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Gilets jaunes, le parfum d’un sentiment rare.
A l’origine, rappelons que ce mouvement a été initié sur les réseaux sociaux par un agglomérat de plate-formes d’extrême droite et d’autres de connotation éminemment rouge brune, souvent des conspirationnistes « antisystème ». On y trouve Éric Drouet, leader « le plus déterminé » selon lui, qui fait sur son site autant la promotion de Besancenot que de vidéos conspirationnistes ; Priscillia Ludosky, « partenaire du confiance » de Drouet ; Maxime Nicolle, alias « Fly Rider », youtubeur conspirationniste notoire, proche d’Étienne Chouard et des théories survivalistes ; Steven Lebee, porte-parole désigné par Drouet et Ludosky ; Benjamin Cauchy, ancien de l’UNI, ancien élu UMP baignant désormais dans les milieux nationalistes ; Fabrice Shlegel, promoteur immobilier de droite et Christophe Chalençon, islamophobe décomplexé qui dénonce « l’intégrisme musulman, la burqa et ceux de banlieue qui arrivent en fin de manif par ce que le matin, ils dorment… ».
Comment ne pas voir alors dans les revendications exprimées leur côté individualiste qui sent bon le poujadisme nouvelle flagrance ? Que l’extrême droite avance masquée n’est pas une nouveauté. On peut aussi y voir le résultat d’un confusionnisme politique entretenu par la gauche depuis des années et d’un clientélisme populiste à visée électorales. Au final, la véritable question sociale est mise au placard et la colère s’exprime majoritairement dans un discours où le « je » prime sur le « nous ». Réforme de la fiscalité, gel des taxes sur l’énergie, hausse du pouvoir d’achat. Le propos n’a jamais été ni anticapitaliste ni écologiste : si les revendications de certains gilets jaunes précaires sont légitimes, on reste sur une critique non pas de l’État mais de sa gouvernance et on peut lire partout des appels à un remplacement des élites corrompues. Empiriquement, ces thématiques se posent dans un cadre idéologique appartenant à l’extrême droite.
Dans les faits, la journée de mobilisation du 17 novembre a surtout été une journée de libération de la parole haineuse dont les premières victimes ont été les minorités. Dans la rue, à Paris comme ailleurs, on assiste à une mobilisation massive de l’électorat lepeniste et des franges nationalistes. On ne recense plus les actes racistes, antisémites, homophobes et sexistes. Sur les blocages, nous sommes nombreux.ses à avoir entendu un peu partout des discours fascisants. Parler d’actes isolés devient alors un mensonge grossier pour certains, une cécité volontaire (sic) pour d’autres. En pratique, lors des derniers rassemblements, aucune solidarité n’a été mise en place face aux nombreuses comparutions immédiates. Celles et ceux qui sont directement envoyés à l’abattoir juridique ne semblent servir que de chair à canon pour les « leaders » qui appellent, bien au chaud, à la mobilisation et au sacrifice.
Devant le côté populaire de la mobilisation, on assiste à un déni de son essence fascisante. Leur porte-parole sont d’extrême droite ? « Ils ne nous représentent pas ! » rétorque-t-on. Des fascistes qui pullulent dans les cortèges ? « Ce n’est pas tout le monde ! ». Des propos racistes, homophobes, sexistes, antisémites entendus sur des barrages ? « Pardonnez-les, Seigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » Des réseaux sociaux infestés de conspirationnistes « antisystème » ? « Ouais, mais tu sais internet… » Avoir un regard critique sur le mouvement revient alors à faire le jeu du pouvoir, de l’État et des médias, médias qui ont pourtant donné leur bénédiction au mouvement et montré une complaisance certaine à l’égard de ses organisateurs…
On nous déclarera peut-être méprisant-e-s à l’égard du « peuple qui défile » et ce pour toutes les raisons du monde. Ce qui nous écœure davantage c’est de voir que l’on s’offusque de notre position soit-disant « hautaine » et critique plutôt que des actes et propos dégueulasses qui pullulent au sein des gilets jaunes.
Notons tout d’abord que ce mouvement est interclassiste et qu’il est loin d’être uniquement constitué de pauvres et de précaires en lutte.
Les récentes sorties de cadres sur les différents médias sont là pour nous le rappeler 1.
Les gilets jaunes ne sont pas des égaré-e-s, des gens à pardonner parce qu’ils elles ne savent pas ce qu’ils elles font en reprenant à leur compte des revendications qui sentent le populisme et la droite. Nous ne croyons pas à l’angélisme des classes populaires, ni à l’idée que le prolétariat serait nécessairement et systématiquement du bon côté de la barricade. L’analyse classiste a ses limites que l’Histoire n’ignore pas. En revanche, excuser la complaisance des pauvres avec le fascisme c’est les considérer comme inférieurs et incapables de choix politiques. Pour rappel, tous ne font pas le choix de l’extrême droite. Considérons plutôt le mépris de classe des tribuns de la gauche nationaliste (Mélenchon, Ruffin, Lordon et compagnie) qui, bavant sans doute sur les succès des Dieudonné et autres Soral, envoient les « masses » au casse-pipe. Tous mentors éclairés qu’ils sont, venus éduquer le « populo » inculte et campagnard, ils n’attendent qu’une chose : prendre le pouvoir.
Assumer sa couleur politique, ne pas jouer sur le populisme, se confronter politiquement, c’est revendiquer son histoire, ses luttes passées.
Doit-on être aux cotés de celles et ceux dont l’obsession est le pacte migratoire ?
Doit-on oublier nos années de lutte contre tous les racismes au prétexte d’un mouvement d’ampleur ?
Aujourd’hui, la nécessité de faire le choix de tenir une ligne antifasciste radicale apparaît d’autant plus vitale que les gilets jaunes semblent avoir fait un choix politique. Un choix politique qui n’est pas dénué d’idéologie. Un choix politique qui, si nous n’y prenons pas garde, participera à creuser les nouvelles fondations d’une Europe fasciste.