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Gilets Jaunes : Crise de la représentation

posté le 14/12/18 par  refractairejournal.noblogs.org Mots-clés  luttes sociales  alternatives 

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Gilets Jaunes : Crise de la représentation

L’idée d’être représentés par des porte-paroles ne semble pas faire l’unanimité au sein des gilets jaunes (GJ). Benjamin Cauchy[1] et Jacline Mouraud[2] se sont inclinés face aux menaces de mort[3] reçues de la part de GJ qui refusent d’être représentés ou qui ne reconnaissent aucune légitimité aux porte-paroles mis en avant par les médias. Le refus de la représentation est une position tout à fait cohérente avec la forme d’organisation autogestionnaire adoptée par les GJ depuis le début du mouvement, mais elle implique une communication et une négociation difficile avec le pouvoir. Si les partis et syndicats peuvent profiter de leur structure hiérarchisée pour avancer des revendications précises et présenter des interlocuteurs au gouvernement, il est plus difficile de négocier face à une masse hétérogène, sans porte-parole officiel et avec des revendications extrêmement variées, parfois contradictoires, parfois fantasques.


La démocratie représentative en question

Il est propre à la démocratie représentative de générer une rupture entre gouvernants et gouvernés. Si les citoyens peuvent élire des représentants pour assurer théoriquement leur souveraineté, ils n’en sont pas moins dépourvus de souveraineté effective car ces représentants exercent le pouvoir politique à leur place et de manière totalement indépendante. Ils constituent une classe dirigeante à part entière : la classe politique. Le mandat représentatif, qui s’oppose au mandat impératif, assure au mandaté d’exercer sa fonction jusqu’à son terme et ce qu’il respecte ou non ses engagements envers les mandants. Il y a donc une contradiction fondamentale entre l’idée de démocratie et de représentation. Cette contradiction s’explique historiquement par l’origine même du système représentatif. Comme l’explique Bernard Manin dans Principes du gouvernement représentatif, « les démocraties contemporaines sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie » puisqu’elles aspiraient à réserver l’exercice du pouvoir à l’aristocratie, jugée seule capable de raison et de faire des choix éclairés, le peuple étant lui trop inculte et gouverné par ses passions. Pour James Madison le but du système représentatif est « d’épurer et d’élargir l’esprit public en le faisant passer par un corps choisi de citoyens dont la sagesse est le mieux à même de discerner le véritable intérêt du pays ».

Certaines revendications des GJ[4] soulignent fortement l’idée que les représentants du peuple ne le représentent pas assez fidèlement. Le retour à un mandat présidentiel de 7 ans a pour objectif « d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique » à travers « l‘élection des députés deux ans après l’élection du président de la République[…] Cela participait donc à faire entendre la voix du peuple ». L’idée de rémunérer les représentants élus au salaire médian peut à la fois être compris comme une volonté symbolique d’avoir des représentants du peuple à l’image du peuple, mais aussi d’éloigner de la politique celles et ceux qui ne s’intéressent qu’au pouvoir et à l’argent.


Cette crise est-elle à craindre ou à exploiter ?

Face à une telle défiance vis-à-vis de la représentation politique, tout le monde n’apporte pas les mêmes réponses. D’un côté les partisans de la démocratie directe souhaitent révolutionner l’organisation sociale et politique afin d’assurer une souveraineté effective du peuple. A l’opposé, les populistes avancent l’idée qu’une personne providentielle pourrait, mieux que les autres, représenter la volonté du peuple et servir ses intérêts[5] sans avoir à assurer d’avantage de souveraineté effective du peuple.

Ces deux tendances se retrouvent également au sein des GJ. A travers les slogans les appels à la révolution et à la démissions de Macron se côtoient de manière confuse. Quand certains en appellent à la nomination d’individus en qui ils reconnaissent une forte autorité et répondent à la question dans une optique populiste, comme le fait le porte-parole des GJ du Vaucluse Christophe Chalençon[6] (dont la légitimité est tout aussi controversée[7] que celle de ses deux pairs cités en début d’article) d’autres invitent les GJ à adopter un fonctionnement démocratique à travers la constitution d’assemblée populaire, comme à Commercy. Même si une prise de position aussi claire pour la démocratie directe est marginale, elle n’en traduit pas moins la façon dont ont fonctionné les GJ depuis le début du mouvement : de manière auto-organisée, sans représentants ni chefs.

Appel des Gilets Jaunes de Commercy pour la démocratie directe

C’est sur ce terreau fertile que peuvent à la fois pousser les mauvaises herbes populistes et les idées révolutionnaires. S’il faut nécessairement éviter les travers de l’angélisme, qui prête à toute révolte auto-organisée une aspiration révolutionnaire, et les jugements à l’emporte-pièce, qui disqualifient tout mouvement populaire dans laquelle sont présents quelques éléments populistes, il faut également tenter de voir en quoi ces formes « nouvelles » d’organisation et d’action correspondent à nos aspirations à la démocratie directe et en quoi elles peuvent s’en éloigner afin d’apporter des réponses politiques concrètes et pertinentes, de mettre des mots sur les maux. Une partie du mouvement des GJ adopte de fait des préoccupations (remise en cause de la représentation politique) et des pratiques (autogestion, action directe) inconsciemment anarchisantes. Il est nécessaire de travailler à rendre cette adhésion consciente et active au risque de voir le populisme remporter définitivement la bataille, faute d’alternative révolutionnaire.

[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/toulouse-qui-est-vraiment-porte-parole-gilets-jaunes-benjamin-cauchy-1578957.html

[2] https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/morbihan/gilets-jaunes-qui-est-vraiment-jacline-bretonne-qui-commence-presque-1575882.html

[3] https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/menaces-de-mort-plusieurs-porte-paroles-des-gilets-jaunes-renoncent-a-rencontrer-edouard-philippe-1122430.html

[4] https://www.nouvelobs.com/politique/20181129.OBS6307/gilets-jaunes-on-a-decortique-chacune-des-42-revendications-du-mouvement.html

[5] Cette différence entre populisme et aspirations révolutionnaires est déjà traité ici : https://refractairejournal.noblogs.org/post/2016/12/08/trump-et-les-autres/

[6] https://www.europe1.fr/societe/un-porte-parole-des-gilets-jaunes-reclame-la-demission-du-gouvernement-et-la-nomination-du-general-de-villiers-comme-premier-ministre-3812579

[7] https://www.lci.fr/social/christophe-chalencon-j-ai-recu-des-menaces-de-mort-de-la-part-des-gilets-jaunes-je-les-comprends-2106344.html


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