisés, sans individualité ni qualités, indifférenciés dans leur égal assujettissement à la marchandise. On assiste à une situation paradoxale où les liens familiaux traditionnels d’autorité et de subordination, lesquels subsistent toujours, sont redoublés par des liens neutres, impersonnels et abstraits, indifférents à l’âge ou au sexe des individus, résultant du caractère interchangeable des consommateurs. Par exemple, les parents obéissent aux caprices de l’enfant-roi, et lui-même est assujetti à l’autorité et au caprice de ses parents, qui en sont les propriétaires. Lorsque les désirs immédiats de chacun sont trop antagonistes, alors on se replie sur sa petite sphère individuelle, prolongée à l’infini par les outils numériques au moyen desquels on s’évade, qui nous apaisent tout en achevant de nous anéantir. Dans notre monde réifié où les choses sont considérées comme un donné naturel qui épuise tout ce qui est et tout ce qui peut être, les individus n’ont plus que la soumission à leurs désirs immédiats pour unique attribut. Ils deviennent incapables de mettre de la distance entre leur désir et sa réalisation, et donc de surmonter les contradictions qu’ils rencontrent, de redevenir les acteurs conscients de leur histoire, de se révolter en vue de la réalisation d’une communauté humaine concrète, devenue maîtresse de la totalité de ses forces productives. La cellule familiale détourne les prolétaires de leur révolte, arrache leur conscience à son sens révolutionnaire et les rend toujours plus extérieurs à eux-mêmes. Dépourvus de tout repère historique, séparés les uns des autres par l’absence d’un ancrage concret dans la lutte, ils réduisent le contenu de leur liberté au choix égoïste entre tel ou tel produit, exposé derrière la grande vitrine de leur dépossession, prêt à être consommé afin d’alimenter leur survie.

Parce qu’elle fragmente l’humanité en petites cellules repliées sur leurs intérêts particuliers, la famille est un redoutable agent de la conservation de la société capitaliste :

  • Forme réifiée et mécanisante de la société bourgeoise, la famille compartimente les individus, réprime leurs désirs d’humanisation et les réduit violemment à leur seule force de travail ou à leur qualité de consommateur. Ils adoptent alors la fausse conscience qui découle de cette assignation : le travail et la famille deviennent pour eux une fin en soi. Ils ne voient pas que leur isolement et le monde des choses ne sont qu’une apparence derrière laquelle se cache une totalité sociale unifiée et une violente domination de classe. Ils acceptent de voir toutes les relations humaines et tous les aspects de la vie prendre la forme de la marchandise, qui dès lors, constitue un horizon indépassable.
  • L’existence de la forme sociale «  famille  » est l’expression de la séparation entre le social et le politique, la sphère du particulier et celle de l’universel : le pendant nécessaire de la famille est l’État, lequel se renforce à mesure que les individus se replient sur leurs intérêts particuliers. La famille est donc le lieu de la dépolitisation forcée des individus. D’essence fondamentalement contre-révolutionnaire, elle empêche l’émergence d’une conscience et d’une solidarité de classe, du politique dans la vie quotidienne des prolétaires. En tant qu’agent privilégié de la séparation et de la dépossession, elle s’oppose à la constitution du prolétariat en une classe pour soi, à la lutte révolutionnaire pour l’édification d’une communauté humaine, universelle et concrète 6.
  • Aujourd’hui plus que jamais, la famille constitue une telle évidence7 qu’elle en est véritablement devenue sacrée. S’attaquer à la sainte famille est un acte périlleux, blasphématoire, tout aussi outrageant que l’hérétique critique de la sainte propriété ou celle du travail aliéné. On dote communément ces trois institutions d’une existence naturelle et éternelle, et pourtant, tirant leur existence de l’Histoire humaine, elles périront dans l’Histoire. Lorsque la conscience sortira victorieuse de la lutte à mort contre l’inconscience, lorsque le prolétariat deviendra acteur de la transformation révolutionnaire de l’être social, alors la propriété pourra être abolie sous toutes ses formes au profit d’une appropriation humaine de la totalité des forces productives, le travail ne s’identifiera plus à la dépossession mais à la réalisation de l’humain, et la famille telle que nous la connaissons sera remplacée par d’autres formes sociales, ouvertes, fondées sur les principes d’autonomie et de liberté.

Annexe : Dieu, famille, Capital

L’affaire semblait entendue : Mai 68 aurait eu raison des valeurs traditionnelles : famille, patrie, État, religion... Dans sa lignée les efforts valeureux des théoriciens de la «  french theory  » et du postmodernisme auraient achevé le travail et porté l’estocade. La «  déconstruction  » triomphait. C’est alors que Michéa arriva...

Il ne fut pas le seul à vrai dire. De façon plus (Lasch, Clouscard...) ou moins (Soral, Zemmour, Sarkozy, Le Pen...) subtile, des théoriciens, des journalistes, des hommes politiques, parlant souvent au nom d’une classe ouvrière ou d’un «  peuple  » affreusement humilié, écrasé, réduit au silence, firent savoir que le balancier avait un peu trop versé du côté du mouvement, du progrès, de la modernité, de la dissolution systématique des valeurs établies et qu’il convenait de le ramener dans l’autre sens, celui de l’ordre, de la stabilité, de la durabilité et de la tradition. Les oscillations d’une pendule n’ont jamais permis le dépassement d’un problème : elles caractérisent une pensée binaire qui est à la dialectique ce que le zoo est à la vie sauvage.

La tradition8 (pas plus, n’en déplaise à certains9, que la religion) ne s’oppose pas à la modernité. L’ «  éternité  » n’est que faussement opposée à l’obsolescence et au caractère éphémère de la marchandise. «  Enracinement  » et «  déracinement  », tradition et modernité, droite et gauche, État et marché, autant de fausses alternatives dont se nourrit le système, et qui font partie de son fonctionnement. Aussi profond qu’elle s’enfonce, c’est dans le capital que la «  tradition  » plonge ses racines, et aussi haut qu’elle monte, elle n’atteindra jamais que le ciel de la marchandise.

Ce qu’oublient les critiques métaphysiciens du Progrès en soi, de la Nouveauté en soi, de la Croissance en soi, c’est que, dans le monde dans lequel nous vivons, il n’est de progrès et de nouveauté que marchandes. Le Progrès n’est que celui de l’écoulement des choses et des marchandises et le «  mouvement  » (ou la «  réforme  ») que celui des forces productives produisant pour le marché. Les marchandises se succèdent et se remplacent : il n’est d’ «  éternel  » que leur mouvement, ce mouvement que les hommes contemplent, passifs, et auquel ils ne peuvent participer que par leur argent ou leur travail aliéné.

Aussi longtemps qu’ils ne sortiront pas du cadre du système marchand et du capitalisme, les hommes verront tous leur progrès leur échapper : leurs gestes et efforts ne serviront qu’à nourrir et renforcer la machine qui les détruit. Toutes leurs aspirations seront «  récupérées  » et retournées contre elles-mêmes. Le capitalisme a su récupérer toutes les aspirations au progrès, au changement, à la réforme, à la révolution et les intégrer à son système. La mobilité est ainsi devenue une contrainte, le progrès une religion et la modernité une obligation : il faut s’adapter, «  bouger  », vivre avec son temps.

Rien ne serait plus tragique cependant que de vouloir simplement inverser l’injonction et retourner la sentence, comme le font les idéologues susnommés. Ainsi, au lieu d’opposer au progrès des choses le progrès des hommes, certains préfèrent revenir à la tradition et à la religion. Lorsque, lassés des «  joies  » éphémères de la marchandise et de l’argent, fatigués du flux incessant des choses et des modes, les hommes tournent leurs regards vers le ciel, la religion s’offre à eux comme un refuge inespéré. Telle la montagne dominant au loin la ville et ses rumeurs, Dieu trône au-dessus du monde des marchandises, comme un repère rassurant. Le père suprême, pilier de l’ancien ordre patriarcal, a pris les hommes sous son aile et leur offre sa protection. Il est l’image de l’éternité dans un monde où tout s’écroule et s’effondre, la puissance ultime à laquelle il faut se plier, bref la garantie dernière de l’aliénation...

Car, loin de s’opposer au monde de la marchandise, Dieu est la marchandise-reine, celle qui subsiste quand toutes les autres s’affaissent. Tant que les hommes auront recours à Dieu, ils ne sortiront pas de la préhistoire. Ce seront toujours des enfants, incapables de décider par eux-mêmes et ayant besoin d’un maître invisible pour leur prodiguer ordres et conseils. La persistance de l’État et la survivance de Dieu au XXIième siècle sont les symptômes d’un même mal, celui de la capacité du Capital à se maintenir en vie et de l’incapacité des hommes à le renverser. Dieu, expression de la séparation de l’homme et de son être social, étend son ombre, là où les hommes ont renoncé à combattre cette société. Il est la porte de sortie illusoire d’un monde qu’on a renoncé à combattre, et ouvre sur le vide...

Chacun pour soi et Dieu pour tous ! Incapable de s’unir, ayant renoncé à agir, l’humanité se déchire et se sépare en foyers rivaux. Garant de l’existence de l’État et du capital, comme de tout ce qui assure la séparation des hommes, la religion l’est donc aussi de la famille. Elle murmure les rigides refrains de la morale, et déverse pour elle des flots de sermons destinés à sa conservation. Opérant la négation de la négation de la famille patriarcale, elle réassigne la femme à un rôle conservateur, celui de procréatrice et de mère de famille. Les gouvernements votent des lois contre la contraception10, tandis que la femme se cache vertueusement derrière le voile de la soumission10 à Dieu, au mari, au spectacle. Elle reporte alors toute son énergie sur ses enfants, sur la sphère privée, et, de manière inversement proportionnelle, se sépare de l’action politique et de l’universel. Isolée de ses semblables, confinée dans ses quatre murs, à l’ombre de dieu, du mari, du foyer, elle renonce à se révolter et à s’identifier au prolétariat et à ses luttes. Le «  degré de l’émancipation générale  » étant la mesure naturelle du «  degré de l’émancipation féminine  », et inversement, dans notre société aliénée, ni la femme ni l’homme ne sont libres. Le troupeau humain est bien gardé ; l’ordre capitaliste est rassuré.

Notes : ________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

[1] Ça, c’est du point de vue du sujet individuel, qui s’éveille et découvre la vie à partir de son environnement social premier : la famille. Du point de vue de la société, la valeur finale n’est autre que le capital et sa valorisation.

[2] Il en est de même pour la répression sexuelle : la liberté sexuelle revendiquée à partir des années 60 en France, fut récupérée par la société totalitaire-marchande, qui, à la répression traditionnelle fondée sur la morale et le patriarcat, substitua une autre forme de répression, la répression marchande. «  La reproduction sociale est largement garantie par la canalisation systématique des besoins pulsionnels et de leur satisfaction : par la commercialisation de la sexualité («  désublimation répressive  ») et par la libération de l’agressivité primaire non seulement dans les guerres impérialistes (la massacre de My Lai, etc.), mais dans la criminalité croissante et dans la brutalité de la vie quotidienne  » (Marcuse, Actuels : «  Echec de la nouvelle gauche  », 1975). Derrière son apparence permissive, la liberté d’acheter et de consommer est en réalité fondamentalement répressive. Elle réifie les êtres humains, ne satisfait pas leurs besoins véritables, détourne leur révolte et trouve son complément indispensable dans l’agressivité et la réaction. Entre d’une part la soumission à l’ordre traditionnel et d’autre part la «  liberté  » marchande, il n’y a pas à choisir : il s’agit d’abolir l’une et l’autre de ces formes d’aliénation et d’œuvrer à l’édification de la société communiste, qui seule assurera aux êtres humains les conditions d’un épanouissement individuel réel et authentique dans tous les domaines de la vie.

[3] La prétention de la famille à rester en dehors de l’histoire et du temps, son caractère autarcique supposé n’auront finalement pas résisté au développement de l’abondance marchande. C’est de là, en dernière analyse que vient le changement de forme de la famille, le passage d’une forme stable et fixe dont le ciment est le mariage à des formes plus souples et éclatées, se traduisant par une libéralisation des mœurs, évolution dont Mai 68 (sous son aspect culturel) fut le symptôme, plutôt que la cause.

[4] Le fait de pouvoir travailler est même considéré par les idéologues bourgeois comme un vecteur important d’émancipation des femmes. Le passage de la famille patriarcale à la famille moderne, s’il exprime une libération (relative car prenant la forme de la marchandise) des femmes et des hommes du point de vue de la morale et de la sexualité, ne peut pourtant pas être considéré comme une émancipation des femmes du point de vue du travail : le passage du travail domestique au travail salarié met les femmes à égalité avec les hommes dans la mesure où désormais chacun doit vendre sa force de travail pour pouvoir survivre. Il s’agit d’un passage d’une aliénation (travail domestique) à une autre (travail salarié), les deux pouvant d’ailleurs très bien cohabiter. Hommes et femmes sont devenus égaux dans l’aliénation. Dans la société communiste au contraire, hommes et femmes seront égaux dans la liberté.

[5] Forme bourgeoise d’enrégimentement et de repli sur soi des individus, la famille (comme toutes les fausses communautés créées par l’ordre bourgeois) n’est qu’un individualisme à plusieurs, avec sa logique de fermeture à l’autre, son particularisme réactionnaire et agressif, sa fausse conscience et l’assujettissement qui nécessairement en découle.

[6] La critique de la famille est un préalable à l’émergence d’une conscience et d’une solidarité de classe, mais elle en est aussi une conséquence. La famille en effet perdra peu à peu son emprise idéologique et matérielle sur le prolétariat dès que celui-ci commencera à se constituer en une classe pour soi et à entreprendre une critique radicale théorique et pratique du système capitaliste.

[7] Voir par exemple le succès des revendications bourgeoises que sont le «  mariage pour tous  », le droit à la PMA et le droit à la GPA. Le mariage et la parentalité biologique (de loin préférée à l’adoption, ce qui montre que ce n’est pas l’universalité de la liberté et de l’autonomie qui est le souci premier des éducateurs, mais la possession égoïste et narcissique d’un enfant à soi, qui appartiendra toujours à sa famille) sont aujourd’hui encore des valeurs importantes dont on ne peut plus pointer le caractère bourgeois sous peine d’être qualifié de réactionnaire. De même8 9 10 11 que les femmes sont aujourd’hui les égales des hommes du fait de leur égale exploitation au travail, c’est dans le droit au mariage pour tous (et non dans la révolution sociale en vue de l’édification d’une société communiste libérée de l’aliénation et de l’exploitation, donc aussi de la répression sexuelle) que les couples homosexuels recherchent leur égalité avec les couples hétérosexuels.

[8] Faites au nom de la tradition et contre la modernité incarnée par le système qu’elles combattaient (République de Weimar, ou régime du Chah), les «  révolutions  » nazies et iraniennes n’ont fait en réalité que renforcer et moderniser le système marchand.

[9] Aujourd’hui, nombre de «  révolutionnaires  » «  libertaires  » et «  anarchistes  » ayant perdu de vue les valeurs universelles au profit exclusif du particulier, prennent la défense de la religion et de la famille, à plusieurs titres : 1/ d’une part, certains «  libertaires  », confondant l’individu et ses idées, l’individu et ses représentants (institutions religieuses, associations, groupes politiques, universitaires...), et la religion et la «  race  », considèrent que la religion musulmane n’aurait pas à être critiquée puisqu’elle est portée par les opprimés de l’impérialisme, du colonialisme et du racisme institutionnel ; 2/ d’autre part, certains anarchistes, notamment ceux qui se réclament de la notion de décroissance, considèrent que face à notre société marchande et industrialisée, il s’agit d’opérer un retour vers des formes de société plus «  enracinées  », plus locales, fondées sur la petite propriété privée sur laquelle vivraient des familles cultivant leur terre, reliées entre elles par une culture populaire ancrée sur ce sol. De là à la valorisation de la croyance religieuse, il n’y a qu’un pas. C. Lasch par exemple, oppose au déracinement et à l’illusion de liberté et de démocratie propres aux sociétés modernes, la revendication d’un «  enracinement  » salutaire : «  la persistance de ces formes de particularisme supposées désuètes – liens familiaux, religion, conscience ethnique, nationalisme noir – n’ont pas seulement fait preuve de leur résistance au melting pot, mais continuent d’apporter aux gens des ressources psychologiques et spirituelles indispensables à une citoyenneté démocratique, ainsi qu’une façon de voir les choses véritablement cosmopolite, par opposition au point de vue déraciné, désorienté, si souvent synonyme, aujourd’hui, d’émancipation intellectuelle  ». Plus loin, il ajoute que «  Randolph Bourne avait raison lorsqu’il affirmait que le véritable cosmopolitisme doit toujours s’enraciner dans le particularisme.  » (Culture de masse ou culture populaire)

[10] Par exemple, le gouvernement polonais actuel cherche à supprimer totalement le droit d’avorter. Il a le 24 mai 2017 limité l’accès à la «  pilule du lendemain  », qui ne sera désormais accessible qu’avec une prescription médicale.

[11] Certaines universitaires féministes telles C. Delphy diront que c’est son choix individuel et libre, donc il n’y a plus de problème : la liberté, c’est l’esclavage.


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