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« GuptaLeaks » : comment les Gupta ont fait diversion en focalisant l’opinion sud-africaine sur le « monopole blanc »

posté le 26/07/17 par  Adrien Barbier (Johannesburg, correspondance) et Joan Tilouine Mots-clés  économie 

Accusée de prédation, la fratrie indienne proche de Jacob Zuma, a payé une agence londonienne pour « créer un récit sur l’apartheid économique ».

A 9 000 km de Johannesburg, une poignée de Sud-Africains se réunit, vendredi 14 juillet, pour protester devant le siège londonien de l’agence de communication Bell Pottinger. Drapeaux, pancartes et vuvuzelas sont de sortie. De la bien mauvaise publicité pour cette entreprise dont le cœur de métier est justement de gérer les situations de crise. Son méfait n’est pas des moindres : on l’accuse d’avoir ravivé les flammes du racisme dans le pays de Nelson Mandela.

Jusqu’en avril 2017, Bell Pottinger était le communicant attitré d’Oakbay Investments, la holding de la fratrie Gupta, au cœur d’un scandale politico-financier qui fait trembler le président Jacob Zuma. Pendant plus d’un an, ses conseillers en communication se sont attelés à redorer l’image de la famille la plus honnie du pays. Avec une stratégie de contre-attaque dangereuse : cibler les puissants hommes d’affaires blancs pour faire diversion et détourner l’attention des allégations de corruption dont les Gupta sont affublés.
Un « deal » de 110 000 euros par mois

Pas de quoi choquer Duduzane Zuma. Le fils du chef de l’Etat, employé choyé des Gupta, a scellé en janvier 2016 à Johannesburg ce curieux deal avec Victoria Geoghegan, l’une des associées de l’agence de communication. « Bell Pottinger souhaite bâtir avec vous un partenariat solide de long terme », écrit-elle, après leur rencontre, dans l’un des courriels issus des « GuptaLeaks », auxquels Le Monde a eu accès via la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF).

Pour 100 000 livres (environ 110 000 euros) par mois, l’agence déploie toute sa panoplie de services : écriture de discours et communiqués de presse, réponses aux journalistes, productions de contenus Internet, slogans… Depuis que les liens entre Jacob Zuma et la fratrie indienne ont éclaté au grand jour, l’empire Gupta est sous un déluge de critiques venant de l’opposition et des médias.

La première recommandation de Mme Geogheghan est de « créer un récit politique non partisan autour de l’existence d’un apartheid économique et sur le besoin vital de plus d’émancipation économique ». L’Afrique du Sud post-apartheid reste l’un des pays les plus inégalitaires du monde. Près de 10 % de la population, pour l’essentiel la minorité blanche, contrôle entre 60 % et 65 % de l’économie. Pour la majorité noire, les promesses de la libération n’ont pas été tenues. Des programmes comme le Black Economic Empowerment (« émancipation économique des Noirs ») sont un échec, sauf pour une élite qui s’est accaparée les richesses. Le clan Zuma en est l’incarnation.
Asma Al-Assad, Augusto Pinochet…

Loin du ton mesuré et technique de ce premier courriel, le « récit » s’est en réalité résumé à un slogan explosif : mettre fin au « white monopoly capital ». L’expression, qui s’est depuis imposée dans la vie politique, est régulièrement reprise par Jacob Zuma lui-même pour renvoyer ses opposants dans les cordes. Or Bell Pottinger est perçu comme le principal artisan de cette « story » : un rapport anonyme publié en janvier 2017 détaille les campagnes mises en place pour manipuler l’opinion sur les réseaux sociaux, à grand renfort de comptes Twitter factices qui décuplent la viralité des messages.


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